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nauté scientifique, et pas seulement en Afrique. Une forêt comme l’Amazonie pourrait progressivement disparaître dès 2030 pour laisser place à une savane, et ce, malgré tous les efforts engagés pour sa préservation. « Il faut voir les forêts comme des écosystèmes qui ne réagissent pas linéairement à un changement de conditions environnementales, explique Jean-François Bastin. Par exemple, même si on observait une augmentation des températures et des précipitations d’année en année, on ne verrait pas s’installer une forêt tropicale ici en Belgique. Les forêts sont des systèmes résilients, qui possèdent une grande plasticité vis-à-vis des perturbations extérieures. Cependant, et sous la pression conjuguée de plusieurs facteurs comme la déforestation et le changement climatique, les forêts deviennent incapables de se régénérer. Les plantules ne se développent plus et laissent place à un nouvel écosystème qui, lui, est parfaitement adapté aux nouvelles conditions. » « Je donne souvent l’exemple d’un enfant rebelle face à ses parents, sourit (tristement) Christian Messier. Les parents tolèrent beaucoup de choses vis-à-vis de leurs enfants : les cris, les pleurs, les caprices… Les parents encaissent et contrôlent leurs émotions, malgré une certaine dégradation physique et psychique. Puis l’enfant fait une bêtise de trop, et les parents explosent. Dès lors, il leur est impossible de revenir à leur état initial, peu importe leurs efforts. L’énergie nécessaire est infiniment supérieure à celle mise en œuvre avant de basculer. Il en est de même pour nos forêts. Et nous n’avons pas les moyens d’agir a posteriori », insiste-t-il. Alors, que faire ? À en croire les scientifiques, “rien” n’est pas une réponse. « Protéger les forêts et les laisser se régénérer en empêchant toute intervention humaine, comme on l’entend souvent, est une notion qui ne fonctionne plus, estime Christian Messier. Même en l’absence d’exploitation, les forêts vont devoir faire face à de nombreuses perturbations. Nous commençons à voir les conséquences d’une simplification des forêts. Elles n’ont été capables de survivre jusqu’à aujourd’hui que grâce à des conditions relativement stables. Or, nous entrons dans une grande phase d’instabilité, avec de nombreuses inconnues qui, en l’absence d’action de notre part, vont causer beaucoup de dégâts. » « Le changement climatique est déjà en cours, ajoute Jean-François Bastin, ce qui rend impératif de réfléchir sur ce qui constitue une forêt durable à l’horizon 2050. En dépit des incertitudes, nous ne travaillons pas à l’aveuglette, car l’immensité des travaux scientifiques menés jusque-là donne une idée de la direction que va suivre le climat. » Selon les deux chercheurs, le meilleur moyen de lutter contre son changement, tout en faisant face à l’inconnu, consiste donc à diversifier nos écosystèmes forestiers afin d’augmenter leur résilience. « Actuellement, de nombreuses initiatives proposent de replanter des arbres. C’est une intention noble, mais qui ne fonctionne pas car elle ne recrée pas la complexité d’un écosystème, estime Christian Messier. C’est pourquoi nous proposons d’être plus intelligents, et de retourner aux fondements de l’écologie et de la nature. Créons des forêts diversifiées pour que, peu importe ce qui les attend, elles soient capables d’encaisser le choc. » Pour le comprendre, Christian Messier opte pour la métaphore des fonds de placement. « Il est impossible de prédire l’avenir, et les financiers le savent bien. Ainsi, ils diversifient leurs investissements et, quoi qu’il arrive, ces derniers génèrent un rendement intéressant. » Dans une forêt, cela se signifie planter des espèces aux traits fonctionnels hétéroclites. Certaines seront tolérantes aux feux quand d’autres seront résistantes à diverses maladies ou insectes, ou encore aux événements climatiques extrêmes comme les tempêtes et les vents violents. « Et cette diversité doit s’accompagner d’une certaine redondance dans leurs propriétés, souligne le chercheur. Autrement dit, pour chaque fonction, il faut sélectionner plusieurs essences aux propriétés similaires. Imaginez que vous souhaitiez rendre une Les perturbations sont parfois bénéfiques au milieu. 16 septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ à la une

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