LQJ-282

LQJ : Doit-on alors s’attendre, en particulier en FWB, à une énième vague d’austérité pour tenter d’alléger l’endettement ? D.P. : Si l’on décide collectivement qu’il faut effectivement en revenir à des politiques budgétaires restrictives pour combler les déficits des différentes entités, la question – classique dans l’histoire du fédéralisme en Belgique – est celle de savoir qui va prendre en charge cet assainissement budgétaire. Les effets de la pandémie sur le budget des entités fédérées seront sans doute discutés, quoique avec retard, dans le cadre de la prochaine réforme de l’État. À cette occasion, les francophones pourraient remettre sur la table la question d’un refinancement de la FWB, voire des entités fédérées plus généralement. Une autre option pourrait être de tolérer le déficit de la FWB pour autant que, comme c’est le cas pour l’instant, ses conditions de financement sur les marchés financiers ne se détériorent pas. Les pouvoirs publics belges en général, en ce compris la Communauté française, continuent en effet à être perçus par les marchés financiers comme des acteurs fiables, ce qui leur permet d’emprunter sans difficulté à des taux extrêmement avantageux pour couvrir leur déficit (non sans contrepartie importante toutefois, puisque les entités fédérées sont dès lors toujours plus liées aux marchés financiers et à leurs exigences). Ceci pose la question plus générale de savoir dans quelle mesure la dégradation des finances publiques doit être considérée comme un problème qu’il convient de résorber et, le cas échéant, à quel rythme. Cette dernière question, qui est bien entendu l’objet de débats en Belgique, est elle-même liée à la politique budgétaire européenne. Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), plus connu sous le nom de “pacte budgétaire européen”, fixe un cap tout à la fois clair et orthodoxe : selon ce traité, l’unique objectif de la politique budgétaire de chaque État membre devrait être d’atteindre l’équilibre des comptes publics. Dans la pratique, la Commission européenne a cependant fait montre d’une certaine souplesse en la matière, à rebours de son positionnement très strict au lendemain de la crise financière. Ainsi, le fait que la Belgique ait une dette publique presque deux fois plus importante que celle autorisée par les traités européens n’a jusqu’alors mené à aucune sanction formelle de l’Union européenne. Par ailleurs, les règles budgétaires européennes sont actuellement suspendues afin de laisser les États adopter toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à la crise sanitaire. Si cette situation se maintient, la Belgique pourrait tout à fait décider de laisser aux entités fédérées plus de temps pour absorber le choc de la crise sanitaire. Toutefois, si l’orientation européenne devait évoluer dans le sens d’un redressement budgétaire rapide des différents États membres, les conséquences de ce changement sur le fédéralisme financier en Belgique seraient importantes dans la mesure où la question de la répartition des efforts d’assainissement budgétaire entre les différentes entités se poserait avec beaucoup plus d’acuité. On voit donc que, sur le plan budgétaire, la prochaine réforme institutionnelle en Belgique est étroitement liée à celle en cours des règles budgétaires européennes contenues dans le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) : selon que l’orientation budgétaire européenne sera plus ou moins ouverte, se décidera aussi l’urgence des réformes des finances publiques à adopter en Belgique. LQJ : Quel est le scénario le plus probable, selon vous? D.P. : J’ai l’impression que nous allons vers un scénario à deux vitesses. Le Plan de relance européen pourrait, à cet égard, être annonciateur de la politique suivie par les institutions européennes à l’avenir. Je veux dire que, d’un côté, les institutions européennes pourraient accepter que les États membres génèrent du déficit pour financer des investissements publics jugés “productifs” ; d’un autre côté, il est probable qu’elles demeureront attentives à ce que les dépenses, sociales notamment (systèmes de pensions, de soins de santé, etc.), ne profitent pas de cet effet d’ouverture. Elles veilleront sans doute à ce que les États membres continuent d’adopter les réformes dites “structurelles” réclamées de longue date par l’UE. Autrement dit, dans ce système à deux vitesses, les institutions européennes pourraient profiter de la réforme du PSC pour mettre davantage en évidence les objectifs qu’elles poursuivent en matière d’investissements stratégiques dans le domaine de la transition écologique ou numérique, par exemple, cependant qu’elles profiteraient aussi de leur droit de regard sur les finances nationales pour continuer à mettre une certaine pression sur la réforme des systèmes sociaux et ainsi lutter contre les “coûts du vieillissement” (c’est-à-dire les dépenses de retraite et de soins de santé au bénéfice des retraités), favoriser encore la “flexibilisation” du marché du travail, etc. Un scénario alternatif de sortie de crise – plus radical mais aussi plus improbable et pas vraiment à l’agenda des institutions européennes – serait de faire contribuer les revenus 18 mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ l’opinion

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