LQJ-284

Pour certains chercheurs, la sélection aléatoire ne serait ni rationnelle ni irrationnelle, mais viserait en fait à créer une “fenêtre aveugle” dans le processus décisionnel, moment pendant lequel aucun facteur humain n’interviendrait. Il servirait surtout à empêcher que de “mauvaises ” justifications (discriminatoires ou basées sur l’intérêt privé du décideur politique, par exemple) soient employées dans le cadre du processus de sélection. L’atout principal du recours au sort en politique ne serait par conséquent pas la réalisation d’une plus grande égalité politique, mais la possibilité de ne pas devoir justifier la sélection des gouvernants, ce qui neutralise deux phénomènes : d’une part, le processus de sélection, puisque les personnes seraient désignées indépendamment des raisons avancées pour les sélectionner et, d’autre part, les résultats du processus de désignation, puisque aucun candidat ne peut s’estimer lésé par sa non-sélection. Le tirage au sort aurait donc un effet de limitation de la concurrence entre élites, faisant ainsi écho à l’utilisation médiévale du sort dans les cités italiennes telles que Florence ou Venise, où il était principalement mobilisé en vue d’atténuer la compétition politique entre les différentes élites socio-politiques. Pourtant, à y regarder de plus près, les vertus neutralisantes et égalitaires du tirage au sort sont intrinsèquement liées. En effet, s’il permet à la notion d’égalité d’opportunité prospective de s’épanouir au sein d’un système politique, c’est en raison des attributs neutralisant de la sélection aléatoire, laquelle supprime le principe de distinction – inégalitaire – concrétisé par l’élection. Il neutralise surtout les distorsions liées aux effets des inégalités économiques sur la compétition politique. Les acteurs disposant de ressources économiques ne seraient ainsi pas favorisés lors de la sélection aléatoire des décideurs politiques, à la différence de ce que l’on peut constater dans le cadre des campagnes électorales actuelles. Une question fondamentale demeure : souhaitons-nous que notre système politique soit placé sous le sceau de la neutralité ? Si la réponse est positive, cela signifie que l’exercice du pouvoir n’aurait pour finalité que de neutraliser les multiples conflits au sein d’une société. Or, selon nous, le système politique est un espace public “agonistique” de contestation, pour reprendre les termes de Chantal Mouffe, où différents projets hégémoniques peuvent s’affronter et où les acteurs politiques ne font pas preuve de modération avant d’entrer en négociation. Dans cette perspective, le tirage au sort, par ses attributs neutralisants, se révèle apolitique. La neutralisation permanente des conflits favoriserait consécutivement l’immuabilité d’un système politique. Si la réponse est négative, cela signifie que l’exercice du politique, loin de faire taire ces conflits, chercherait à les révéler et, surtout, à s’assurer que son fondement soit la remise en cause permanente des normes que se donne une société. En définissant le système politique comme un espace public agonistique, nous espérons que la remise en cause permanente favorise le constant progrès de l’humanité. De ce point de vue, le tirage au sort n’est pas, à notre avis, synonyme de progrès pour un système politique. Vidéos du colloque sur https://www.idpublique.uliege.be/ contre-le-tirage-au-sort janvier-avril 2023 i 284 i www.ul iege.be/LQJ 9 l’opinion Pouraller plus loin

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