LQJ-282

M.C. : À l’inverse, la figure du géniteur absent en tant que père fait presque partie de la norme sociale. La figure de la génitrice qui n’est pas mère est, elle, beaucoup plus rare, plus stigmatisée. Cela s’apparente à une forme de déviance. On pense à la mère prostituée, droguée, à l’accouchement sous X qui n’est d’ailleurs pas autorisé dans tous les pays. Ce qui explique le système des baby box dans les murs des hôpitaux. Les génitrices peuvent y déposer un bébé, une alarme se déclenche et quelqu’un derrière le mur vient le récupérer. C’est dire à quel point il est difficile de penser le fait qu’on peut être génitrice sans être mère. S.H. : Si les choses évoluent, il reste encore du chemin à parcourir. Si un père disparaît de la vie de l’enfant, cela perturbe un peu mais si c’est la mère qui s’éclipse dans les premières années de la vie de l’enfant, c’est un choc terrible. Récemment, j’ai été confrontée au cas d’une mère qui était partie en France en laissant les enfants au père. Cela a créé un vrai choc aussi bien dans l’entourage familial qu’au sein des équipes de travailleurs sociaux, tout à fait scandalisés. Cette femme était considérée comme totalement indigne, irresponsable, alors que cela arrive tellement souvent qu’un père disparaisse dans la nature sans que cela ne soulève le moindre tollé. LQJ : La question de l’accès à l’avortement ainsi que celle des techniques de procréation médicalement assistée sont également importantes lorsque l’on parle des possibilités laissées à la femme de devenir ou non, mère. M.C. : Effectivement. La Russie a ainsi été le premier pays au monde à légaliser l’avortement en 1920. Il y a ensuite juste eu une parenthèse sous Staline qui l’avait interdit. Mais en dehors de cette période, l’avortement s’est révélé très accessible en Union soviétique, davantage que dans certains pays européens tels que la France et la Belgique qui ont mis en place toute une série d’obstacles comme les entretiens préalables ou la fameuse semaine de réflexion. L’injonction à la maternité se ressent aussi dans les lois qui encadrent l’avortement partout dans le monde et notamment en Occident. Il y a toujours l’idée qu’une femme doit réfléchir deux fois avant d’avorter. En Russie soviétique, ces dispositifs n’existaient pas. Cela a fini par arriver, mais très récemment. S.H. : C’est étonnant si l’on considère qu’il n’y a que 10 % de femmes qui n’ont pas d’enfant en Russie ! M.C. : Oui, c’est un paradoxe. L’URSS était dirigée de façon autoritaire. Beaucoup d’aspects de la vie étaient étroitement contrôlés par l’État, mais c’était moins le cas de l’avortement. LQJ : Quant à la procréation médicalement assistée (PMA), elle a été ouverte aux femmes célibataires en Russie à partir des années 1980. M.C. : Beaucoup de pays occidentaux, comme la France, ont autorisé la PMA pour les couples hétérosexuels, ce qui excluait les couples homosexuels ainsi que les femmes célibataires. En Russie, l’injonction à la maternité est tellement forte qu’on comprend très bien qu’une femme sans homme ait malgré tout un enfant et la PMA est là pour répondre à cette demande. On s’attend ensuite que la mère poursuive sa quête d’un conjoint : la norme de la conjugalité passe au second plan par rapport à celle de la maternité, mais elle ne disparaît pas. 64 mai-août 2022 / 282 ULiège www.ul iege.be/LQJ le dialogue

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