Dis, comment on fait les bébés ?

L’accompagnement de la procréation

Dans Univers Cité
Dossier PATRICIA JANSSENS

Dès la fin des années 1960, la diffusion des moyens contraceptifs et la planification des naissances ont libéré les femmes des contraintes physiologiques de grossesses non désirées. Mais à l’aube du XXIe siècle, différentes études scientifiques estiment que l’infertilité des couples devient préoccupante. Face à la demande croissante de couples en mal de bébés, le monde médical améliore constamment les techniques de procréation, suscitant moult questions éthiques. Alors que la France prépare une nouvelle loi de bioéthique prévue pour la fin de l’année, le LQJ fait une incursion dans la “nouvelle fabrique des bébés”.

C’est un euphémisme que de souligner que la “pilule” a provoqué en cascade la remise en question des structures familiales et donné une liberté nouvelle aux femmes. Celles-ci ont eu la possibilité d’entamer des carrières autrefois réservées aux hommes. Mais elles n’ont pas renoncé pour autant à porter des enfants. Jusque dans les années 1980, une méthode – et une seule – avait fait ses preuves pour faire un enfant : lors d’un rapport sexuel entre un homme et une femme, un spermatozoïde rencontrait un ovule. L’oeuf ainsi conçu se développait en embryon, puis en foetus dans l’utérus et, neuf mois plus tard généralement, si tout se passait bien, donnait lieu à un bébé. Cette méthode n’a cependant jamais été et n’est toujours pas efficace à 100%.

Selon certains chiffres récents de l’OMS, l’infertilité des couples est en hausse et devient un problème de santé mondial. Elle concernerait un couple sur cinq en Belgique. Une des explications, semble-t-il, tient au fait que, dans les pays occidentaux, les jeunes décident d’avoir un enfant de plus en plus tard. Or la qualité des gamètes décline avec l’âge et si l’espérance de vie a augmenté très sensiblement, celle des ovaires n’a pas suivi la même courbe ascendante, loin s’en faut. 50 ans après la diffusion des moyens contraceptifs qui ont donné aux femmes la maîtrise des naissances, c’est à un désir éperdu de grossesse que les médecins font face actuellement. Faisant fi de tout romantisme, les laboratoires s’invitent dans la sphère de notre intimité. Détail intéressant : aujourd’hui, la lutte contre l’infertilité est devenue un marché mondial évalué à 2 milliards de dollars.

1980, LA RÉVOLUTION

En matière de procréation, le tournant se situe à la fin des années 1970. C’est en effet en 1978, le 25 juillet exactement, que naissait en Angleterre Louise Brown, premier “bébé-éprouvette” au monde. Puis viendra Amandine en France (1982) et, l’année suivante, le premier “bébé-éprouvette” belge est déclaré à Louvain. La Belgique fait partie des états pionniers dans ce domaine : le taux de “procréation médicalement assistée” (PMA) par habitant y est l’un des plus élevés d’Europe. « La loi belge de 2007 qui la concerne est assez libérale, explique Géraldine Mathieu, maître de conférences en faculté de Droit (ULiège et UNamur). Elle n’intervient qu’à la marge, laissant une grande liberté de condition aux hôpitaux et aux parents. Les techniques sont accessibles à toutes les femmes jusqu’à 45 ans (pour un prélèvement) et à 47 ans (pour une implantation ou une insémination) – et remboursées par la mutuelle avant 43 ans. Même l’insémination post-mortem est autorisée, entre six mois et deux ans après le décès du conjoint. »

L’“assistance à la procréation” revêt diverses formes élaborées dans les centres hospitaliers, dont le Centre de procréation médicalement assistée (CPMA) de l’université de Liège (situé au CHR de la Citadelle) fondé par le Dr Michel Dubois et le Pr Jean-Michel Foidart. Une assistance graduelle qui va du simple monitorage de l’ovulation jusqu’à la fécondation in vitro (FIV) en passant par l’insémination artificielle. « 1500 inséminations sont réalisées chaque année dans notre centre, explique la Pr Michèle Nisolle, chef de service universitaire de gynécologie-obstétrique. Cette technique, qui consiste à déposer les spermatozoïdes dans le fond de la cavité utérine, maximise les chances de grossesse. Dans 15 à 20% des cas, elle est couronnée de succès. »

