LQJ-282

l’accélérateur hors tension ! Mais ce n’est pas la seule caractéristique remarquable du réacteur du CEN. Le refroidissement au plomb-bismuth a l’avantage de ne pas trop ralentir les neutrons de fission qui vont se révéler fort utiles. Les chercheurs les utilisent en effet pour étudier la transmutation des déchets. Le neutron, qui n’est pas chargé électriquement, est la meilleure particule pour réaliser le vieux rêve des alchimistes : changer un élément en un autre ! Pas question cependant de transformer ici du plomb en or mais plutôt des produits de fission comme le technétium 99 ou l’iode 12 (dont la radioactivité dure très longtemps) en d’autres éléments stables (ils ne sont plus radioactifs) ou au temps de radioactivité bien plus court. « Myrrha a cependant un autre but, explique Pierre Dewallef, celui de produire des isotopes à usage médical à partir d’une partie des protons produits par l’accélérateur. Avec l’arrêt envisagé des centrales actuelles, nous perdrions une source importante de ces isotopes. Il faut la remplacer et Myrrha doit étudier cette question. C’est même un de ses objectifs principaux. » Qu’il ne remplira pas de suite… Malgré l’aide européenne, Myrrha n’en est en effet toujours qu’à sa première phase, la construction de l’accélérateur mais à puissance réduite. Viendra ensuite celle de l’accélérateur à grande puissance. Et si les financements suivent, le réacteur, pour sa part, ne serait mis en service qu’en 2036… DÉCHETS La transmutation n’est donc pas pour demain. « En 60 ans, nous ne sommes toujours pas d’accord sur la manière de gérer les déchets nucléaires, soupire le Pr Dewallef. Le débat perdure malgré l’existence de solutions très sûres comme l’enfouissement, la grande maîtrise technique et l’expérience accumulée. Un manque de consensus politique conduit à une situation absurde : le stockage de ces déchets dans des piscines qui ne sont même pas toujours situées dans l’enceinte de confinement mais dans des bâtiments qui n’ont que quelques décennies de durée de vie. Si l’on veut assurer un avenir au nucléaire, c’est sur le stockage à long terme que le débat devrait porter en priorité. » D’autres problèmes touchent cependant la filière. Tout d’abord, revenons un peu en arrière et voyons ce qui est advenu en Europe de certains types de réacteurs de troisième génération (on n’est donc pas du tout dans le futur du nucléaire…) de type EPR, c’est-à-dire à eau pressurisée. Ils ont été conçus dans les années 1990 pour améliorer la sûreté et la rentabilité. Deux sont opérationnels en Chine, mais seulement depuis 2018 et 2019. Un autre vient de l’être en Finlande, avec 12 ans de retard cependant. Quant à ceux qui devaient fonctionner en France à Flamanville et au RoyaumeUni à Hinkley Point, ils ne sont toujours pas reliés au réseau après une quinzaine d’années de travaux et leur coût a explosé. Les économies d’échelle créées par le gigantisme, marque du nucléaire dans le passé, ne sont tout simplement plus envisageables à cause de la complexité due à la multiplication des règlements et des précautions à prendre. Autre problème : l’absence d’investissent humain dans cette filière. « Les étudiants ne se pressent pas au portillon, remarque le Pr Pierre Dewallef. Et il n’y a plus guère de recherche en génie nucléaire dans notre pays si l’on excepte le Centre de Mol. Sinon, quelques recherches existent toujours mais sur des sujets un peu périphériques comme la gestion des déchets ou la résistance des matériaux. » Il en va de même dans le reste de l’Europe ou aux États-Unis : les jeunes n’imaginent plus faire carrière dans le nucléaire comme dans les années 1960 ou 1970. Comme le note le rapport à l’Assemblée nationale française cité précédemment : “Les succès initiaux des chercheurs et ingénieurs nucléaires français semblent avoir disparu de la mémoire collective (…)”. Au contraire de ce qui se passe en Chine et en Fédération de Russie (36 réacteurs en projet dans 12 pays) par exemple, où la compagnie d’État Rosatom n’éprouve aucune difficulté à recruter les meilleurs ingénieurs et chercheurs. Alors, quel avenir pour le nucléaire en Belgique ? La conclusion de Pierre Dewallef tombe sans appel : « À court ou moyen terme, je ne vois pas de technologie qui pourrait prolonger le nucléaire. » Le concept Myrrha échappe à ce qui existe aujourd’hui mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ 29 omni sciences

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