LQJ-284

aux enjeux du vieillissement au Parlement de Wallonie en 2017, les citoyens ont relevé le fait que le processus fondé sur une base volontaire exclut presque automatiquement certains groupes minoritaires, culturels et/ou marginalisés. Plusieurs élus sont allés dans le même sens en constatant que les personnes les plus motivées par les mécanismes participatifs sont les personnes avec un gradient socioculturel élevé. Autrement dit, le mode de sélection aléatoire qui s’appuie sur le principe de la participation volontaire favorise le remplacement d’une élite par une autre élite. En effet, l’élection est une procédure aristocratique ou oligarchique, dans la mesure où les mandats sont réservés à des individus éminents que leurs concitoyens jugent plus compétents que les autres. Historiquement, trois types d’élite se sont succédé aux 19e et 20e siècles : les élites de notables, de partis et enfin les élites communicationnelles, pour reprendre l’analyse de Bernard Manin, docteur honoris causa de notre Université. Avec l’institutionnalisation du tirage au sort sur une base volontaire, cette élite est remplacée par celle qui manifeste de l’intérêt tout en ayant les moyens et le temps. Insistons toutefois sur une des dimensions positives de la sélection aléatoire pour un système politique : la garantie d’une meilleure rotation des charges. Mais celle-ci pourrait cependant être assurée par d’autres procédures comme la limitation temporelle du cumul des mandats. En outre, malgré leur dimension élitiste, l’élection et le tirage au sort incarnent tous deux, de manière différente, l’idéal d’égalité. D’un côté, l’élection favorise l’égalité des chances, les candidats se trouvant sur un pied d’égalité au départ de la compétition. D’un autre côté, le hasard favorise l’égalité d’opportunité prospective puisque chaque participant à une égale probabilité d’occuper une charge politique. Cette égalité est toutefois battue en brèche par le biais d’auto-sélection découlant de la participation volontaire. Autrement dit, l’égalité de participation n’est pas garantie dans les panels citoyens. La troisième étape examine la présence de facilitateurs ou d’experts dans le cadre des délibérations des panels citoyens. Le contexte belge, par exemple, prévoit de manière systématique un encadrement par un comité scientifique. Mais quel encadrement ? Les entrepreneurs du tirage au sort semblent acquis à l’idée que les experts scientifiques sont impartiaux et donc sont les mieux placés pour encadrer les délibérations. Cette impartialité doit permettre au comité scientifique de constituer un portefeuille de documents utiles aux membres des panels citoyens. Il est pourtant tout à fait illusoire d’espérer que les experts soient impartiaux, notamment dans le choix des informations utiles. Si la neutralité axiologique doit permettre aux chercheurs de suspendre tout jugement de valeur dans le cadre d’une analyse scientifique, faire délibérer des citoyens, ce n’est pas faire de la science. Accompagner et encadrer une délibération politique est loin de constituer une action anodine. Les experts des techniques d’enquête sont bien souvent les seuls à savoir comment s’est constituée l’assemblée des représentants tirés au sort. En outre, à partir du moment où ces assemblées commenceront à prendre des décisions contraignantes sur des questions de politique publique (avec de multiples parties prenantes), le poste de facilitateur sera le premier à être politisé. Avec la mise en place de panels citoyens, on assiste dès lors à un transfert de souveraineté des citoyens et des représentants vers les experts. Pourtant, à aucun moment, ce transfert n’est discuté dans les débats parlementaires, comme si la neutralité de l’encadrement allait de soi. Or il est vraiment permis d’en douter. Enfin, force est de constater que ce sont les mêmes experts qui sont sans cesse mobilisés par les représentants politiques, notamment lors des auditions parlementaires. Les opposants au tirage au sort n’ont pas souvent voix au chapitre. Aucune diversité n’est recherchée dans l’espace public. Or, les entrepreneurs du tirage au sort sont dotés de certaines caractéristiques, dont un capital culturel élevé. Pourquoi les experts ne seraientils pas également choisis au hasard ? Autrement dit, la présence de facilitateurs scientifiques, dont la posture de neutralité peut être contestée, induit une vision inégalitaire de la délibération. La quatrième étape questionne le consensus ou, au minimum, la méthode de décision consensuelle, qui est la finalité des processus de délibération des panels citoyens. La littérature scientifique a pu démontrer la dimension neutralisante du tirage au sort. Ainsi, son atout principal est de mettre en place une procédure décisionnelle dont les résultats ne nécessitent aucune justification, oblitérant ainsi les arguments (il)légitimes pouvant motiver une décision, et entraînant par conséquent une occultation des conflits politiques. Est-ce ce modèle de décision que nous souhaitons au 21e siècle ? Que se passera-t-il si de graves oppositions se manifestent durant les délibérations ? janvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 8 l’opinion

RkJQdWJsaXNoZXIy MTk1ODY=