Lorsque l’insémination n’a pas donné les effets escomptés, le gynécologue peut alors proposer au couple une “fécondation in vitro” (FIV), soit la rencontre programmée dans une éprouvette entre un spermatozoïde et un ovule. Après fécondation, la cellule se multiplie et forme un embryon qui sera ensuite implanté dans l’utérus de la maman. « Le CPMA de Liège procède à près de 700 FIV par an, précise la Dr Laurie Henry, gynécologue et responsable du centre. Elles aboutissent à un peu plus de 30% de grossesses en moyenne. La patientèle vient de toute la Wallonie et de France principalement. »

Qui dit PMA dit aussi, parfois, recours aux “dons”. Car l’un des deux partenaires dans le couple (ou les deux) peut (peuvent) être stérile(s). Il faut alors penser à un don de sperme, d’ovocyte, voire d’embryon. Suivant en cela la directive européenne sur les tissus humains – “le don doit être volontaire et non rémunéré” –, la loi belge autorise deux formes de dons (anonymes ou non) et impose leur gratuité. La France admet aussi les dons (gratuits et anonymes) mais uniquement pour les couples hétérosexuels, ce qui explique le déplacement à Liège de femmes seules ou de femmes homosexuelles.

Si le succès de la FIV dépend de la qualité des gamètes de départ, il est aussi tributaire de l’implantation réussie de l’embryon dans la cavité utérine. « Or cette étape, très délicate, est périlleuse, confie la Pr Michèle Nisolle. En collaboration avec la Maternité des Bluets de Paris, notre équipe se spécialise dans la recherche de techniques nouvelles d’implantation pour réduire le nombre d’échecs à ce stade. La Dr Laure Noël, chercheuse au FNRS, consacre sa thèse sur les fluides folliculaires des ovocytes qui joueraient un rôle dans la nidification de l’embryon. »

BANQUE DE DONNEURS

À la Citadelle, on respecte l’esprit de la directive : les dons ne sont pas rémunérés. Mais les volontaires ne se bousculent pas au portillon ! Face à la pénurie d’offres, des entreprises privées ont pris toute la mesure du marché : à Aarhus au Danemark, la banque de sperme Cryos International emploie une centaine de salariés et revendique 30 ans d’expérience. Son catalogue de donneurs (qui perçoivent 45 dollars pour chaque don) est disponible sur le web et comporte une description succincte du géniteur : taille, poids, couleur des yeux et formation. La commande et le paiement se font en ligne et les paillettes stockées dans des tubes d’azote arrivent à domicile dans une boîte isotherme, accompagnées d’une fiche conseil… Cryos International exporte dans plus de 100 pays et a créé un nouveau centre aux États-Unis. Les clients ? Au début, des maris stériles, aujourd’hui des femmes seules entre 30 et 40 ans, et des couples de femmes homosexuelles. En Espagne, Eugin, une clinique catalane, s’est spécialisée dans le prélèvement et la vente des ovocytes. Elle affiche un taux de grossesse de 65%. Les donneuses d’ovocytes restent anonymes, mais les jeunes femmes recevraient 1000 euros par ponction.

À l’heure actuelle, la FIV n’est envisagée que pour “raison médicale”. Mais la Belgique admet la congélation des ovocytes “pour raison personnelle”, une pratique encore contestée en France, en Allemagne, en Autriche ou en Italie où la congélation n’est autorisée que dans le cas d’une insuffisance ovarienne, d’une opération, d’un traitement par chimiothérapie, etc. A contrario, aux États-Unis, Facebook et Apple notamment financent des recherches et incitent leurs jeunes éléments à faire congeler leurs cellules sexuelles lorsqu’ils sont jeunes et en pleine forme ! Pourtant, si la technique de la FIV est révolutionnaire, elle n’est pas toujours gage de grossesse. Aujourd’hui, dans le monde, 3% seulement des enfants sont conçus par PMA. En 2017, on en dénombrerait 5 millions tout de même.

En cas d’anomalies graves (absence d’utérus par exemple), certaines femmes doivent faire le deuil de la grossesse. Traditionnellement, on invitait alors les couples à se tourner vers l’adoption. À présent, le recours à une “mère de substitution” peut être envisagé : c’est ce que l’on appelle désormais la “gestation pour autrui” (GPA). La FIV est alors réalisée à partir des cellules sexuelles du couple (ou non), puis l’implantation de l’embryon est réalisée chez une autre femme capable – et désireuse – de mener une grossesse à terme pour autrui.

