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qui ont par exemple une forme de ressort ou celles constituées de parties mécaniquement liées (comme l’exemple de l’anneau coulissant sur un axe). Dans ce cas, même si vous étirez la molécule jusqu’à la casser, les éléments constitutifs restent relativement proches et les degrés de liberté sont restreints. On pourra donc examiner si la liaison se reconstitue et après combien de temps. Mais aussi voir comment cela varie en fonction de la force mécanique qui est appliquée. On espère ainsi résoudre une des grosses limitations de la spectroscopie de force, à savoir qu’elle n’est pas capable de voir ce qui se passe après la rupture des liaisons chimiques. » Un pari qu’Anne-Sophie Duwez et son équipe espèrent gagner grâce à l’utilisation du microscope à force atomique bien sûr, mais aussi à celle de pinces optiques [voir encart ci-dessous] qui ne permettent pas de briser des liaisons covalentes, mais des plus faibles, et avec un résultat offrant une meilleure résolution en force que le microscope à force atomique. MATÉRIAUX DU FUTUR Les recherches d’Anne-Sophie Duwez ouvrent des perspectives dans deux domaines au moins. Le premier est celui des matériaux. Ceux-ci sont soumis à des contraintes, des forces ; il est donc important de comprendre l’effet de celles-ci sur les liaisons, notamment en fonction de leur géométrie. Et peut-être de s’apercevoir que telle molécule, choisie sur le seul critère des énergies de liaison, n’est donc pas nécessairement le meilleur choix pour constituer un matériau avec de bonnes propriétés mécaniques ! Les travaux du laboratoire liégeois devraient également permettre d’ouvrir de nouvelles pistes en mécanochimie de synthèse qui consiste à ne pas travailler en solution en utilisant une énergie standard comme la chaleur, mais à soumettre des composés à des forces mécaniques afin de synthétiser de nouvelles molécules. Une chimie verte puisqu’elle se passe des solvants si souvent incriminés pour leur caractère polluant. En deux mots, une pointe (sonde) constituée de quelques atomes seulement à son extrémité balaie à une très petite distance (de l’ordre du nanomètre) la surface de l’échantillon à examiner. Des électrons (courant électrique) vont passer entre la pointe et la surface par effet tunnel. En mesurant le courant électrique qui passe dans la pointe, on peut reconstituer la position des atomes d’où ils s’échappent et donc une “image” de la surface de l’échantillon. L’effet tunnel est un phénomène de physique quantique connu depuis 1928. En physique classique, si une particule a une énergie cinétique inférieure à l’énergie potentielle de liaison, elle ne pourra pas s’échapper d’un système. Mais c’est possible en mécanique quantique : même si son énergie cinétique est en principe insuffisante, une particule va s’échapper comme si elle empruntait un tunnel à travers la barrière d’énergie potentielle. La mise au point du microscope à effet tunnel va révolutionner la science et ouvrira l’ère des nanotechnologies. Dans les années qui suivent, parmi d’autres applications, le microscope à force atomique (ou AFM pour Atomic Force Microscope) va être mis au point. Dans ce cas, ce sont des attractions ou répulsions entre la pointe et l’échantillon qui vont être enregistrées et analysées. Les scientifiques peuvent ainsi, par exemple, observer des molécules pendant une réaction chimique, donc les modifications de leur structure. Ces technologies firent écho au célèbre discours de 1959 de Richard Feynman (un autre prix Nobel de physique), “There is plenty of room at the bottom”, qui appelait les scientifiques à s’intéresser au monde à l’échelle des atomes et des molécules. Un prix international a d’ailleurs été créé en 1993 en son honneur et est décerné tous les ans à des scientifiques dont les travaux ont le plus fait progresser la réalisation de l’objectif de Feynman en matière de nanotechnologie : la construction de produits de précision atomique. Anne-Sophie Duwez a reçu ce prix très prestigieux en 2021. L’autre technique utilisée au sein de NanoChem est celle des pinces optiques, également mise au point dans les années 1980 et qui a aussi valu le prix Nobel de physique à ses inventeurs. Elle consiste à piéger une molécule, une particule ou une cellule sur des billes micrométriques à l’aide d’un faisceau laser. Une fois piégées, elles peuvent être déplacées physiquement et manipulées. 35 septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ omni sciences

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