LQJ-284

Tandis que j’avale des couleuvres que plus aucun fakir ne charme mes poèmes vont dans des livres dont le silence coud les pages et leurs syllabes sur des lèvres que plus personne ici n’embrasse. * Vivre seul, c’est veiller au moindre de ses gestes, par peur des faux mouvements. C’est se parler à voix haute, pas trop souvent, mais avec gentillesse. Parfois aussi se taire pour ne pas se tarir. C’est mesurer d’une caresse le calendrier de la poussière. C’est honorer des rendez-vous avec un fantôme insomniaque. Vivre seul, c’est chanter à tue-tête dans un pommeau de douche, sans crainte de représailles. C’est garder les mêmes pantoufles même si elles sont à bout de souffle. C’est ne pas vider le lave-vaisselle tant qu’il ne pipe mot. Vivre seul, c’est revoir trois fois le même film, parce que Scarlett est belle. Vivre seul, c’est vouloir, dans la danse des draps, me serrer dans mes bras comme tu le faisais. Vivre seul, c’est ne pas nommer la solitude. * Ça ne changera pas le monde ni sa farce si ma chambre en novembre est froide sans son rire fugace dans la fuite. Il se peut que quelqu’un à qui je le dédie ne lise pas ce poème dans lequel je m’efface au profit du silence. Je salue ce fantôme qui se profile encore dans le reflet durable de ma mémoire en feu et lui demande d’être un jour heureux, un peu. * Ta vie est ce ruban de plage, le long duquel des jours semblables, sous la dune des lendemains, ont ensablé ta solitude. Dans le remous, tu mets en scène des rodéos avec les vagues. La mer ne se lasse jamais des jeux gamins que tu proposes. Contre tes ciels, le vent déploie, sous la bascule des nuages, plus de cerfs-volants que d’oiseaux. Où que tu ailles, tu emportes, sur tes épaules de papier, le fantôme de l’insouciance. * Les années n’y font rien Nous sommes les enfants de nos paysages de leurs heures d’ennui fertile Nous tournons lentement les pages d’un livre qui salit les doigts et rembobine les décors jamais les gestes ni les choix Nous avançons avec des moues de ciels de pluie et d’hivers pâles dans notre lecture assommante du livre qui mange nos jours. janvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 75 futur antérieur

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