La clinique extraordinaire

Nouvelle clinique universitaire pour animaux de compagnie


Dans À la Une
Dossier réalisé par Patricia Janssens - Photos par Jean-Louis Wertz

Épousant le relief du terrain, un nouveau bâtiment tout de cuivre revêtu, équipé de panneaux photovoltaïques et pourvu de toitures végétalisées, se dresse à présent le long du boulevard de Colonster. La nouvelle clinique universitaire vétérinaire pour les petits animaux a été inaugurée le 30 avril dernier : elle constitue la première étape de la réorganisation de la Faculté.

En quelques chiffres : 5670 m2 sur trois niveaux 200 m2 de panneaux photovoltaïques sur les toitures et un investissement de 18 millions d’euros financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Selon une étude du SPF Économie publiée en 2014, on comptait dans les foyers belges 1,5 million de chiens et 2,2 millions de chats. Plus d’un ménage sur cinq possède au moins un chien et plus d’un sur quatre, un chat. L’étude précisait encore que les dépenses cumulées pour les animaux de compagnie avoisinaient, au total, 1,3 milliard d’euros...

 

Une situation manifestement comparable à celle de nos voisins car, si l’on en croit un article des Échos publié récemment, en septembre 2018, les Français dépensent chaque année près de 4,4 milliards d’euros pour leurs animaux domestiques. En dix ans, la taille de ce marché a été multipliée par 1,5, ce qui représente une progression des ventes annuelles de 4 % en moyenne depuis 2007. Si les dépenses de nourriture sont les plus importantes, l’augmentation des frais liés aux accessoires, aux jouets, au toilettage est également notable. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter : selon les professionnels du secteur, le marché profite des innovations technologiques et propose maintenant des colliers pour géolocaliser son animal et des distributeurs de nourriture commandés à partir de son smartphone. Et si les rayons spécifiques pour les animaux de compagnie pro- lifèrent déjà en grande surface, on voit maintenant fleurir, à leur intention, des pensions, des hôtels, des assurances, des centres de crémation... et des cliniques.

30 MILLIONS D’AMIS

En tête du peloton des compagnons animaliers, les poissons en aquarium sont suivis par les chats, les oiseaux et les chiens se tenant dans la roue. Mais on observe aussi une hausse progressive des amateurs des “nouveaux animaux de compagnie” (NAC) parmi lesquels le furet, le lapin, le cobaye et le perroquet ainsi que, bizarrement peut-être, les iguanes, les araignées et les serpents.

« Cette évolution est notable, relève le Pr Marc Vandenheede, éthologue à la faculté de Médecine vétérinaire. Auparavant, la société se préoccupait essentiellement des chevaux, symboles de pouvoir et de prestance, collaborateurs infatigables dans l’agriculture et la sylviculture. Du temps de nos grands-parents, les chiens étaient certes “les meilleurs amis de l’homme”, mais ils vivaient et dormaient très souvent à l’extérieur. Ils étaient estimés pour leur aide précieuse lors de la chasse ou dans leur fonction de gardiennage. Leur capacité à tirer des traîneaux ou des chariots était appréciée tout comme leur manifeste talent de guide, mais leur place n’était pas à la maison. Généralement d’ailleurs, l’animal domestique était surtout considéré comme un investissement et devait donc travailler pour mériter les soins reçus. »

Diverses aptitudes ont d’ailleurs fait l’objet d’une sélection assez ancienne. Au départ, il n’y avait qu’une seule espèce voisine du loup (Canis lupus). s’il y eut quelques croisements naturels, la domestication (il y a 15 000 ans) a donné lieu à des sélections orientées, les hommes ayant favorisé certaines particularités canines, telles que le flair, l’endurance, la force. Mais à l’heure actuelle, la sélection poursuit d’autres objectifs, ceux des clients recherchant des “compagnons à quatre pattes” sur mesure. Ainsi a-t-on conçu un toutou de (très) petite taille pour vivre en appartement, un autre avec des cheveux pour les maîtres allergiques aux poils, etc. « Cela conduit souvent à de véritables aberrations, observe Marc Vandenheede, puisque beaucoup de chiens de race sont porteurs de maladies génétiques, voire de handicaps, que nous générons maintenant sciemment ! Regardez les chiens brachycéphales par exemple, dont le nez écrasé provoque des difficultés respiratoires et occasionne de véritables souffrances. Le critère commercial l’a emporté sur le bons sens et cela pose la question de la responsabilité des éleveurs, scientifiques, des vétérinaires, des propriétaires, etc. »

Progressivement, on est passé de “l’animal-objet”, “l’animal utilitaire”, au partenaire social, à “l’animal-membre de la famille”. si le chat – apprécié précédemment pour sa capacité à éloigner des greniers les souris ou les rats – a conquis les fauteuils du salon, une relation plus fusionnelle s’est instaurée avec le chien. On lui parle, on lui confie nos joies, nos peines, nos soucis. « Cette évolution prend son origine dans les années 1960 et est contemporaine de l’émergence de la société de consommation, expose le Pr Dominique Peeters du département clinique des animaux de compagnie et des équidés. La médecine vétérinaire a d’ailleurs suivi le même mouvement : autrefois consacrée aux animaux de rente (vaches, porcs, moutons, chèvres et poules), elle s’est orientée dans les années 1980 vers les animaux domestiques. Les particuliers ont d’abord amené leurs chiens en consultation; depuis 2000, ils demandent aussi que l’on soigne leurs chats. »