La législation en la matière varie énormément. Si la Russie, l’Inde, certains états des états-Unis, le Canada, l’Australie, la Grèce, l’Iran et Israël autorisent la GPA, plusieurs pays s’y opposent : la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Norvège, la Suisse (la province du Québec également). D’autres ne l’interdisent pas : la Belgique, le Danemark, la Hongrie, la Pologne, le Luxembourg et les Pays-Bas font partie de ceux-là.

ALTRUISME/MARCHANDISATION

“La jurisprudence belge considère que la GPA n’est pas en soi contraire à l’ordre public et que l’adoption par les parents d’intention, génétiques et sociaux, peut être autorisée sous conditions strictes”, lit-on sur le site web du CPMA de Liège. Ce centre a constitué une commission pluridisciplinaire qui reçoit environ une dizaine de demandes de GPA par an de la part de femmes présentant une absence d’utérus ou “toute autre cause” contre-indiquant la grossesse. Toutes n’aboutissent pas. Et en aucun cas la GPA “de confort” n’est admise.

« En 20 ans, les quatre centres belges agréés proposant les GPA (CHR de la Citadelle de Liège, Hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, CHU d’Anvers et CHU de Gand) ont permis la naissance de 150 enfants environ, reprend Laurie Henry. Un très petit nombre qui s’explique par les normes strictes établies par les centres de fertilité. » Et Géraldine Mathieu de préciser : « Le couple doit trouver lui-même une mère porteuse, de préférence non mariée et ayant déjà un enfant. Une convention est signée devant un cabinet d’avocats pour garantir les droits de toutes les parties. Toutefois, à l’heure actuelle, la jurisprudence considère la convention de GPA comme contraire à l’ordre public, ce qui signifie que la convention est dénuée de valeur devant un tribunal. »

Inutile de préciser que la GPA provoque des débats passionnés en Europe; le nombre d’articles de presse en témoigne. En 2015, le Parlement européen “a condamné la pratique des mères porteuses qui porte atteinte à la dignité humaine de la femme dans son corps et ses fonctions de reproduction utilisés comme une marchandise…”. Mais la Convention européenne des droits de l’homme pose comme repère le droit à la protection de la vie privée et de la vie familiale. De nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ont ainsi affirmé l’obligation pour les États de retranscrire les actes de naissance effectués à l’étranger. La France, visiblement, n’entend pas suivre cette tendance.

Dans l’Hexagone, cette question a fait l’objet d’un avis négatif par le Comité consultatif national d’éthique. La philosophe Sylviane Agacinski, auteur du Corps en miettes4, rappelle que la pratique a été jugée incompatible avec le droit des personnes. L’enfant, qui est une personne, ne peut pas faire l’objet d’un échange. Les lois de bioéthique excluent de droit les conventions de maternité pour le compte d’autrui. Et Sylviane Agacinski de fustiger un glissement sémantique révélateur : on est passé de “la maternité de substitution” à la “gestation pour autrui” (GPA) pour lui donner un aspect altruiste.

GPA ÉTHIQUE

Serait-il possible d’élaborer des critères juridiques pour une GPA “éthique”? Certaines féministes telles qu’Élisabeth Badinter le pensent. Interrogée sur ce point, la Pr Florence Caeymaex (département de philosophie de l’ULiège), membre du Comité consultatif de bioéthique de Belgique, estime que « dans la mesure où la GPA existe – et quoi qu’on en pense –, il vaut mieux l’encadrer juridiquement ; les vides juridiques, en ces matières, ne sont bons pour personne et risquent de mettre en péril les droits des uns et des autres, à commencer par ceux des enfants. Il faut, à travers le droit et les dispositifs chargés de le mettre en oeuvre, trouver de bonnes manières de réaliser des transactions altruistes, de moduler les liens entre les parties ainsi que des modalités de dé-liaison spécifiques (entre les auteurs du projet parental et la mère de substitution), dans un respect mutuel, en s’assurant du consentement libre et éclairé de chacune d’entre elles. Un encadrement bien pensé, tant sur le plan juridique que psycho-social, permet de proposer des réponses aux risques que présente cette pratique, notamment pour les mères de substitution. Il reste que la réalité du terrain présente des situations variées, où la parentalité peut prendre des formes diverses : si certaines mères porteuses resteront éloignées des parents d’intention, il arrive qu’elles fassent partie des proches (une soeur de la mère d’intention, par exemple). »

