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qui se sont tenus à la fin de la guerre et ceux qui ont eu lieu lors du choix de l’enfouissement à Bure. On y retrouve les mêmes questions, la même absence de véritable solution face à quelque chose qu’on ne maîtrise pas, et les mêmes éléments de langage lors des sessions parlementaires. » En 2019, son documentaire, “Un héritage empoisonné ” met en lumière les similitudes entre les solutions choisies hier et aujourd’hui, pour le traitement de déchets dangereux. Avec une question : si en un siècle la mémoire s’est effacée, comment espérer qu’elle perdure pendant les milliers d’années que survivront les déchets radioactifs ? LE POUVOIR DU NON-POUVOIR Interrogeant la place de l’être humain dans son environnement, Isabelle Loodts s’intéresse naturellement à l’écoféminisme [voir p. 54] et aux travaux de Françoise d’Eaubonne. Ecrivaine libertaire, pionnière du féminisme, auteure en 1978 d’un ouvrage intitulé Écologie et féminisme, Révolution ou mutation, Françoise d’Eaubonne est à l’origine du concept d’écoféminisme qui établit des parallèles entre la domination masculine et la surexploitation de la nature par le genre humain. « Françoise d’Eaubonne y propose notamment de dépasser le conflit d’un genre contre l’autre, en remplaçant le pouvoir par le non-pouvoir, et en traitant chaque individu en tant que personne, explique Isabelle Loodts. Et je pense que si j’ai été invitée par le Feminist & Gender Lab, c’est parce que ma démarche est symbolique de ce qu’est l’écoféminisme, un mouvement non structuré et non revendiqué, mais où les parallèles se créent au fil des observations. On y trouve une grande diversité, et une attention pour le lien entre l’être humain et son environnement indissociable de la question sociale », explique-t-elle. Des écrits de Françoise d’Eaubonne, Isabelle Loodts garde avant tout la notion de mutation, qu’elle appelle de ses vœux pour notre société, en cette époque si particulière. « Il s’agit d’un constat posé par plusieurs femmes, racontet-elle. Lors d’une révolution, on écrase le pouvoir pour mettre en place un contre-pouvoir. Or, l’écoféminisme, dont on peut faire remonter la filiation dans les propos de l’anarchiste et écrivaine Louise Michel au XIXe siècle, intègre cette notion de mue de la société. Une mutation longue, qui permettrait de remanier en profondeur le système dans lequel on vit. L’être humain s’est cru tout puissant au sein de la nature, et celle-ci nous le fait payer aujourd’hui. Et elle continuera à le faire, tant que nous n’aurons pas entrepris de résoudre nos problèmes environnementaux, c’est-à-dire tant que nous n’aurons pas entrepris une mutation de nos systèmes productivistes. » À ce titre, Isabelle Loodts réfute l’idée d’un anthropocène. « La notion d’effondrement, de destruction de l’environnement et de la biodiversité n’est pas intrinsèque à l’être humain. De nombreuses sociétés basées sur une forme d’équilibre ont existé et existent encore. » À la place, la documentariste préfère la notion de “capitalocène”« qui globalise, qui uniformise. De la même manière que la biodiversité est absolument nécessaire pour la durabilité des espèces, il est vital pour nous d’avoir une diversité des systèmes de pensées. » Malgré ce constat plutôt sombre, Isabelle Loodts n’est pas pour autant pessimiste. « Je pense réellement que nous sommes à un tournant. Il existe un vrai désir de changement de la société, je le constate tous les jours sur le terrain. » Pour entamer cette mutation, la documentariste appelle alors à ne pas tout voir selon le prisme du genre, et à remettre les fondamentaux en question : « Pour de nombreux problèmes, il y a une incrimination des hommes plutôt que du patriarcat. Or, ramener des problèmes de société à la question du genre finit par nous diviser davantage. Il existe dans notre éducation une triangulation qui nous force à porter le rôle du bourreau, de la victime ou du sauveur. Nous devons apprendre aux gens, et en particulier à nos enfants, à la reconnaître et à s’en extraire, afin de reconquérir un progrès commun. » POUR ALLER PLUS LOIN Alice Cook et Gwyn Kirk, Des femmes contre des missiles. Rêves, idées et actions à Greenham Common, trad. Cécile Potier, préface de Bénédikte Zitouni, Cambourakis, Paris, 2016 Françoise d’Eaubonne, Le féminisme ou la mort, Le Passager clandestin, Paris, 2020 Émilie Hache, Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Cambourakis, coll. “Sorcières”, Paris, 2016 Mies et Vandana Shiva, Écofeminisme, trad. Edith Rubinstein, L’Harmattan, Paris, 1998 Fatima Ouassak, La puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire, La Découverte, Paris, 2020 Val Plumwood, Dans l’œil du crocodile. L’humanité comme proie, trad. Pierre Madelin, WildProject, Paris, 2021 Anna Lowenhaupt Tsing, Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, trad. Philippe Pignarre, La Decouverte, Paris, 2017 mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ 55 l’ invitée

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