LA CLINIQUE VÉTÉRINAIRE UNIVERSITAIRE

Bâtie dans les années 1980 à l’heure où elle s’occupait très majoritairement des “grands animaux” (chevaux, porcs et vaches), l’actuelle clinique vétérinaire universitaire de l’ULiège s’est adaptée progressivement à sa nouvelle patientèle, les animaux domestiques qui peuplent désormais les salles d’attente des cabinets de vétérinaires ainsi que les NAC plus récemment accueillis dans les foyers et les consultations au Sart-Tilman. À l’instar de la médecine humaine, la médecine vétérinaire se spécialise, se dote d’instruments chirurgicaux et d’équipements d’imagerie médicale. « Une mutation qui a aussi des répercussions sur les études et la profession. En 1980, les filles étaient très minoritaires dans les amphithéâtres ; aujourd’hui, elles constituent près de 90% de la population étudiante », note le Pr Peeters. À tel point qu’il y a maintenant pénurie de vétérinaires pour s’occuper des animaux de rente et pour effectuer les contrôles dans les abattoirs.

En 2015, comme ses homologues de Londres, Uppsala ou Paris, l’université de Liège a décidé de se doter d’une nouvelle clinique pour “animaux de compagnie”, plus spacieuse, mieux équipée, plus accueillante au public et aux étudiants de master qui y font leurs gammes. Elle a été inaugurée le 30 avril dernier.

« Le nouveau bâtiment est le fruit de discussions fertiles avec les architectes », résume le Pr Dominique Peeters, artisan de la nouvelle construction. L’espace doit en effet être polyvalent afin d’accueillir les propriétaires d’animaux, les médecins vétérinaires et les étudiants, tout en veillant à séparer les chats des lapins et canaris, les animaux malades des patients opérés, etc. « Notre objectif est de faire face à l’augmentation très nette du nombre de consultations et d’actes chirurgicaux concernant les animaux de compagnie et de mettre des équipements de pointe à la disposition de cette patientèle. C’est ainsi que nous disposons maintenant d’une IRM neuve pour chiens et chats, d’un nouveau scanner pour les examens sur chevaux debout, d’une salle de physiothérapie avec piscine pour la rééducation de chiens traumatisés ou paralysés, d’une salle d’angiographie interventionnelle, etc. » Les étudiants peuvent maintenant assister, dans des condi- tions optimales, à des consultations et à des opérations chirurgicales.

 

VERS UNE ÉTHIQUE ANIMALE

Cette attention accrue envers les animaux de compagnie est une application récente du concept de “bien-être animal”, voire de la science du bien-être animal. Elle débouche sur des considérations d’“éthique animale”. Auparavant cantonnée dans la sphère des philosophes, cette réflexion autour du statut de l’animal est maintenant évoquée dans bien des domaines car elle touche à nos habitudes, à notre alimentation, à notre médecine.
Alors que les théories behavioristes considéraient que les animaux étaient dépourvus d’émotions (dire le contraire était faire preuve d’un anthropomorphisme coupable), l’éthologie moderne associée aux progrès des neurosciences a permis de reconsidérer l’animal comme un “être sensible”. Comme chez l’homme où les interactions entre la psychologie et la santé sont démontrées, la science admet maintenant l’existence d’émotions, d’états de conscience, bref d’une santé mentale aussi chez certains animaux. Conformément aux dires de la plupart des propriétaires, la recherche a montré que le chien avait des capacités cognitives et manifestait des émotions comme la peur, la joie, la colère, etc. L’animal est donc officiellement reconnu comme un être sensible, ce qui se concrétise par une législation abondante en matière de “bien-être animal”.

Dans cette optique, le Pr Vandenheede assure notamment des consultations d’éthologie à la clinique des animaux de compagnie. Il reçoit des maîtres désarçonnés par l’exubérance, les aboiements intempestifs ou l’incontinence de leur chien, qui troubles relèvent parfois du psychisme. « Les phobies, l’anxiété, les troubles compulsifs, cela existe aussi chez les animaux, affirme-t-il. Ces notions sont d’ailleurs intégrées dans la formation de nos étudiants. »

Progressivement, l’idée que les mammifères éprouvent des émotions s’est imposée et, dans la mesure où les animaux sont reconnus comme êtres sensibles, le regard des scientifiques à leur égard s’est modifié. Depuis dix ans maintenant, on constate un regain d’attention de la part des chercheurs. « On assiste à un “tournant animaliste” en anthropologie, reprend la Pr Véronique servais à l’origine du certificat d’université en “médiation animale et relations à la nature”. Manifestement, les sciences humaines s’intéressent davantage aux relations entre l’humain et l’animal, entre l’humain et la nature, et l’environnement en général. Auparavant, ce type de relations était étudié dans les sociétés exotiques. Aujourd’hui, c’est bien au sein de notre société que les problématiques sont envisagées. »