Si la GPA est pratiquée sous certaines conditions en Belgique et encadrée par les comités d’éthique des hôpitaux, « il y a un vide juridique, constate Géraldine Mathieu5. La GPA n’est en effet pas directement visée dans la loi du 6 juillet 2007 relative à la PMA : elle est implicitement tolérée… Tout contrat est donc réputé nul devant la justice belge. » Légalement, la mère qui accouche, en l’occurrence la mère porteuse, est la mère de l’enfant, selon le principe ancien “mater semper certa est”. Pour résoudre cet imbroglio juridique, le père d’intention peut reconnaître l’enfant pendant la grossesse avec l’accord de la mère porteuse, laquelle peut ensuite consentir à l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, deux mois après la naissance. Dans les faits, l’épouse doit donc adopter l’enfant de son compagnon. Florence Caeymaex estime que « la déclaration de naissance pourrait être établie directement par les parents demandeurs ». Le débat n’est cependant pas clos. « La procédure est compliquée, explique Géraldine Mathieu. Mais l’avantage est sans doute que le nom de la femme qui a porté le bébé pendant neuf mois est indiqué sur l’acte de naissance, ce qui donne à l’enfant la possibilité d’accéder à ses origines. »

Et si tout cela était bientôt de l’histoire ancienne ? Une autre technique vise en effet à rendre la grossesse obsolète : l’incubateur de bébés6. L’idée de l’ectogenesis – une grossesse menée hors du ventre de la femme, dans un utérus artificiel – ne date pas d’hier. Le biologiste Haldane, proche d’Aldous Huxley, indirectement à l’origine du Meilleur des mondes (1932), l’évoque dès 1923. Par ailleurs, le sujet n’est plus tabou : il a été officiellement débattu lors d’un congrès mondial de bioéthique organisé, en novembre 2004, à Sydney. Si des essais sont déjà effectués avec un relatif succès sur l’animal, « on est encore très loin du compte, estime la Pr Nisolle, car remplacer le placenta ne va pas être chose aisée. »

Le désir d’enfant à tout prix n’est évidemment pas contemporain. Dans la Genèse déjà (VIIIe-VIIe siècles avant notre ère), Sarah, la femme stérile d’Abraham, demande à sa servante de porter l’enfant de son mari (ce serait même l’argument sur lequel se sont fondés les législateurs pour autoriser la GPA en Israël en 1996)7. Il est d’ailleurs fort à parier que l’on s’est toujours “arrangé” dans les familles pour assurer une descendance. Aujourd’hui, les techniques médicales permettent de surmonter l’infertilité des couples en toute transparence et “sur mesure”.

LE POINT DE VUE DES ENFANTS

Si les débats sont nombreux et très vifs pour l’instant en France, la Belgique, il faut le reconnaître, fait partie des pays “bienveillants” qui oeuvre, dans le respect de toutes et de tous ces adultes consentants (ne l’oublions jamais), en faveur du bien-être des parents et de l’enfant à naître. Des enfants dont il faudra un jour entendre la voix. Car bien souvent, ils demandent à connaître l’identité du donneur sans qui leur existence n’aurait pas été possible. « En garantissant l’anonymat du donneur, le droit belge confisque de manière délibérée une partie des origines de l’enfant, expose Géraldine Mathieu. Or priver un enfant de ses origines revient à l’amputer d’une partie de lui-même. »

L’État ne peut évidemment pas obliger les parents à révéler les circonstances de la conception. Mais chaque enfant a le droit de connaître son histoire. En Angleterre, une instance officielle peut révéler la vérité aux individus qui le souhaitent. L’important étant sans doute de savoir que l’information est disponible quelque part : à chaque personne de voir si elle souhaite chercher ces informations ou non. « Le droit de connaître ses origines apparaît fondamental ; il participe à la dignité humaine », plaide pour sa part Géraldine Mathieu.

Pour concevoir plus loin

Centre de procréation médicalement assistée

Nathalie Massager et Nicole Gallus (dir.), Procréation médicalement assistée et gestation pour autrui. Regards croisés du droit et de la pratique médicale, Anthémis, 2017

Géraldine Mathieu, Le droit de l’enfant de connaître ses origines, DEI-Belgique, 2015

La maternité de substitution ou gestation pour autrui, dossier proposé par la Ligue des familles

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