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L ’on y croise monsieur et madame Tout-le-monde, ni bobo ni bio. L’ail, les poivrons et les avocats de petites exploitations espagnoles y trônent à côté des pommes de terre de Remicourt, des oignons d’Ében-Émael et des échalotes de Hognoul. Quelquefois, des produits manquent, corollairement aux aléas naturels, météoro- logiques ou simplement humains des maraîchers ou des agriculteurs du coin. « Des dames âgées que l’on ne voit pas habituellement dans les magasins bio y vont. Ça rap- pelle un peu ces marchés méditerranéens où des paysans locaux viennent vendre directement leur production au détail », observe Bruno, l’un des commerçants-voisins de la rue En Neuvice, à Liège. C’est en effet dans cette petite artère à la dynamique renouvelée, la seule de la ville ayant conservé son tracé du Moyen Âge, qu’est apparue il y a un peu plus d’un an une enseigne proposant fruits, légumes, fromages ainsi que quelques autres aliments de base pro- venant, pour une large part, de producteurs de la région. En un peu plus d’un an, 2000 clients ont nourri un engouement qui a permis aux Petits Producteurs d’ouvrir un deuxième magasin et d’envisager la création d’un troisième. Des acheteurs comme Sarah, contente de dépenser son argent pour alimenter un circuit d’économie locale « et pour des produits nettement plus goûteux, moins onéreux que chez les autres spécialistes du bio et finalement pas plus chers que dans bon nombre de supermarchés ». Érigée en coo- pérative, cette entreprise axée sur les circuits courts ras- semble une cohorte d’associations membres de la Ceinture aliment-terre et une grande partie de marchandises culti- vées par les Compagnons de la terre, coopérative liégeoise à finalité sociale qui a pour objectif de produire agro-écolo- giquement une alimentation pour le circuit court, en mutua- lisant les savoirs et les outils. PRÉFÉRER LES PRODUITS DU TERROIR Bien que nées d’un élan collectif antérieur de deux ou trois ans, ces deux structures ont tout de même été portées par l’engouement provoqué par le documentaire français à succès Demain, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent. Sorti en 2015, le film présentait plusieurs initiatives inspi- rantes à travers le monde face aux défis environnementaux et sociaux en matière d’énergie, d’économie, d’éducation, de gouvernance ou d’agriculture. Aujourd’hui, les points de vente sans intermédiaires de nos nouveaux maraîchers sont un exemple concret de ce qui peut être mis sur pied à l’échelle locale. Née en 2012, la Ceinture aliment-terre liégeoise émane, elle, d’une coalition d’acteurs économiques, culturels ou citoyens de la région engagés dans le projet de transfor- mation en profondeur du système alimentaire. Dans son giron, des dizaines d’initiatives de production et de com- mercialisation alternatives se sont lancées. Mais on parle aussi de formation, d’accompagnement à l’installation, d’entités de soutien à l’agriculture locale ou de groupe- ments d’achat. « L’un de nos principes fondateurs était de créer une alliance ville-campagne afin que la paysan- nerie fasse partie des choix de consommation, d’épargne et d’investissement de la population », rappelle Christian Jonet, qui coordonne à l’heure actuelle cet ensemble constitué d’un maillage d’associations, de producteurs, d’entrepreneurs, d’acteurs de terrain et de citoyens. En 2012, les premiers contacts entre eux avaient permis de mettre sur les rails le réseau “Liège en transition”, nouvelle greffe d’un mouvement citoyen au maillage mondial, né en 2006 en Grande-Bretagne à l’initiative de Rob Hopkins, un formateur en permaculture (basée sur les équilibres de l’écologie naturelle) promouvant l’idée de rendre les villes, villages ou quartiers plus durables et plus conviviaux sans attendre l’initiative des pouvoirs publics. L’un des groupes de travail de Liège en transition, relativement informel parce que lancé en auto-organisation, ciblait alors ce qui était identifié comme l’un des grands enjeux de demain : la relocalisation et la diversification d’une production alimen- taire écologique et plus autonome à l’échelle de la com- munauté locale. Un défi de taille, au regard des chiffres ! Il y a 27 ans, les emplois dans l’agriculture représentaient encore 3% du total des emplois en Belgique. En 2017, il ne s’agissait plus que d’1% 1 . Concrètement, entre 1985 et 2015, notre pays a perdu en moyenne 43 fermes chaque semaine et, pendant ce même laps de temps, en a vu dis- paraître 63% 2 . Mais à côté de la question de la production alimentaire, des interrogations autour de l’écologisation de nos modes de vie, de la recréation de liens sociaux et de la résilience communautaire restaient également au centre des multiples échanges alors en germination. FESTIVAL NOURRIR LIÈGE À l’heure où les commerces proposant des produits locaux de toutes factures commencent à éclore un peu partout, les choses bougent. L’objectif, formulé par Christian Jonet, “Projetons-nous à 25-30 ans pour que la majorité de notre consommation soit produite localement, dans les meilleures conditions écologiques et sociales ” revenait comme une antienne au festival Nourrir Liège, qui a réuni 4000 personnes, du 15 au 25 mars, dans l’épicentre principautaire. Un événement ras- 1 https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.AGR.EMPL.ZS 2 http://www.levif.be/actualite/belgique/ces-30-dernieres-annees- la-belgique-a-perdu-43-fermes-chaque-semaine/ar ticle- normal-389837.html mai-août 2018 / 270 ULiège www.uliege.be/LQJ 37 univers cité

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