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se rendre compte qu’il n’y a pas de vague verte ! Pourtant, c’est aux politiques de prendre les choses en main. Il n’y a pas d’autre alternative, cela d’autant plus que nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous. F.B. : Désolée d’être en désaccord : à mon sens, les GAFAM ont une grande responsabilité à cause de leur modèle presque entièrement basé sur du marketing. Ils utilisent le digital pour vendre d’autres produits de consommation. Nous sommes là au cœur de l’usage du numérique dans l’idée de continuer à faire fonctionner la machine à croissance et donc à provoquer de la surconsommation qui correspond à la fabrique de désirs et pas du tout à des besoins essentiels. De ce point de vue-là, tout le monde a une responsabilité. Les consommateurs, eux, sont pris en otages dans ce système. Les séries sont faites pour qu’on continue à les regarder, les jeux sont pensés pour qu’on veuille y jouer encore, etc. N.N. : Oui, mais ce serait trop facile d’en faire les boucs émissaires. Il faut interroger nos usages quotidiens. Je crois que la population n’est tout simplement pas informée de ce que représente la consommation, de ce que ça fait d’avoir son modem allumé en permanence, même quand on part en vacances… Il y a bien pour moi une responsabilité collective. LQJ : Vous pointez la responsabilité des utilisateurs. Ce sont donc eux qui devraient être sensibilisés en priorité. Pourtant, au quotidien, tout est fait pour vanter les mérites du numérique, présenté comme la voie à privilégier à la place du papier… F.B. : Effectivement, il y a énormément d’actions qui visent à numériser complètement la société à grands coups de milliards, pour développer l’intelligence artificielle par exemple. Par ailleurs, il faut noter l’importance des subventions accordées pour encourager ce déploiement du numérique. Et puis, l’État adopte un double langage. D’un côté, le numérique devrait être “responsable” mais, d’un autre côté, quand nous allons au Parlement pour demander que les garanties obligatoires des équipements électroniques soient étendues à cinq ans, on nous répond que ce n’est pas possible car cela ferait perdre trop d’argent aux acteurs du secteur, c’est-à-dire à ceux qui vendent des extensions de garantie. On est donc en pleine dissonance avec des messages contradictoires. Une chose est sûre : le numérique est le secteur en croissance dans le monde, et c’est cela qui continue à faire tourner la machine. Point. N.N. : Il y a aussi un côté ambivalent. J’ai travaillé précédemment dans la consultance. À ce moment-là, on parlait de “green IT”, ce qui fait penser à des enjeux purement environnementaux. Le numérique responsable, c’est aussi autre chose. C’est aussi la fracture numérique par exemple. Il y a d’autres enjeux que celui des ressources employées. LQJ : Et vous avez d’ailleurs publié une carte blanche* dans laquelle vous repreniez un à un ces enjeux, à savoir la cybercriminalité, la fracture numérique, pour finir par la pollution numérique. Ce dernier thème semble nettement moins abordé que les autres. N.N. : Exactement. J’avais appelé cela le “côté obscur du numérique”. J’ai l’impression que ce sont des enjeux très prégnants. On a beaucoup parlé du diesel, du transport aérien. Or, si l’on compare, l’impact environnemental du numérique va bien au-delà de celui du transport aérien civil. Mais il ne faut pas oublier que les technologies numériques peuvent aussi aider à faire des économies. Ce n’est jamais tout blanc ou tout noir. Prenons l’exemple du nouveau bâtiment de HEC Liège. Le fait qu’il soit équipé de plusieurs capteurs reliés à une centrale de données permet de couper l’éclairage automatiquement dès qu’il n’y a plus de présence. Et il y a beaucoup d’autres exemples. Donc ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! F.B. : Il n’y a pas à ma connaissance d’étude complète qui démontre qu’un bâtiment hyperconnecté présente un avantage environnemental comparé à un même type de bâtiment avec les mêmes matériaux, mais au sein desquels se trouvent des personnes attentives à ne pas gaspiller l’énergie inutilement. Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : si on regarde la courbe d’évolution des gaz à effets de serre aux niveaux national et mondial depuis 1950, il y a les décrochements liés aux crises pétrolières dans les années 1970, un décrochement en 2008 au moment de la crise financière et enfin un dernier décrochement lié au Covid. Il n’y a aucun début de décrochement lié au numérique. Autrement dit, il n’y a aucune preuve que le numérique favorise la décarbonation des sociétés. C’est même le contraire. Alors, c’est difficile d’y voir clair, j’en suis consciente. Les politiques mettent toujours en avant ce que le numérique permet de faire sans jamais comparer avec des solutions sans numérique. Et quand je parle de comparaison, je veux dire une comparaison complète qui tienne compte de la fabrication, du transport, de l’obsolescence. Car attention ! Un bâtiment suréquipé devient obsolescent beaucoup plus rapidement qu’un bâtiment 64 septembre-décembre 2022 / 283 ULiège www.ul iege.be/LQJ le dialogue

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