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bactériophage tempéré. » C’est vers les bactériophages lytiques que se pose l’attention des chercheurs en phagothérapie. « À l’inverse des phages tempérés, ceux-ci vont se multiplier et détruire la bactérie pour se disséminer. Dans un premier temps, ils vont s’y fixer et peuvent utiliser certaines enzymes, tel le qu’une dépolymérase, qui va dégrader la matrice entourant certaines bactéries (sa capsule), ou le biofilm à l’intérieur duquel vit une communauté bactérienne. Ils vont ensuite faire entrer leur génome et engager la machinerie cellulaire de la bactérie pour se multiplier. » En d’autres termes, ils se multiplient à l’intérieur de la bactérie hôte, mais doivent en sortir une fois les nouveaux virus formés. Ils vont alors libérer d’autres protéines ou enzymes qui, de l’intérieur, vont lyser la paroi de la bactérie et permettre la libération des nouveaux virions. À leur tour, ces virions vont infecter une nouvelle bactérie, et ainsi de suite. « C’est l’un des avantages du bactériophage, intervient Damien Thiry. Contrairement aux antibiotiques, il se multiplie au sein même du site d’infection. Par contre, le phage administré reste un intrus dans l’organisme et sera attaqué par le système immunitaire. Il finit donc par disparaître. Une seule administration de phages ne suffit souvent pas à venir à bout d’une infection. » C’est sur l’endolysine que Salomé Desmecht poursuit sa thèse de doctorat. « Si les bactéries développent des résistances aux phages, il semblerait que ces réponses soient moins franches face aux endolysines. Ces enzymes sont des protéines, que nous cherchons à isoler et à reproduire. Nous n’utilisons donc pas le virus dans son entièreté, mais uniquement une enzyme qu’il produit. C’est ce qu’on appelle un enzybiotique. » Seulement, dans son contexte naturel, l’endolysine ne lyse la bactérie que de l’intérieur. Or, l’administration thérapeutique se ferait de l’extérieur. « Nous devons modifier génétiquement la protéine en lui ajoutant un peptide qui lui permettra de dégrader la membrane externe de la bactérie. » Plus spécifiquement, Salomé Desmecht s’intéresse aux phages de la bactérie Aeromonas salmonicida. Infectant les truites, les saumons et les carpes d’élevage, elle est à l’origine de la furonculose. « Cette maladie mortelle est responsable d’importantes pertes dans les élevages piscicoles. Pour contrôler cette infection, et plus généralement les infections bactériennes, les poissons d’élevage sont habituellement traités de manière prophylactique (préventive) ou métaphylactique (si un animal au sein d’un lot est malade, la totalité du lot est traitée) plutôt qu’individuellement. Des antibiotiques sont donc administrés en quantités massives, directement dans l’eau, et dans certains cas n’atteignent pas la concentration thérapeutique requise. Ainsi exposées aux antibiotiques, les bactéries peuvent rapidement développer des résistances. Pour éviter ce phénomène, la phagothérapie pourrait être une alternative intéressante pour la gestion des maladies bactériennes en pisciculture. » COMMENT EMBRIGADER UN PHAGE ? Pour parvenir à produire des phages efficaces in vivo, les étapes sont nombreuses. Les débuts d’une étude aboutissent à son isolement. Fanny Laforêt, doctorante en médecine vétérinaire après avoir réalisé une spécialisation en santé publique, et Céline Antoine, également doctorante, étudient l’activité des phages in vitro et in vivo, dans le cadre de recherches en médecine humaine. « La première étape consiste à trouver les phages, intervient Fanny Laforêt. Pour le moment, je travaille sur la bactérie Klebsiella pneumoniae pouvant être à l’origine de cystites. » Céline, elle, étudie des souches d’E. Coli. Ces deux bactéries, pouvant être multirésistantes, se déploient dans le tube digestif. Et là où il y a des bactéries, il y a des phages. « Pour les trouver, nous prélevons des eaux d’égout en différents endroits. Plusieurs étapes de filtration, d’incubation et de tests in vitro nous permettent de détecter la présence de phages. Brièvement, des tubes troubles témoignent d’une prolifération de bactéries. Des tubes translucides laissent supposer la présence de phages ayant lysé et empêché leur croissance. La Belgique est pionnière dans le domaine de la phagothérapie, une alternative intéressante aux antibiotiques 50 septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ omni sciences

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