LQJ-283

le dialogue du numérique Le Quinzième Jour : Comment définir le numérique responsable ou “éco-responsable” ? Françoise Berthoud : C’est un terme que je conteste personnellement, et cela pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’une technologie ne peut pas porter en elle-même une responsabilité quelconque. De plus, utiliser ce terme laisse penser qu’on pourrait ajuster un numérique vraiment responsable par rapport à l’environnement, c’est-à-dire sans impact ou avec un impact moindre. Or, ce n’est pas possible sans changer fondamentalement le fonctionnement de la société. Je suis donc très critique par rapport à l’utilisation de ce terme, employé pour justifier le recours au numérique dans tous les secteurs alors que ce déploiement massif est à mon sens une très mauvaise idée. LQJ : Que proposez-vous alors comme terme ? F.B. : C’est drôle, car récemment on m’a demandé de revoir un texte à destination des enfants et dans lequel il y avait les termes “numérique responsable”, à peu près toutes les trois lignes. J’ai alors réfléchi à la manière dont je pouvais reformuler les choses et j’ai utilisé plutôt “usage plus responsable du numérique”. Nicolas Neysen : Je parlerais plutôt d’usage “raisonné” du numérique, c’est-à-dire encourager la modération sans toutefois entrer dans la décroissance. Comme vous pouvez le constater, il y a un grand écran derrière moi, il y en a plusieurs à HEC et je considère cela comme normal. Cela contribue à faciliter les échanges. La place du numérique est indéniable, tout comme les usages que l’on peut en faire. Le numérique, c’est ce qui nous a sauvés pendant la crise Covid en permettant la continuité de l’enseignement. En revanche, je suis d’accord pour dire qu’il y a toute une série d’usages déraisonnés aujourd’hui. Je pense notamment au streaming en ultra-haute définition, une gabegie sur le plan des ressources énergétiques, alors que l’œil humain ne verra pas la différence ! LQJ : Mais prônez-vous l’un comme l’autre une forme de “sobriété numérique” ? Est-ce cela l’usage plus responsable ou raisonné du numérique ? Pensez-vous que l’on y viendra de gré ou de force, justement parce que le numérique a un impact écologique de plus en plus lourd ? F.B. : Ce n’est pas du tout évident d’aller dans cette direction volontairement. Pour l’instant, si je prends le seul cas des entreprises, ce type d’initiatives, c’est peanuts ! Est-ce qu’un jour on sera tellement dans le mur qu’il n’y aura pas le choix ? Cela arrivera forcément tôt ou tard. En attendant, la terminologie “sobriété numérique”, c’est un peu comme le “numérique responsable”. C’est un terme valise ! Que peut-on mettre dedans ? Moi, je suis vraiment pour la décroissance. Il ne faut pas augmenter le poids du numérique. Le minima du minima serait à mon sens déjà de réduire le nombre d’objets connectés par personne, par entreprise, par collectivité, par bâtiment. Bref, partout ! Cependant, j’admets que tous ces objets peuvent rendre des services. Donc, en parallèle d’une diminution de ces objets, je plaide pour qu’on garde beaucoup plus longtemps ceux que l’on possède déjà. Tout cela signifie un profond changement de l’écosystème. Par exemple, pour pouvoir garder plus longtemps les objets, il faut que les nouveaux logiciels puissent être compatibles. Si on entre dans cette logique, à savoir moins d’objets et des objets qui durent plus longtemps, alors on atteindra une vraie sobriété avec des retombées positives évidentes. N.N. : Sur ce point, on se rejoint assez facilement. Les dernières recherches montrent bien que le problème se situe surtout au niveau des utilisateurs et qu’il n’est pas forcément le fait des méchants GAFAM. C’est individuellement que les efforts doivent être faits. Je pense que certaines entreprises font la démarche d’aller vers plus de sobriété numérique et l’ont inscrite au cœur de leur stratégie, avec des objectifs précis. Malheureusement, ces initiatives demeurent très minoritaires. Sur le plan sociétal, il suffit de regarder le résultat des dernières élections en France pour septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ 63

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