Liège, métropole étudiante

La mobilité, le logement et la créativité

Dans Univers Cité
Dossier PHILIPPE LECRENIER - Dessins GÉRARD MICHEL

Comment devenir une métropole influente ? C’est pour y répondre que l’idée du “Liège-Labville” a émergé en 2015. La synergie entre la Ville et l’Université a pour objectif de travailler ensemble sur les nouvelles pratiques urbaines. D’emblée, un dénominateur commun aux deux partenaires s’est imposé : la grande population étudiante de la ville. « Liège souhaite tenir un discours sur son statut de métropole étudiante, pointe Jacques Teller, professeur d’urbanisme et d’aménagement du territoire à l’ULiège et coordinateur pour la question de la mobilité au sein du Labville. Les villes cherchent de nouvelles images, de nouvelles dynamiques. Les lieux culturels, les espaces verts, les tissus entrepreneuriaux sont des facteurs attractifs, mais l’université et les Hautes Écoles aussi. Elles draînent une population qui va se développer en réseau et en partie se fixer en ville. » De premières rencontres annuelles en décembre 2016 et 2017 ont réuni différents intervenants (Ville, communes voisines, différentes facultés de l’ULiège, Hautes Écoles, etc.). Elles ont permis de poser des diagnostics, d’énoncer une série de souhaits et de proposer des pistes d’actions en matière de mobilité, de logement et d’aspiration à devenir une “ville créative”.

TÉLÉPHÉRIQUE

Saturation des axes routiers, pollution, santé publique, environnement, coûts… La crise de la mobilité urbaine est au coeur de nombreux conseils communaux. Pour les étudiants liégeois, le vocable désigne les déplacements dans le centre-ville et l’accès au Sart-Tilman. « Le constat de la pénibilité et du temps de parcours dans les transports en commun dans leur configuration actuelle est récurrent », observe Jacques Teller. Ce qui explique en partie la congestion de certains parkings du campus. Des alternatives existent : CovoitUliège, par exemple. Cette plateforme, lancée sous la direction de Damien Ernst en avril 2017, favorise le covoiturage vers le Sart-Tilman ; elle se développe également vers d’autres sites dans la ville.

Parmi les propositions plus surprenantes, il y a celle d’un téléphérique reliant Sclessin au Sart-Tilman et au CHU. Si l’idée a d’abord suscité une vague de scepticisme, elle a gagné en crédit à la lumière d’une étude menée par des ingénieurs de l’ULiège. L’infrastructure n’est pas bien lourde et exige peu de personnel pour fonctionner à plein régime, ce qui assure des coûts d’investissement et d’entretien relativement abordables. « Surtout, sa capacité de transport journalière est assez grande. Et les simulations sur la gestion de pics d’affluence se sont révélées encourageantes. La station serait desservie par un parking-relais ainsi que par un arrêt de tram. Selon les calculs, les passagers d’un tram pourraient être répartis dans les capsules du téléphérique en moins de deux minutes », calcule le Pr Teller.

Le projet séduit… mais n’est pas encore à l’agenda politique. La dynamique reste cependant intéressante, notamment parce qu’elle fédère plusieurs moyens de transport. Or, pour désengorger la ville et gagner en confort et en temps de trajet, les investissements doivent favoriser les synergies des infrastructures, tout en évitant la multiplication des connexions. Ce qui inclut une réorganisation du réseau des bus afin de déconstruire la logique “en étoile” autour de la place Saint-Lambert et de créer un réseau de lignes indépendantes sur la rive droite (Longdoz et Angleur). De nouvelles lignes directes vers le Sart-Tilman pourraient également être envisagées.

Les questions de la voiture et des limites du stationnement ont également été abordées. « L’idée est d’éviter l’utilisation de l’automobile et son stationnement en ville, notamment en instaurant des parkings bien desservis à la périphérie. » Et le vélo ? Manifestement, poursuit Jacques Teller, il est “tendance” et le vélo électrique jouit d’un intérêt croissant. Mais pour encourager ce mode de transport “doux”, il faut multiplier les pistes cyclables et les parkings sécurisés. Il faut également réfléchir aux types d’intermodalité entre les cycles et les bus ou le train, par exemple. On peut encore imaginer des formules de location bon marché pour répondre à un coût d’achat souvent dissuasif. D’autres approches témoignent aussi du souci constant pour la mobilité : « L’Université travaille par exemple sur la mise en place de deux plages horaires pour entamer les journées d’enseignement : l’une à 8h, l’autre à 9h, ce qui permettrait d’éviter un pic de fréquentation trop important à 8h30, d’autant que ce moment correspond de surcroît aux horaires des Hautes Écoles et des écoles secondaires », fait remarquer le Pr Teller.

