LQJ-282

SURGÉNÉRATEURS Force est en effet de constater que bien des nouvelles filières ne résolvent pas ces deux principaux problèmes. Ainsi en va-t-il de la filière dite “haute température”. Dans ce cas, le modérateur n’est plus de l’eau mais du graphite et le réacteur n’est plus refroidi avec de l’eau mais avec de l’hélium. Certes, le rendement de conversion chaleur/électricité a augmenté, ce qui diminue la quantité de combustible utilisée, donc de déchets. Mais déchets il y a toujours… Et il est toujours nécessaire de refroidir le cœur à l’arrêt. Autre tentative, la filière dite surgénératrice. Cette fois, le principe est fort différent puisque le combustible de base n’est plus ici de l’uranium 235 (235U) comme précédemment mais de l’238U, très abondant, transmuté en plutonium 239 (239Pu). C’est le cas du Superphénix français… qui a connu bien des déboires jusqu’à son arrêt en 2008. L’intérêt de cette filière était de disposer d’un stock de combustible presque infini, d’autant qu’elle pouvait aussi utiliser le combustible usagé de la filière classique pour l’uranium et du démantèlement des armes nucléaires pour le plutonium. Un mieux donc côté déchets. Mais un pire côté refroidissement du cœur à l’arrêt, celui-ci ne pouvant se faire grâce à de l’eau mais avec du sodium, très réactif à l’air et l’eau, donc exigeant des techniques très complexes. Exit par conséquent cette filière qui semble ne plus avoir progressé depuis l’échec de Superphénix et de quelques autres. Une variante fait cependant quelquefois parler d’elle : la filière thorium. L’238U est remplacé par le thorium 232 transmuté en 233U par absorption neutronique, élément fissile qui n’est plus disponible dans la nature mais est recréé à partir du thorium. Cette filière est parfois appelée “verte” car les produits de fission qui en sont issus ont une durée de vie moins longue. Elle pourrait n’intéresser que des pays qui ne disposent ni d’238U ni de plutonium. Pierre Dewallef se montre plus intéressé par une autre variante. Il s’agit toujours de surgénérateurs à neutrons rapides, mais refroidis au plomb liquide ou par un mélange eutectique plomb/ bismuth. « C’est une voie qui cumule les deux avantages, explique-t-il. D’une part, comme dans les autres surgénérateurs, l’utilisation du combustible est optimale. Il y a donc moins de déchets. Mais, surtout, l’utilisation du plomb permettrait un refroidissement naturel du réacteur à l’arrêt, grâce au transport de chaleur par simple convection naturelle, donc sans apport d’énergie externe. » L’acronyme SMR pour Small Modular Reactors revient souvent dès que l’on s’interroge sur l’avenir du nucléaire. Il ne s’agit cependant pas d’un nouveau concept physique mais d’une manière différente de construire les réacteurs. En fait, toutes les filières peuvent se décliner en mode SMR. « Il ne s’agit plus ici de réaliser des économies d’échelle sur le gigantisme, explique Pierre Dewallef, mais de les réaliser en construisant à la chaîne de petits réacteurs standardisés. Les grandes centrales actuelles demandent à être rechargées en combustible tous les trois ou quatre ans, voire tous les ans pour certaines. Ce sont des opérations complexes. Les SMR, eux, sont conçus comme des réacteurs à usage unique : ils sont livrés chargés sur le site d’exploitation ; le constructeur viendra les rechercher lorsque le combustible sera épuisé, dans certains cas extrêmes au bout de 30 ou 40 ans. » Le système semble donc cumuler les avantages : construction standardisée en série, pas de réapprovisionnement, donc moindre risque de prolifération, coût moindre et implantation plus facile, notamment dans des lieux isolés. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, plus de 65 projets de SMR variés sont aujourd’hui à l’étude partout dans le monde. MYRRHA Le système de refroidissement plomb/bismuth est celui qui a été retenu pour le réacteur expérimental Myrrha en construction au Centre d’études nucléaires (CEN) de Mol. Le concept de Myrrha échappe à tout ce qui existe aujourd’hui. Il est en effet un réacteur sous-critique piloté par un accélérateur (Accelerator Driven System ou ADS). Et selon un imposant rapport de l’Office parlementaire (français) d’évaluation des choix scientifiques et technologiques consacré à l’énergie nucléaire du futur, les ADS sont en développement essentiellement en Chine et en Belgique, là où le programme est “sans doute le plus avancé au monde”. Réacteur de recherche – il n’est pas destiné à produire de l’énergie –, Myrrha supprime le risque d’emballement. Dans les autres types de réacteur, lorsqu’un neutron entre en collision avec un atome fissile (uranium par exemple), ce dernier se désintègre, ce qui libère de nouveaux neutrons qui, à leur tour, fissionnent en un autre atome fissile, et ainsi de de suite. D’où le déclenchement d’une réaction en chaîne s’il y a suffisamment de combustible (masse critique) et la nécessité de contrôler la réaction dans un réacteur. Myrrha, pour sa part, ne contient pas suffisamment de combustible pour que la réaction s’installe. Comment alors le faire fonctionner ? En lui injectant des neutrons venus de l’extérieur ! En l’occurrence, ici produits par un accélérateur de particules. Ou plus exactement, l’accélérateur envoie un faisceau de protons qui vont bombarder une cible au centre du réacteur, ce qui produit les neutrons nécessaires à la réaction de fission. L’arrêt de ce type de réacteur est donc instantané : il suffit d’arrêter la production de protons en mettant 28 mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ omni sciences

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=