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D epuis mes premières activités de recherche en 2004, j’ai successivement étudié l’organisation du travail des surveillants et des directeurs de prison, les politiques d’éducation et de formation professionnelle à destination des détenus. J’ai réalisé ensuite une thèse de doctorat sur la politique expérimentale visant à intro- duire la justice réparatrice en milieu carcéral, avant de diriger d’autres recherches portant sur la mise en œuvre du tribunal de l’application des peines, les politiques de modernisation de l’administration pénitentiaire, les poli- tiques culturelles et de santé en prison et la composition de la population carcérale journalière. Au fil de mes recherches, un même constat se répétait et s’accentuait : les détenus ne sont pas des citoyens comme les autres. Au mieux, ce sont des sous-citoyens à qui la loi confère des droits institutionnellement déniés au quotidien. Plus généralement, ce sont des flux et des stocks ano- nymes de chiffres utilisés pour comparer, comptabiliser, rationaliser les politiques pénitentiaires. Derrière ce double constat que partagent tous les chercheurs actifs dans ce domaine, deux questions n’ont cessé de m’animer : quel est le sens de ces recherches ? Et y a-t-il une place pour la citoyenneté en prison ? Récemment, deux éléments de réponse à ces questions sont apparus. Premièrement, en septembre 2016, la notion de citoyenneté a été inscrite au cœur de notre Institution et de sa Charte des valeurs. Celle-ci précise ainsi que l’ULiège “se veut un lieu d’organisation de débats, de réflexions et de croisements des regards au cœur de la cité. En ce sens, elle exerce une veille critique et démocra- tique”. Ensuite, en 2017, j’ai été contacté comme d’autres collègues des différentes universités francophones pour fonder un Genepi en Belgique francophone. Qu’est-ce que le Genepi ? Il s’agit bien d’une plante aromatique monta- gnarde dont de nombreux skieurs se délectent, mais c’est également – et vous le saurez désormais – un projet inspiré par le Groupement étudiant national français d’enseigne- ment aux personnes incarcérées (Genepi) enraciné dans les universités. “Le Genepi Belgique, comme son parrain français, a pour vocation de participer au décloisonnement de la prison en établissant un lien entre les personnes incarcérées et le monde extérieur. Il œuvre essentiellement dans deux directions : en menant des actions en détention et en menant des actions de sensibilisation du public à propos de la prison” 1 . Les termes de l’équation sont donc posés : “prison + citoyenneté + université = Genepi”. Revenons d’abord sur le premier terme de l’équation. En effet, nous vivons en 2019 dans un pays civilisé, mais nous continuons de refuser d’ouvrir les yeux sur l’état de nos prisons. Pourtant, il semble que des progrès ont eu lieu. Ainsi, il y a 14 ans déjà qu’était – enfin ! – publiée la loi de principes concernant l’administration péniten- tiaire et le statut juridique des détenus. Cette loi met- tait fin à la longue absence de cadre législatif spécifique aux personnes détenues et au régime carcéral, un vide juridique que venait jusqu’alors combler un arrêté royal datant de 1965 et faisant office de règlement général des établissements pénitentiaires. Ce texte définissait les droits et les obligations des personnes incarcérées. Toutefois, complété par une multitude de circulaires ministérielles et de notes de service, il était devenu “illisible” au fil des années, selon les directeurs et les surveillants de prison. En 2005, l’adoption de la loi de principes constituait donc une révolution. D’inspiration progressiste, elle affirme en effet clairement que l’exécution de la peine doit s’effectuer dans le respect de la dignité humaine (article 3), “empê- cher les effets préjudiciables évitables de la détention” (article 6) et être “axée sur la réparation du tort causé aux victimes par l’infraction, sur la réhabilitation du condamné et sur la préparation, de manière personnalisée, de sa réin- sertion dans la société libre” (article 9). Très rapidement, toutefois, ces espoirs se sont révélés vains. Faute de volonté politique d’abord, car la mise en application de cette loi requiert, comme l’indique son article 180, de nombreux arrêtés d’exécution. En l’absence de tels arrêtés, des pans entiers de la loi sont longtemps restés inappliqués, alors que les dispositions relatives au plan de détention restent toujours lettres mortes. Faute d’une inégale réactivité des entités fédérées ensuite, les- quelles sont compétentes en matière de services sociaux (enseignement, formation, culture, loisirs, santé, etc.) orientés vers la réinsertion, la réhabilitation et la répara- tion. D’un côté, la Flandre avait adopté, dès le 8 décembre 2000, un Plan stratégique visant à construire une politique d’assistance sociale systématique et intégrée, basée sur une collaboration entre le SPF Justice, le ministère fla- mand du Bien-être, de la Santé et de la Famille ( Welzijn, Volksgezondheid en Gezin ). Aujourd’hui, ce Plan straté- gique emploie 17 coordinateurs et 17 logisticiens répartis dans chacune des prisons flamandes ainsi que dix coordi- nateurs pédagogiques. Du côté francophone, le paysage institutionnel étant plus complexe et les compétences en Christophe Dubois Décloisonner la prison Carte blanche à Christophe Dubois, chargé de cours en faculté des Sciences sociales, membre de l’ASBL Genepi, association d’éducation populaire en milieu carcéral. 1 https://genepibelgique.wixsite.com/genepi/qui-sommes-nous J.-L. Wertz 6 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ 7 l’opinion l’opinion

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