Réhabilitation du patrimoine

Interview de Xavier Tonon


Dans Omni Sciences

Architecte liégeois diplômé de l’École Lambert Lombard en 1999 et détenteur d’un master complémentaire en spécialisation du patrimoine à l’École Saint-Luc, Xavier Tonon travaille dans le bureau d’études Architectes Associés piloté par Yves Jacques.

Le Quinzième Jour : Le bureau d’études est-il spécialisé dans une époque historique ?

Xavier Tonon : Non. La restauration est avant tout un travail d’équipe. À chaque étape du processus, nous nous entourons de personnes compétentes, dans notre équipe ou en dehors. La réhabilitation d’un bâtiment, quel qu’il soit, nécessite une série de préalables, dont une approche historique complète de la bâtisse, une étude de stabilité et une étude sanitaire. Nourris de ces informations, nous pouvons alors proposer une restauration respectueuse de l’édifice, qu’il soit antique ou baroque.

LQJ : Pensez-vous qu’il faut restaurer Notre-Dame de Paris ?

X.T. : Après l’urgence de conforter l’édifice, l’heure est à présent au diagnostic, c’est-à-dire à l’étude minutieuse de l’ensemble. En effet, soumises à des températures très élevées, les pierres au contact de la charpente ont peut-être été fragilisées. D’autre part, la maçonnerie a certainement été altérée et il faudra évaluer sa capacité à supporter une intervention. La décision de reconstruire dépendra de ces inventaires.

LQJ : Pourrait-on la conserver à l’état de ruine ?

X.T. : C’est une option. À Oradour-sur-Glane par exemple, en Haute-Vienne, les autorités ont décidé de conserver en l’état le village ravagé pendant la guerre. Les ruines témoignent du massacre de 1944. Mais l’incendie de Notre-Dame n’est pas comparable à cet événement. C’est hélas chose courante que le feu dévore un bâtiment. L’intérêt de conserver les stigmates d’un incendie me paraît assez faible et je doute que les Parisiens et les amateurs du patri- moine se satisfassent d’une telle solution, d’autant qu’elle sera coûteuse. Maintenir des ruines est en effet très onéreux !

LQJ : Il faudra donc la reconstruire...

X.T. : Si les experts estiment que l’église est suffisamment solide, je suis d’avis de la reconstruire telle qu’elle était. Nous dis- posons en effet de toutes les informations utiles sur la charpente et sa couverture. Nous avons les moyens de la restaurer à l’identique, comme au XIIIe siècle, en chêne, gage de solidité et de durabilité (la technique du bois présente un bilan carbone proche du zéro). Le chantier pourrait être confié aux Compagnons du tour de France qui maîtrisent les techniques médiévales, cela aurait une valeur pédagogique vis-à-vis des jeunes et du public en général. Ce serait un projet rassembleur pour les Français. En bois, la charpente pourrait à nouveau partir en fumée ? C’est vrai. Mais tout est provisoire et le risque d’accident ne légitime pas le fait de tout modifier.

LQJ : Et quid de la flèche de Viollet-le-Duc ?

X.T. : L’article 11 de la Charte de Venise stipule que “les apports valables de toutes les époques doivent être respectés”. En l’occurrence pourtant, je pense qu’il faut rester fidèle à la pensée de Viollet-le-Duc, et donc ne pas reconstruire sa flèche à l’identique. Lui-même, en 1842, lorsqu’il remporte le concours d’architecte, décide de ne pas rétablir la flèche précédente, mais de la reconstruire, dans l’esprit du gothique, avec des matériaux contemporains. En restant dans cette optique, pourquoi ne pas utiliser un métal léger comme le titane par exemple ? L’objectif est de conserver la silhouette de la cathédrale de Paris : lui restituer la charpente médiévale avec une flèche du XXIe siècle serait une façon de relier le passé, le présent et l’avenir.

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En début de soirée du 15 avril 2019, un violent incendie détruit la flèche de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. En s’effondrant, elle provoque l’écroulement de la voûte de la croisée du transept et met le feu à toute la toiture. Même si les pompiers ont sauvé la structure de l’édifice, la façade occidentale et les deux tours, le sinistre est majeur. Que faire maintenant ? Les spécialistes fourbissent leurs arguments.

Entre "s'effacer complètement derrière l’édifice" et rendre l'intervention lisible en permettant de distinguer la partie ancienne de la restitution moderne, comment envisager la restauration ? Quelques éléments de réponse par le Pr Claudine Houbard, autour notamment de la charte issue du deuxième “Congrès international des architectes et techniciens des monuments historiques”, qui s'est tenu à Venise en 1964.

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