Les animaux apportent-ils des bienfaits ? Pour la Pr Véronique servais, la réponse n’est pas évidente. « Certes, le fait qu’un très grand nombre de personnes possèdent un animal est le signe qu’il nous apporte quelque chose. Mais ce n’est pas une preuve. Quand on les interroge sur les bienfaits que leur apporte une présence animale à la maison, les gens placent en premier lieu le compagnonnage et le sentiment de sécurité – même lorsqu’il s’agit d’un chat ! Dans une expérience bien connue, le Pr Aaron Katcher et ses collaborateurs ont montré que la présence d’un animal de compagnie (en l’occurrence un chien) a pour effet de diminuer le stress chez des enfants à qui on demande de lire un texte à haute voix. Sa présence semble apaisante, vivante, sécurisante. Plus récemment, des chercheurs allemands et autrichiens ont confirmé cet effet, et montré que la présence d’un chien est plus rassurante que celle d’un adulte bienveillant. Ils relient leurs résultats à la théorie de l’attachement et font l’hypothèse que le toucher, qui libère de l’ocytocine et agit sur l’hormone du stress, en est un élément important. Cela dit, la plupart des études qui ont cherché à mettre en évidence une corrélation directe entre la santé et la possession d’un animal ont conduit à des résultats contradictoires. Il est difficile d’établir des statistiques sur le sujet, soit parce que l’effet est trop faible, soit parce qu’il s’agit avant tout d’une histoire de rencontres, d’histoires personnelles par défini- tion très variables. »

Différentes études ont été menées avec des enfants malades. Au Centre hospitalier régional de la Citadelle à Liège, une ASBL propose aux enfants de rencontrer des chiens-visiteurs. « L’animal sert de médiateur entre les enfants et les soignants ; il apporte une touche d’humour, offre un refuge sécurisant. Pour les enfants, il peut être un confident, un ami ou un compagnon de jeu. Par ailleurs, de nombreux praticiens introduisent aujourd’hui des animaux dans leur pratique de soin, note la Pr Véronique Servais. C’est une relation qui compte, qui ne remplace pas les relations humaines, mais qui s’ajoute à elles et enrichit la relation thérapeutique d’une dimension émotionnelle et non verbale qui a son importance. » Un tel type d’activité est aussi plébiscité dans les maisons de retraite, dans les centres fermés, les prisons.

Des questionnements nouveaux surgissent maintenant avec encore plus d’évidence : au nom de quoi, par exemple, l’homme aurait-il le droit de vie et de mort sur l’animal ? Les mises à mort sont fréquentes : pensons à l’élevage intensif, à la disparition des espèces à cause de la chasse à outrance, de la raréfaction de leur nourriture, du changement climatique, etc. « Notre monde est anthropocentré : nous avons perdu le contact avec la nature et vivons dans l’illusion de la supériorité de l’espèce humaine. Mais les choses changent car nous nous devons de trouver les clés d’un nouveau “vivre ensemble”... », se réjouit le Pr Vandenheede.

CVU

La clinique vétérinaire universitaire (CVU) se compose de trois pôles, celui des animaux de compagnie, celui des équidés et celui des animaux de rente. La CVU est une clinique de cas référés : la majeure partie des animaux sont adressés par les médecins vétérinaires traitants. Des spécialistes (chirurgiens, radiologues, cardiologues, oncologues, dermatologues, etc.) disposent d’outils de pointe pour accueillir ces animaux malades ou blessés.

En 2018, 1400 actes de chirurgie ont été réalisés sur des animaux de compagnie.
Et près de 12 000 consultations ont été assurées pour :

  • 8277 chiens
  • 2145 chats
  • 531 lapins et rongeurs
  • 268 oiseaux
  • 130 reptiles
  • 51 furets

La clinique est ouverte 7j/7 et 24h/24 et 365 jours par an. L’accueil est assuré par des étudiants de 2e et 3e master.

CVU
Bât. B67 - Quartier de la vallée 2, avenue de Cureghem 3, campus du Sart-Tilman, 4000 Liège.
tél. animaux de compagnie 04.366.42.00
Aller au site de la CVU

Informations sur les études

POUR ALLER PLUS LOIN

Réécouter la conférence “Le bien-être des hommes et des animaux” du 6 octobre 2018. avec la participation de Matthieu Ricard et du Pr Marc Vandenheede notamment
Certificat d’université en médiation animale et relations à la nature
Les bienfaits des interactions entre patients et animaux sont reconnus par les professionnels de la santé. Dans ce contexte, le certificat est une formation interdisciplinaire qui vise à une compréhension du travail avec les animaux et à un regard critique et réflexif sur cette pratique.

Véronique Servais, “L’attachement aux animaux de compagnie”, dans le magazine Sciences humaines n°314, avril 2019.

Partager cet article