LQJ-272

On demande de plus en plus de flexibilité aux travailleurs, on propose des contrats d’intérimaires ou des temps partiels (notamment aux femmes) : c’est une façon de créer l’incer- titude financière, la non-possibilité de construire un avenir. Et le logement ? On sait que 43% des locataires ont des problèmes financiers; or les loyers ne cessent d’aug- menter. En région wallonne, la fondation roi Baudouin a révélé que près de 40 000 ménages sont en attente d’un logement social… Avoir un toit, un espace privé, est un minimum vital. C’est d’ailleurs le credo de “Housing first” à Liège, par exemple, qui a l’ambition de réinsérer les sans- abris en les accompagnant pas à pas, et d’abord en leur assurant un logis décent. Mais il faudrait agir avant que les gens ne soient à la rue, car le risque est grand qu’ils y restent et soient alors en décalage complet avec la société. Même si bon nombre d’initiatives privées judicieuses pal- lient les lacunes du public, il me semble que les réponses apportées à la mendicité sont mauvaises. Pourquoi les abris de nuit sont-ils uniquement accessibles en hiver ? Certains sont morts, en plein été, de déshydratation. Il faut aussi reprendre la main face aux risques de pri- vatisations abusives. Si un client ne paie pas sa facture d’électricité, on lui installe un compteur à budget. C’est une sanction directe qui non seulement ne règle rien, mais qui en plus n’a pas été prise par un juge de paix. De la même manière, si une personne est contrôlée dans le train et qu’elle n’a pas acheté de ticket, elle fait l’objet d’un recouvrement de dette émanant directement de la SNCB, à nouveau sans intervention du juge. Et savez- vous que certaines écoles font appel à des sociétés de recouvrement lorsque des parents peinent à payer la cantine scolaire ? Sur tous ces points, les autorités peuvent s’impliquer et faire des choix dans le respect de chacun et du bien com- mun. Il faut d’ailleurs souligner, par exemple, les progrès réalisés dans le domaine de l’accès aux soins de santé : l’assurance-maladie obligatoire est devenue un droit uni- versel. C’est une action politique très positive, même si le non-remboursement de plusieurs médicaments ou de certaines prestations conduisent encore certains patients à différer les soins. LQJ : Et que fait votre Réseau wallon ? Ch.M. : Comme son nom l’indique, le réseau combat la pau- vreté. Nous intervenons dans les associations, les écoles, les quartiers, pour expliquer qu’une région ne peut grandir que si tous ses habitants participent à son développement. Par ailleurs, le réseau, qui connaît la réalité du terrain, inter- pelle les femmes et hommes politiques pour les informer, pour modifier leur représentation du phénomène d’exclusion sociale. À titre d’exemple, nous avons rencontré, avec des personnes en situation de pauvreté, Benoît Lutgen, pré- sident du CDH, et Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi. L’objectif était de finaliser une stratégie nouvelle contre la précarisation croissante et nous avons réussi, ensemble, à élaborer un “Plan wallon de lutte contre la pauvreté” au prin- temps 2018. C’est un premier pas positif. Le réseau défend aussi les personnes démunies contre l’État fédéral. Il s’est notamment opposé à la volonté du gouvernement de faire payer les avocats pro deo ou d’instaurer un “service com- munautaire” imposé aux bénéficiaires du CPAS. Deux actions couronnées de succès. Hélas, ce n’est pas toujours le cas. Et je suis impressionnée par le nombre de recours en justice qui témoignent, à l’évidence, d’une rupture de dialogue entre les gouvernants et les associations. LQJ : L’Université a-t-elle un rôle à jouer à cet égard ? Ch.M. : L’Université doit s’intéresser au problème parce que la question devient centrale dans nos sociétés. Réduire les inégalités, ce n’est pas une utopie ! Tous les profes- seurs devraient en avoir conscience et la “matière” devrait être transversale. Chaque étudiant devrait se demander : “Que pourrais-je faire pour réduire les inégalités dans mon métier ?” Il faut sensibiliser le public universitaire à ces questions, favoriser une compréhension historico-sociolo- gique de la situation car elle n’est pas inéluctable. POUR ALLER PLUS LOIN Réseau wallon de la lutte contre la pauvreté : www.rwlp.be Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) : www.iweps.be Petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté , Le Forum - Bruxelles contre les inégalités, Luc Pire éditions, septembre 2018 Mélanie Joseph, Christophe Blanckaert et Thibault Morel, “Être pauvre en Belgique au XXI e siècle”, dans Politique , n°105, 2018 Podcast de la conférence de Christine Mahy, le 10 octobre, à l’initiative de la MSH : www.msh.ulg.ac.be/c-mahy/ janvier-avril 2019 / 272 ULiège www.uliege.be/LQJ 9 l’opinion

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=