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ment écrit qui recense et fixe toutes les attitudes à respecter face aux loups. Et répond à des questions aussi importantes que l’éventuelle mise en place de moyens de pro- tection pour les éleveurs et leurs troupeaux, par exemple. Une protec- tion à laquelle Joachim Mergeay, de l’Instituut Natuur-en Bosonderzoek, est sensible. « La Flandre a approu- vé son plan loup en août 2018, explique-t-il . Il veut répondre à des questions telles que “Comment vivre avec les loups ?”, “Qui exerce quelle responsabilité ?”, “Comment s’or- ganiser ensemble ?”. Car nous esti- mons qu’il faut se préparer à une cohabitation : il y a de la place pour les humains et les loups. De toute façon, nous n’avons pas le choix : ce sont les loups qui décident . » Mais on peut les influencer en quelque sorte ! « Nous estimons que les particuliers – en Flandre l’élevage d’ovins est très morcelé et est sur- tout le fait de particuliers – doivent protéger leur cheptel pour que le loup ne s’habitue pas aux animaux d’élevage. Car c’est un animal qui s’adapte très vite à l’homme. » LE LOUP, CET INCONNU Biologiste et éthologue, spécialiste du loup en milieu pastoral et de la pro- tection des troupeaux, le Suisse Jean- Marc Landry étudie le canis lupus depuis de nombreuses années, sur le terrain – essentiellement en France et en Suisse –, parmi les éleveurs avec des moyens technologiques inno- vants. Le travail avec les éleveurs est un choix délibéré parce que, en France, ils sont fortement impactés par la présence du loup : en 2017, 12 000 têtes de bétail ont été indem- nisées par les pouvoirs publics au titre de probable dommage causé par ce mammifère. « Notre but , explique-t-il, est de faciliter la coexistence entre les éleveurs et les loups grâce à une meil- leure connaissance du comportement de ce dernier, et donc de réduire l’impact de la présence des loups en zones pastorales. Pour ce faire, nous utilisons essentiellement des camé- ras thermiques placées autour du troupeau à étudier afin d’avoir une vue générale, globale. » En cinq ans, Jean-Marc Landry et son équipe ont ainsi pu accumuler 2500 heures d’en- registrements nocturnes. Au cours de cette période, ils ont figé sur la pellicule plus de 150 approches de troupeaux (surtout des ovins) par des loups, plus de 60 attaques et plus de 170 interactions entre loups et chiens de troupeaux. Une masse de données qui permettent au chercheur suisse d’affirmer que le loup garde encore des secrets et que bien des idées reçues continuent à être véhiculées à son propos. Le loup, animal de meute ? Sans doute, mais au sein de celle-ci les indi- vidus gardent leur personnalité. Mais c’est un animal solitaire, imprévisible aussi. Certains n’hésitent pas à sauter des clôtures (jusqu’à 80 cm), brus- quement, sans effort apparent alors que d’autres ne le feront jamais. 70% des attaques de troupeaux sont le fait de loups solitaires (même quand une meute est présente) et chacun paraît donner l’assaut quand bon lui semble. Ces décisions inattendues sont sou- vent décrites dans les observations. Ainsi, il peut patienter des heures près d’un troupeau ou d’une clôture puis, soudainement et sans hésita- tion, la franchir. En fait, dans près de la moitié des cas observés, les loups n’attaquent pas les troupeaux et on peut s’interroger sur la raison de leur présence près de ceux-ci ! Un enre- gistrement montre par exemple une louve qui suit un troupeau (sans ber- gers ni chiens) à cinq reprises… sans jamais passer à l’attaque. Une autre idée fort répandue voudrait que les Le grand retour Jadis chassé (le dernier loup aurait été tué en Wallonie près d’Erezée en 1897), aujourd’hui protégé, le loup a fait son retour officiel – et naturel, ce n’est en rien une espèce réintro- duite – en Belgique en 2018. D’abord en Flandre, dans le Limbourg, où début janvier, Naya, une louve pro- venant du nord-est de l’Allemagne s’est aventurée sur le terrain militaire de Bourg-Léopold. Première pré- sence officielle donc, même si on sait aujourd’hui grâce à des analyses ADN effectuées par Johan Michaux à l’ULiège, que des traces relevées en Wallonie dès 2016 sont bien celles de loups. Car repérer un loup n’est guère simple et la certitude sur la présence de Naya est due à… son collier GPS posé par des scienti- fiques allemands, ce qui a permis de pister tous ses déplacements ! Une pratique qui pose d’ailleurs des pro- blèmes aux scientifiques. « Au début, explique Joachim Mergeay du Centre flamand d’expertise de la biodiversité (Instituut Natuur- en Bosonderzoek), nous communiquions aux politiques les données très précises transmises par le GPS de Naya. Mais ces infor- mations étaient divulguées, donc nous avons cessé de les transmettre pour la sécurité du loup. Nous ne voulons favoriser ni le braconnage ni l’arrivée massive de touristes sur les lieux. » En mars, toujours en Flandre, à Opoeteren, c’est la carcasse d’un loup écrasé par une voiture qui est retrouvée. En juin, une première photo prise en Wallonie officialise la présence du carnivore dans les Fagnes. En août, c’est la surprise : Naya a un compagnon, immédia- tement baptisé August par les res- ponsables flamands. Le début d’une meute ? Cette réapparition pourrait étonner : notre Ardenne – et les landes de Campine – serait-elle redevenue plus sauvage qu’au XIX e siècle ? On a plutôt l’impression du contraire. Mais à partir du moment où une espèce est protégée, ses représentants occupent des nouveaux territoires : ils s’adaptent. D’autant que dans le cas du loup, un autre facteur a joué un rôle important : l’explosion de la population de gibier. Voilà qui fait du loup un symbole, un atout : il permet de valoriser la nature et nos efforts de protection. janvier-avril 2019 / 272 ULiège www.uliege.be/LQJ 33 univers cité

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