LQJ-283

Les forêts recouvrent 30 % des terres émergées de la planète. Contrairement aux idées reçues, elles ne sont pas la première source d’oxygène de notre atmosphère – ce titre revient au phytoplancton. Mais c’est surtout pour leur capacité à stocker du carbone qu’elles font actuellement l’objet de toutes les attentions. Certaines études estiment que leur préservation pourrait réduire de 15 % nos émissions de CO2 d’ici à 2030. Pourtant, cela ne doit pas occulter les nombreux autres services écologiques qu’elles nous rendent : protection contre l’érosion des sols, filtration de l’eau, protection de la biodiversité… La FAO – l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture – estime ainsi que les forêts fournissent un habitat pour 80 % des amphibiens, 75 % des oiseaux et 68 % des mammifères. Pour Jean-François Bastin, chargé de cours à la faculté Agro-Bio Tech de Gembloux et spécialiste des forêts tropicales, cette vision multifonctionnelle des forêts constitue « un profond changement de mentalité, car elles ont été considérées uniquement comme des ressources exploitables, en particulier de bois, pendant longtemps ». Pourtant, en dépit d’une certaine disparité autour du globe, les forêts perdent encore du terrain, au rythme de 10 millions d’hectares par an entre 2015 et 2020, relarguant au passage des millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère. Une régression qu’il est important de stopper, si l’on veut contenir l’augmentation des températures en-dessous des 2°C. LA FORÊT REDÉFINIE Mais avant même d’évoquer la restauration des écosystèmes, encore faut-il savoir de quoi on parle. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’existe pas de définition unanime de la forêt. « En fonction de l’endroit de la planète où vous vous trouvez, une forêt revêt des réalités très différentes », précise Jean-François Bastin. Toujours selon la FAO, une forêt est un territoire dont la superficie est supérieure à 0,5 hectare, le couvert de la canopée supérieur à 10 % et la hauteur des arbres supérieure à 5 mètres. Cependant, lorsqu’on écoute Christian Messier, la forêt prend un aspect beaucoup plus sensible. Ce professeur d’écologie forestière à l’université de Québec à Montréal et en Outaouais, directeur de l’Institut des sciences de la forêt tempérée, a obtenu en 2022 une chaire Francqui à la KULeuven, afin de développer des collaborations avec des chercheurs belges, notamment avec Jean-François Bastin. Pour lui, « une forêt est un écosystème dominé par l’arbre, et où ce dernier a la plus grande influence sur les échanges d’énergie avec le milieu extérieur. Il s’agit d’un système qui se régénère de lui-même sans l’influence de l’homme. Cette définition permet d’exclure les parcs urbains, ainsi que les grandes plantations de monocultures que certains considèrent malheureusement comme des forêts. » Cette notion de résilience et de régénération est très importante aux yeux des chercheurs. « Autrefois, une forêt en bonne santé désignait un écosystème sans perturbation, c’est-à-dire sans épidémie ni insectes ravageurs, rappelle Christian Messier. Or, on sait aujourd’hui que ces perturbations font partie intégrante du milieu. Par exemple, la forêt boréale du Québec subit tous les 40 ans une épidémie d’insectes qui détruit tous les sapins : 40 millions de morts ! Mais en réalité, cette épidémie maintient le sapin dans la région, en permettant aux jeunes pousses de se développer. Cela crée également du bois mort, un habitat dont dépendent de nombreux organismes. Cette notion de bonne santé ne me semble donc pas très pertinente. » Afin d’observer des écosystèmes de cette taille et éventuellement, de déterminer leur degré de dégradation, les chercheurs réalisent donc des suivis réguliers. « Tout pays doit avoir un inventaire de ses forêts, estime Christian Messier. Chacun est obtenu grâce à des placettes permanentes, réparties aléatoirement sur le territoire forestier, qui monitorent l’évolution des arbres. » Un idéal qui n’est malheureusement pas accessible partout. « Ces inventaires existent surtout dans les pays du Nord, qui en ont les moyens, regrette Jean-François Bastin. Cependant, on assiste à un essor de nouvelles technologies à des coûts abordables et utilisables en recherche. Elles nous permettent d’obtenir de nombreuses informations qui sont complémentaires avec les mesures de terrain. » Souvent monospécifiques, les forêts européennes sont fragiles 12 septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ à la une

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=