LQJ-271

Pour le chercheur, cette notion du temps, imbriquée au développement technologique, a été influencée au cours de l’“industrialisation de la domination” (développée sur l’exploitation de la nature et l’asservissement des res- sources humaines à la machine). La technologie est et a toujours été une opportunité formidable pour l’humanité. « Chaque innovation a un potentiel de convivialité , rap- pelle Sébastien Brunet. Elle peut permettre à un utilisateur d’échapper à des modèles de domination en s’en réappro- priant les usages pour s’émanciper. Mais selon la manière dont elle est présentée, elle devient aussi une extension de notre capacité de domination. Ses trajectoires et ses enjeux de pouvoir doivent être mis en critique, tout comme son influence sur nos manières d’être. » Notons l’accé- lération du monde, emprisonnant notre pensée dans le court terme et le réactif. Anticiper les futurs, c’est postuler que s’écarter de cette vitesse est possible et nécessaire. Notons aussi que chaque nouvelle technologie complexifie le monde et augmente les risques sociaux et environne- mentaux. Entre vitesse et complexité, nous avons délégué aux politiques et aux experts scientifiques le soin de déci- der ce qu’est l’intérêt général. « On ne peut plus laisser cette question du vivre ensemble à d’autres, qui ont une vision restreinte du monde, incompatible avec le dévelop- pement d’un projet collectif. Il ne faut pas “jeter” l’écono- mie, mais la mettre au service de la société. Une meilleure convivialité devient donc aussi un enjeu pour nos institu- tions », estime Sébastien Brunet. L’OUVERTURE DU POLITIQUE Il est faux de croire que les citoyens sont devenus indiffé- rents à la res publica : ils s’éloignent des partis tradition- nels, mais s’engagent et s’inscrivent dans le collectif de bien d’autres manières. « Mais le fossé existe et témoigne du besoin de repenser la politique en la libérant de la logique industrielle de domination, pour une vie non plus fondée sur la maîtrise de l’environnement mais sur la convivialité, le partage et l’acceptabilité sereine de notre finitude. » Les pistes pour simplifier un monde politique trop hermétique sont nombreuses. On pense à une limite dans le temps des mandats, pour diversifier les profils et les expériences. Ou encore à l’instauration d’un service citoyen, qui formerait les individus à porter le collectif et contraindrait les acteurs politiques à partager le pouvoir. Une limite à la toute-puissance des partis et une accen- tuation de la démocratie participative et des délibérations collectives aideraient aussi à sortir de cette “molitique” (contraction entre “molesse” et “politique”, qui “gère l’état du collectif plutôt que de lui donner un sens, un projet, une vision”). Enfin une refonte de l’école utilitariste, adap- table aux cadres de l’industrie, atténuerait la reproduction sociale et politique de nos sociétés et la dévalorisation de nombreuses formes d’intelligence. “ There is no alterna- tive ”, martelait Margaret Thatcher. Il semblerait pourtant qu’ouvrir le champ politique permette de voir les germes… d’une alternative, justement. Sébastien Brunet, Reconvertir la pensée industrielle, Pour de nouvelles pratiques politiques , Couleur livres, Bruxelles, 2018 Frans de Waal, Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ?, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2016 Vinciane Despret, Penser comme un rat, Sciences en questions , Quae, Versailles, 2016 Vinciane Despret, Que diraient les animaux si... on leur posait les bonnes questions ?, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, Paris, 2012 Jared Diamond, Effondrement , Gallimard, Paris, 2009 Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l’altruisme , Nil, Paris, 2013 Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes , Seuil, Paris, 2015 Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’entraide, l’autre loi de la jungle, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2017 Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde , La Découverte, Paris, 2017 POUR S’ENTRAIDER PLUS LOIN septembre-décembre 2018 / 271 ULiège www.uliege.be/LQJ 41 '+1% *.%,1.,*

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