LQJ-282

du capital de manière plus importante au financement des politiques publiques. Le conflit russo-ukrainien est en train de montrer qu’il est possible de bloquer les actifs financiers des plus grandes fortunes, ce qui donne de l’eau au moulin de ceux qui plaident pour une implication plus importante de leur part dans la gestion des finances publiques et le financement des défis à venir, par exemple sous la forme d’un impôt sur la fortune ou d’une taxe européenne sur les transactions financières. LQJ : On a vu l’autorité fédérale jouer un rôle important dans la coordination de la réponse à la crise sanitaire, tant en termes politiques que budgétaires. Ceci signale-t-il un retour à plus de centralisation ? D.P. : À l’échelle européenne, nous venons de voir que le pacte budgétaire cherche à limiter autant que faire se peut l’utilisation par les États de leur politique budgétaire pour réguler l’activité économique et sociale. Or, la crise sanitaire montre qu’en cas de choc sur l’économie, c’est bel et bien vers l’État que les entreprises, les citoyens et les institutions financières se tournent. Il existe donc une tension importante entre ce que les traités européens prescrivent – ils sont eux-mêmes le reflet d’une certaine doctrine économique – et les attentes réelles placées dans l’État et les pouvoirs publics lorsqu’il s’agit d’articuler des réponses budgétaires et monétaires à la crise. Peut-être donc que l’une des leçons positives de cette crise aura été de réaffirmer l’importance de l’État dans la conduite de la politique macro-économique, tant en termes d’absorption budgétaire des chocs économiques (comme celui causé par la crise sanitaire) que de pilotage de cette même politique économique, en direction de plus d’investissements “verts” en particulier. À l’échelle de notre pays, l’évolution historique du fédéralisme financier plaide plutôt en faveur d’une poursuite de la décentralisation des compétences et des moyens financiers à destination des entités fédérées. Il est peu probable que la primauté du fédéral observée durant cette crise soit de nature à changer fondamentalement la dynamique en œuvre depuis le début de la fédéralisation, en 1970 déjà. Certes, des partis plaident pour une recentralisation de certaines compétences et, avec celles-ci, de moyens financiers : soins de santé, mais aussi énergie et transports dans le but, par exemple, de développer une politique de mobilité coordonnée. Il s’agit sans aucun doute d’une option politique digne d’être envisagée. Mais je ne pense toutefois pas qu’elle soit plausible, notamment parce qu’elle n’est pas audible par la plupart des partis politiques flamands, ou d’ailleurs des régionalistes wallons. Au sortir de la crise, d’aucuns, au nord du pays, plaident plutôt pour une régionalisation accrue des compétences de santé. Autrement dit, il me semble que les responsables politiques du pays tirent, au crépuscule de cette crise, des conclusions identiques à celles qu’ils tiraient déjà avant celle-ci. La crise sanitaire a mis en évidence une tension entre la primauté du fédéral et la très grande décentralisation des moyens budgétaires et des politiques d’investissement. Elle ne semble cependant pas avoir donné lieu à une refonte majeure de la manière de concevoir les politiques publiques, le système de financement des entités fédérées et, plus largement, l’architecture fédérale en Belgique. LQJ : La complexité du fédéralisme financier en Belgique n’est-elle pas un obstacle lorsqu’il s’agit d’affronter des enjeux majeurs ? D.P. : C’est un propos que l’on retrouve typiquement chez les acteurs politiques aux inclinations plutôt belgicaines. C’est aussi le point de vue des institutions européennes lorsqu’elles examinent la Belgique, notamment lors de la mise en œuvre de la politique budgétaire. Il est vrai qu’il est difficile, en Belgique, d’élaborer une stratégie coordonnée de réponse à différents enjeux, à court terme s’agissant de la crise sanitaire, comme à long terme s’agissant de la transition énergétique. La fragmentation institutionnelle a, de mon point de vue, pour effet de conférer davantage d’autorité à des sources externes, telles que les marchés financiers ou les institutions européennes. Ces dernières ont en effet un poids relativement important chez nous et apportent généralement une direction “par défaut”, en l’absence du développement de toute vision propre en Belgique. Dans le même temps, cette fragmentation répond à un souhait démocratique exprimé de longue date par les partis politiques flamands et, au-delà, le mouvement flamand en général, tout comme d’ailleurs le mouvement wallon, dont les racines historiques sont profondes et qui a, lui aussi, réclamé, en matière économique, la possibilité de prendre son destin en main. Il semble donc au mieux illusoire, au pire anti-démocratique, de vouloir renverser totalement cette tendance. Ce qui ne veut bien évidemment pas dire qu’aucune réforme budgétaire, institutionnelle ou autre, ne peut chercher à améliorer le bien-être de l’ensemble de la population. mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ 19 l’opinion

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