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Tout est impermanence. Le Pr Christophe Pirenne s’empare de cette intransigeante loi pour ausculter la musique rock. Un sujet presque récréatif pour le musicologue, tant il prend du plaisir à le raconter. En 2011, il sortait chez Fayard Une histoire musi- cale du Rock, un ouvrage aussi habile que complet, multipliant les détours pour emmener le lecteur dans une vaste odyssée, de Bill Halley à Beyoncé. All Things Must Pass, vies et morts du rock, édité dans la collection poche de l’Académie royale de Belgique, est plus succinct (130 pages). L’angle choisi est celui des discours sur la mort du rock, ce genre populaire furieux qui accompagnait l’émer- gence d’une jeunesse émancipée, en dissidence avec ses aînés. “ Don’t trust anyone over 30 ! ”, scandaient-ils, ignorant qu’ils allaient eux-mêmes franchir cette frontière, le rock se heurtant à des musiques portées par de nouvelles jeunesses, dont le hip hop. L’ouvrage est peut-être une manière de faire son deuil, tout en s’amusant des postures parfois ico- noclastes qui ont accompagné les soubresauts, les agonies, les convalescences, les retournements et les révolutions d’un genre aujourd’hui presque muséal. Un prétexte, aussi, pour interroger his- toriquement et philosophiquement nos pratiques culturelles et notre rapport au temps. Car le balan- cement entre la tradition et la modernité n’est pas récent. Christophe Pirenne le rappelle dans son introduction. Platon, déjà, prévenait dans La République , qu’“introduire une nouvelle forme de musique, c’est un changement dont il faut se gar- der comme d’un péril global” 1 . Il n’aura pas échappé au musicologue que Platon était alors âgé de plus de 30 ans… Ce constat conduit à concéder une certaine forme de permanence : la nouveauté triomphe sur la tradition, mais n’est pas éter- nelle. “Aucune intervention religieuse ou politique, aucune cabale médiatique n’empêchera le rem- placement du numéro 1 du hit-parade de 1324, de 1740 ou de 1868 par un tube plus en accord avec les goûts de la jeunesse”². En 11 chapitres, le musicologue compile les dis- cours nécrologiques du rock et les met en balance avec des comportements socio-économiques, l’éviction progressive des hit-parades, les pratiques commerciales, la nostalgie, la mode, les influences culturelles, les ruptures technologiques et l’évolu- tion des supports, le sort du genre étant intimement lié à celui du vinyle. Il relativise toutefois ce fatal crépuscule. Le mouvement avait déjà été déclaré mort avant le sacre d’Elvis Presley, alors que Bill Halley désertait ses sulfureux débuts pour suivre le goût consensuel de la masse. En paraphrasant Frank Zappa, Christophe Pirenne, homme de pru- dence, préfère remarquer que “si le rock n’est pas mort, il a une drôle d’odeur”. Dans ce dernier ouvrage, le chercheur préserve sa faculté d’articu- ler une pensée précise, pleine d’acuité et de clarté. Ses connaissances vastes et érudites sont acces- sibles, déposées avec humilité. L’humour subtil, teinté d’une douce bienveillance envers son objet, le désacralise dans le même temps et entretient une connivence bienvenue avec le lecteur. 1 Christophe Pirenne, All Things Must Pass, vies et morts du rock , Académie Royale de Belgique, 2021, Bruxelles, p.11. ² Op. cit , p.9. Sortie de presse Le rock est mort, vive le rock ! ARTICLE PHILIPPE LECRENIER septembre-décembre 2021 / 280 ULiège www.ul iege.be/LQJ 77 futur antérieur

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