LQJ-282

Jean-François Orianne Sociologie de l’action publique et des problèmes du travail, facult des Sciences sociales Comme l’a bien montré Luc Boltanski, le recours incessant au vocable de la crise remplit au moins trois fonctions essentielles : la crise innocente l’élite dirigeante et les multiples “responsables” politiques, économiques, scientifiques ; elle fait croire à la nécessité du changement et permet ainsi une forme plus complexe de domination par le changement ; elle donne un blanc-seing aux “responsables” pour agir et “reprendre les choses en main”. En 2020, les systèmes sociaux ont fait la démonstration parfaite de leur auto-fonctionnement : des écoles sans élèves, des universités sans étudiants (juste quelques adresses IP), des entreprises en télétravail, des magasins sans autres clients que de simples empreintes visa, etc. Toute cela fonctionnait très bien, au regard d’un certain idéal d’efficacité, en reléguant les humains dans la sphère privée, où se canalisent protestation, indignation et frustration. En Belgique, comme ailleurs, les contours d’un État post-démocratique (une gouvernance d’experts) s’esquisse au rythme de ces multiples crises autoproduites (financière, terroriste, migratoire, sanitaire, etc.). Comme celles-ci sont confirmées par les médias de masse, la réalité sociale s’en trouve plus fermement cadenassée ; la critique n’a plus voix au chapitre. L’essentiel, dans un État post-démocratique, est que les thèmes conflictuels revêtent une forme qui ne leur permet plus de se généraliser ni d’être politisés. À chaque crise autoproduite, le totalitarisme légitime de la prévention gagne du terrain sur le débat démocratique et l’intelligence collective. La crise permet une double clôture du débat public, par les experts et par l’élite dirigeante. La crise désarme la critique en isolant socialement et thématiquement l’être humain pour que sa protestation demeure sans effet. Sybille Mertens Centre d’ conomie sociale, HEC-École de gestion Après des décennies de libéralisation des marchés et de privatisation des services collectifs, les deux années de crise ont remis en lumière l’importance de l’action collective, du moins si notre société souhaite gérer de manière juste et efficace les (nouveaux) risques sociaux. Dans les situations d’urgence, l’action citoyenne s’est révélée indispensable. Pensons par exemple aux masques produits bénévolement, aux secours portés par les citoyens aux sinistrés lors des inondations de juillet, aux dons et offres d’accueil de ces dernières semaines pour la population ukrainienne. Souple et proche des besoins, l’action collective citoyenne impressionne par sa grande réactivité ; elle exprime une solidarité chaude et permet de “faire société”. Mais elle n’est pas suffisante. Rapidement, l’action collective publique doit prendre le relais et apporter des réponses institutionnelles (plus universelles et plus coordonnées). Et pour moi, cela soulève deux questions. D’abord, comment mieux coordonner les deux types d’action pour gérer efficacement les conséquences des crises ? Mais surtout, comment nos décideurs publics peuvent-ils mieux s’appuyer sur la société civile (mouvements associatifs, entreprises sociales et durables) pour travailler en amont sur les causes de ces crises systémiques et opérer rapidement une transition vers des modes de vie plus soutenables ? Car l’action collective n’est pas que réparatrice. Elle se doit aussi d’être programmatique. M. Houet - ULiège 38 mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ univers cité

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