LQJ-282

Au lendemain des inondations de juillet, plusieurs universitaires ont cherché à apporter leur aide aux communes sinistrées de la vallée de la Vesdre. Ainsi naissait la “Task Force Vesdre” ULiège, à l’initiative de Martina Barcelloni Corte, chargée de cours (Landscape Urbanism) à la faculté d’Architecture, et de Jacques Teller, professeur d’urbanisme et directeur du Local Environment Management Analysis (Lema) à la faculté des Sciences appliquées. « Se rassembler allait nous permettre de réfléchir ensemble, partager les tâches, éviter les redondances et la multiplication des interactions avec les communes, résume Martina Barcelloni Corte. Nous parlons d’une Task Force car nous devons concilier deux types d’urgence : répondre à la détresse des habitants sinistrés par des propositions ciblées et repenser en profondeur nos comportements et notre façon d’habiter le territoire en explorant de nouvelles stratégies. Nous ne pouvons pas considérer cette tragédie comme un événement isolé. Les modèles climatiques prévoient une intensification de ce type d’inondations, alternées avec des périodes de sécheresse importantes. En tant que scientifiques, nous devons observer, écouter et prendre position. » L’EXPERT OUTSIDER Difficile de ne pas voir la vallée de la Vesdre comme une métonymie de la nécessaire transition vers une réorganisation systémique de la société. S’y mêlent des enjeux climatiques, énergétiques, agricoles, sociaux, économiques et de mobilité. Au cœur de ces mutations, les urbanistes et architectes jouent un rôle décisif. « Mais la réflexion doit être inter- et transdisciplinaire, rappelle Martina Barcelloni Corte. Pour se donner une chance de “réussir” cette transition, les scientifiques doivent travailler ensemble et directement sur le terrain. Les agronomes, les ingénieurs, les pédologues, les hydrologues, les architectes, les urbanistes, les sociologues doivent aller, ensemble, à la rencontre des politiques et de la société civile. » Tel est le mot d’ordre de la Task Force Vesdre, étendue au-delà de l’ULiège pour s’ériger en plateforme interuniversitaire en partenariat avec l’ULB et la KU Leuven. Les premiers pas étaient empreints d’humilité et d’empathie. « Nous n’avions pas les pieds dans la boue, nous ne vivions pas les difficultés des habitants, reconnaît Martina Barcelloni Corte. Il aurait été inadéquat de proposer un modèle théorique pour la vallée sans avoir pris le temps d’écouter et de comprendre. Bien sûr, nous offrons des connaissances, des expériences, une certaine temporisation, mais elles restent indicatives, et doivent s’appuyer sur des compétences ancrées et sur des processus de reconstruction déjà en cours. » Cette rencontre entre la connaissance des scientifiques et le vécu des sinistrés – habitants comme élus – a été bien reçue. Chacun s’est montré ouvert, disponible, patient, reconnaissant, aussi. « Beaucoup acceptent que toutes les solutions ne pourront pas être mises en œuvre dans l’immédiat, admet la chercheure, et que, dans certains cas, il s’agit d’introduire un nouveau paradigme dans la manière de construire, d’habiter et donc d’imaginer le territoire. L’injonction au changement des pratiques émane même de certains d’entre eux. L’une des habitantes reconnaissait que ce type de catastrophe allait se répéter, que nous ne pouvions plus nous contenter de procéder comme nous l’avions toujours fait, que nous devions changer face à des enjeux qui nous dépassent. » LA CLÉ DES RENCONTRES Les activités proposées par la Task Force sont basées sur des rencontres et discussions entre les élus, la société civile et le monde universitaire; elles participent à l’élaboration d’une boîte à outils qui s’étoffera pendant trois années académiques. L’initiative reste animée par un enjeu pédagogique central. En tout, 150 étudiants sont plongés au cœur de cette vaste dynamique citoyenne et scientifique. « L’enseignement reste au cœur de l’Université, rappelle Martina Barcelloni Corte. Au sein de nos Facultés, cette fonction est organisée de manière très concrète à travers la méthode de “recherche par le projet” : le projet en atelier nécessite une recherche plus large qui, à son tour, alimente le projet. Ce sont aussi des ateliers précieux pour les étudiants, immédiatement confrontés aux enjeux environnementaux et sociétaux de la transition. Ils entrevoient le rôle qu’ils auront à jouer dans les prochaines décennies, et qui n’est plus celui de l’architecte des années 1990-2000. Aujourd’hui, celui-ci doit être conscient de son impact dans un système écologique territorial et global, à une autre échelle que 10 mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ à la une

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