LQJ-284

logie. On touchait déjà à la chimie ; maintenant, c’est à la biologie. Aujourd’hui, un grand pan de la matière molle concerne en effet la matière active, c’est-à-dire des particules qui consomment de l’énergie dans leur environnement pour effectuer certaines fonctions. Toute la question est donc de comprendre comment on peut obtenir une fonction qui provient du comportement collectif d’individus qui, seuls, ne peuvent pas remplir cette fonction-là. Comment de nouveaux comportements peuvent-ils exister à grande échelle à partir du mouvement individuel de toutes les particules qui composent le système ? » Un champ de recherches d’ailleurs couronné par un autre Nobel de physique, en 2021 cette fois, l’Italien Giorgio Parisi. « Il a étudié les systèmes complexes de particules, notamment leur désordre et leurs fluctuations, précise Nicolas Vandewalle. C’est un domaine de la physique assez neuf, car sous des dehors de physique fondamentale, on aborde aujourd’hui des problèmes très concrets, comme les mouvements de foule par exemple. » Une foule est en effet composée d’individualités qui ont leur vie propre, c’est-à-dire que chaque individu y interagit avec les autres, s’oriente en fonction du mouvement de ses voisins, etc. Cela produit des phénomènes contre- intuitifs. Il a ainsi été montré que, dans certaines situations, si on veut fluidifier un mouvement de foule dans un couloir, il est préférable de dresser un obstacle au milieu de ce dernier ! Une foule ne se comporte donc pas comme un simple fluide. « Auparavant, nous travaillions sur des systèmes où les particules étaient incapables de générer et de gérer leur propre mouvement. Dans un gaz, elles rebondissent les unes sur les autres et remplissent le récipient. Les particules actives, elles, ont tendance à s’agréger, ou à se retrouver dans les coins, etc. » Dans ce cadre-là, le physicien liégeois se penche sur un problème bien d’actualité : les microplastiques qui envahissent les océans. Si l’on filtre l’eau pour tenter de les récupérer, on arrête aussi des organismes vivants comme le plancton auquel ils sont mêlés. « Des particules actives peuvent-elles se démêler spontanément des passives ? Si oui, dans quelles conditions ? », s’inquiète le chercheur. Qui a une définition bien personnelle de la matière “active”. « Je ne suis pas biologiste et n’ai pas la patience de venir chaque matin nourrir des petites bêtes dans le labo, sourit-il. Nous avons donc conçu des minirobots peu onéreux que nous fabriquons ici sur nos imprimantes 3D. Nous pouvons donc les traiter comme bon nous semble et leur faire faire ce que nous voulons quand nous le voulons. » D’autres laboratoires de par le monde ont adopté cette méthode et les robots s’échangent par-delà les frontières au gré des expériences. Autre sujet qui a beaucoup préoccupé Nicolas Vandewalle et les chercheurs du Grasp lors de ces 20 années de travaux : les gouttelettes, et plus particulièrement la capture d’eau en milieu aride. « Nous menons toujours des études sur la possibilité de capturer la vapeur d’eau ou le brouillard. Il existe déjà des villages, au Maroc ou au Népal par exemple, où les habitants récoltent de l’eau, jusqu’à un litre par jour et par m2 à l’aide de filets à nuages. Notre but est d’optimiser ce système en copiant la nature, par exemple des lézards ou des cactus dans le désert. » MICROGRAVITÉ Mais le fil rouge du laboratoire est incontestablement la microgravité. Un domaine particulier de la physique qui réunit matières granulaires, fluides ou mousses. « On ne s’en rend évidemment pas compte mais, sur Terre, la gravité nous aide à être assis, à marcher, à manipuler des objets. Supprimez-la et tout cela devient beaucoup plus difficile », observe Nicolas Vandewalle. Un exemple : les moindres interactions comme celles qui naissent de l’apparition de charges électriques dues aux frottements ou frictions, négligeables lorsque la gravité terrestre est présente, se révèlent dominantes en son absence et les grains s’agrègent entre eux. « Souvenez-vous des astronautes dont la combinaison était couverte de poussières très abrasives après avoir marché sur la Lune. Une présence qui a posé bien des problèmes, y compris au niveau respiratoire. » Une difficulté qu’il faut absolument éliminer dans la perspective du retour sur la Lune ou d’autres planètes, et plus encore dans la perspective de l’exploitation spatiale. « Comment installer une base, creuser des trous, extraire des minerais dans ces conditions?, s’interroge le physicien liégeois. Cela s’avérera très difficile, voire impossible. » Une question à laquelle Nicolas Vandewalle se mesure depuis des années. Il y a dix ans, il est devenu coordinateur du projet Space Grains de l’Agence spatiale européenne desminirobots fabriqués sur imprimantes3D janvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 44 le parcours

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