LQJ-284

La réforme part du constat évident selon lequel la pression fiscale sur le travail est excessive en Belgique et qu’il est primordial, ainsi que le prévoit l’accord de gouvernement du 30 septembre 2020, de réduire cette charge tant pour les salariés au sens large que pour les indépendants. Le hasard du calendrier veut que la présentation des propositions par les experts ait coïncidé à quelques jours près avec le “tax liberation day”, le 15 juillet cette année en Belgique. À cette date, un travailleur cesse théoriquement de payer des impôts à l’Etat et dispose comme bon lui semble de son revenu. Parmi l’ensemble des pays de l’Union européenne, seules l’Autriche et la France ont “un jour de libération fiscale” un peu plus tardif. Une réalité qui vient battre en brèche l’a priori selon lequel, comparativement avec les pays scandinaves, nous serions encore peu taxés. Il est toutefois important de préciser que ce jour de libération comprend l’ensemble de la charge fiscale et parafiscale pesant sur les revenus alors que la réforme voulue par le ministre Van Peteghem exclut les cotisations sociales – qui relèvent de la compétence d’autres ministres –, une charge pourtant substantielle sur les revenus du travail. Pour Marc Bourgeois, professeur en droit fiscal et en droit des finances publiques à l’ULiège, il serait injuste d’affirmer que rien n’a été fait par le passé pour alléger le poids de la fiscalité sur le travail : « La réflexion avait commencé dès 2001 au moment de la réforme initiée par le gouvernement Verhofstadt et s’était ensuite poursuivie sous le gouvernement Michel avec le fameux “Tax Shift” en 2015 ». Autrement dit, avec le Tax Shift, le “tax liberation day” intervenait déjà 24 jours plus tôt qu’auparavant. Un progrès, certes, mais bien timoré au regard des enjeux… de taille. En effet, observe le Pr Bourgeois, « il faut sauvegarder le système de Sécurité sociale, lutter contre la pauvreté, organiser la transition écologique et climatique et permettre des investissements utiles à la construction de la société et de l’économie de demain ». Il faut également mettre fin aux effets pervers induits par le système actuel conduisant à des aberrations dénoncées depuis belle lurette. Ainsi, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, il n’est pas toujours financièrement avantageux de travailler, de travailler plus, ou encore d’accepter une promotion. Des mécanismes tels que le bonus à l’emploi existent d’ailleurs déjà afin de contrer le “piège à l’emploi”, mais ils sont trop modestes. DÉSÉQUILIBRÉ ET INADAPTÉ Enfin, disons-le tout net : « Notre système fiscal est déséquilibré et n’est plus adapté aux besoins de la société et de l’économie”, comme on peut le lire dès les premières lignes de l’épure du ministre. » Et de poursuivre : « Notre fiscalité est encore orientée vers les personnes qui se marient, ont plusieurs enfants, construisent une maison individuelle, possèdent chacune une voiture fossile et travaillent pour le même employeur pendant 40 ans. » Un profil qui, il faut le reconnaître, correspond à une proportion encore importante de contribuables mais qui est aussi le reflet du manque de neutralité de l’impôt tel qu’il se présente actuellement. « Le système est tout sauf neutre. Il incite ou il “désincite” très fortement en matière de travail et d’augmentation de l’activité. Il influence aussi beaucoup le type d’investissements que l’on fait en encourageant certains d’entre eux plutôt que d’autres, sans véritables justification économique. Or, ce n’est que dans des cas exceptionnels que la fiscalité doit influencer les comportements, lorsqu’un objectif précis est poursuivi : les pollutions, par exemple, vont être davantage taxées afin de les décourager », explicite le Pr Marc Bourgeois. Pudiquement qualifié de “complexe”, le système fiscal actuel empile les dérogations et les exceptions, ce qui le rend peu lisible et peu compréhensible. « Je suis directeur du master de spécialisation en droit fiscal et je vois le degré de technicité et de complexité auquel les étudiants sont soumis pour comprendre et mémoriser l’ensemble. Le système est également difficile à administrer par les fonctionnaires censés le faire respecter. Et pour le contribuable, anticiper les conséquences fisjanvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 26 univers cité

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=