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l’organisation d’un barbecue gratuit ou d’un débat, qui par celle d’une construction sur le rond-point, etc.). « De nombreux citoyens n’attendent pas les philosophes et les sociologues pour réaliser la violence et la maltraitance dont ils font l’objet. Ils réagissent et organisent la société autrement, sans reproduire des diktats sociaux. Ces expériences relèvent de ce que nous appelons l’émancipé. Ce n’est jamais parfait, mais ça existe et c’est précieux. » La nouvelle théorie critique devient, d’une certaine manière, un retour de politesse. Le sociologue et le philosophe ne sont plus ceux qui démontrent aux différentes classes sociales à quel point elles sont dominées. Ils cherchent plutôt à participer, traduire et rapporter des espaces où des collectifs se sont prévalus de nouvelles identités politiques communes. « Une nouvelle forme de démocratie s’est pratiquée à la ZAD. Il y a, au Brésil, des rapports paysans qui ne relèvent pas du patriarcat. Et nous n’avons pas toujours les mots pour décrire ce qui s’y joue. C’est en cela que le pragmatisme latourien est important. Prendre le temps de décrire, de montrer cet “autre chose”. Cela exige une implication très fine. Les enquêteurs doivent pour cela intégrer ces collectifs et y participer en tant qu’acteurs politiques plutôt que comme “analystes extérieurs” (posture qui est une vue de l’esprit). L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE À L’ÉPREUVE DU FEU Au gré des chapitres, des exemples étayent cette nouvelle théorie critique. Ils ont été choisis pour leur velléité universaliste. Le dernier porte sur différentes initiatives d’économie sociale et solidaire, sans capitaux privatisés. Tels les athénées populaires, les coopératives citoyennes (dans les domaines du circuit-court, de l’immobilier, de l’énergie), les systèmes de monnaie locale, les groupes d’achat collectif, les services de proximité comme les associations de réinsertion professionnelle ou l’aide à domicile. « Il n’est pas rare d’entendre que ces initiatives sont les roues de secours de l’État, qui fait faire au secteur associatif ce qu’il devrait assumer en tant qu’État-providence. Ce n’est pas entièrement faux. Mais cela ne signifie pas que les citoyens actifs dans l’économie sociale et solidaire sont dupes ou inconscients des rapports de force dont ils font l’objet. Bien évidemment, selon eux, l’institution publique doit se réapproprier ces responsabilités. Mais, au lieu de les renforcer, nous regardons, impuissants, le néolibéralisme les détricoter. C’est la raison pour laquelle nous distinguons l’économie solidaire, démocratique et inconditionnelle, de la solidarité philanthropique, largement pratiquée en Amérique du Nord notamment, et qui reste dans le sillon du capitalisme, financée par de riches mécènes. Cette solidarité envisage d’un bon œil que cesse le financement public de la Sécurité sociale pour laisser à sa place œuvrer les âmes charitables à qui profite le capitalisme, sans aucun contrôle démocratique (Bill Gates et autres milliardaires sont à la tête de fondations caritatives qui leur permettent de faire avaler la pilule de l’exploitation des humains et de la nature par les multinationales comme Microsoft tout autour du globe). L’économie solidaire rêve à l’inverse de conserver une puissance publique et redistributrice forte sur le plan politique, mais en remplaçant le capitalisme sur le plan économique. » La solidarité démocratique est, comme évoqué plus haut à propos d’associations, une ouverture universelle inconditionnelle. L’émancipation a commencé, elle est en chemin vers cet universalisme inconditionnel et s’incarne déjà dans les expériences qui s’en réclament. Que peut faire le chercheur, aujourd’hui ? Poursuivre inlassablement la critique de ce qui l’entrave, tout en ouvrant les yeux pour se nourrir de ce que le monde a encore d’enchanté et qui se donne à voir dans diverses associations. Pourquoi ne pas s’en inspirer comme jadis nous le fîmes avec le mutuellisme ouvrier par exemple ? Les institutions vertueuses d’aujourd’hui sont nées des utopies d’hier. Elles sont rares, fragiles, mais elles existent. 1 Bruno Frère et Jean-Louis Laville, La Fabrique de l’émancipation. Repenser la critique du capital isme à partir des expériences démocratiques, écologiques et solidaires, coll. “La couleur des idées“, Seuil, Paris, septembre 2022. 2 LGBTQIA+ : lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe, asexuel (et tous/toutes les autres). Pourallerplus loin Une journée d’étude autour du l ivre aura lieu le mercredi 18 janvier à 9h, à l ’amphi théâtre Mahaim, facul té de Droit, Science politique et Criminologie, campus du Sart-Tilman, 4000 Liège, en présence des deux auteurs et avec la participation de Luc Boltanski, directeur d’études à l’EHESS. * programme sur www.fass.uliege.be/journee-etudefabrique-de-l-emancipation, contacts mcerveramarzal@uliege.be janvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 49 omni sciences

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