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RAMENER L’UNIVERSITÉ EN VILLE ?

À l’heure des villes compactes et du rejet des trajets motorisés, une question se pose : ne ramènerait-on pas tout le campus universitaire en ville ? « Certains le souhaitent, concède Jacques Teller. Mais les coûts seraient exorbitants, et ça ne résoudrait pas tous les problèmes. Depuis la fermeture d’Arcelor-Mittal, le campus est le seul pôle d’emploi situé sur la rive droite de la Meuse, pourtant densément peuplée. » Densifier les activités urbaines tout en préservant le Sart-Tilman ne serait pas antagoniste. « Liège pourrait sans problème doubler sa production annuelle de logements. Ils continueront néanmoins de manquer. C’est là que nous pourrions réfléchir à faire du campus boisé un véritable atout en y créant du logement, des activités économiques et culturelles, en l’urbanisant pour en faire un lieu dont on ne doit pas obligatoirement s’échapper à la fin des cours. Le Sart-Tilman est l’un des pôles les mieux desservis en bus de la région. Le matin, il y a des bus toutes les deux ou trois minutes, mais c’est presque vides qu’ils redescendent en ville. Ce qui pourrait être rééquilibré si des gens vivaient aux alentours du campus. Ce n’est qu’un exemple. En développant le centre et les pôles périphériques et en assurant des modes de transport structurants, on pourrait faire de la métropole liégeoise un système urbain multipolaire efficace », affirme Jacques Teller.

L’aménagement du territoire touche à une autre grande question, celle du logement. « Nous avons d’abord identifié la demande étudiante avant d’analyser l’offre, prévient Sophie Dawance, de la faculté d’Architecture de l’ULiège et coordinatrice de la question du logement au sein du Labville. La finalité était de centraliser toute une série de données qui sont parfois connues ou supposées, mais qui n’ont pas fait l’objet d’un recensement systématique. » Le nombre d’étudiants à Liège est estimé à 40 000, dont une moitié est universitaire. Entre 8400 et 11 000 d’entre eux habitent en “kot”. Ces logements sont disparates : chambres chez l’habitant, immeubles divisés en logements, internats, colocations ou résidences d’étudiants.

PontArches-GerardMichel « En l’état, ces logements peuvent être perçus comme des inconvénients. Souvent, les étudiants n’y sont pas domiciliés, certaines charges reviennent donc à la collectivité. Ils occupent de plus en plus de logements familiaux divisés en appartements ou destinés aux colocations, ce qui diminue l’offre pour les ménages et a tendance à faire augmenter le prix du loyer ou encore à occasionner des saturations du stationnement dans les zones résidentielles. Certains quartiers peuvent également voir leur dynamique fortement influencée par une grande présence d’étudiants : c’est le cas du quartier Saint-Gilles, notamment », expose Sophie Dawance. Les étudiants, quant à eux, ont des critères de choix précis : coût du loyer, présence d’équipements collectifs, localisation. Ce qui permet d’envisager une offre spécifique, qui pour le moment a des limites : certains logements ne sont pas aux normes de qualité et de salubrité requises et la presque totalité du parc est privée. Il n’existe donc pas de tarifs sociaux. Mais pour le Labville, la présence des étudiants doit être abordée comme une opportunité à cultiver, à la fois pour l’économie, la vie locale et même l’image de Liège à l’étranger.

Quelques initiatives encore timides ont vu le jour. Les kots à projet, premièrement, qui invitent les étudiants à s’impliquer dans la société autour d’activités citoyennes concrètes. Ils jouissent d’un véritable succès à Louvain-la-Neuve et percent à Liège. « Il en existe un sur la question du gaspillage et un autre sur la musique, reprend la chercheuse. Notons aussi d’autres projets sociétaux, comme“ un toit deux âges”qui offre aux étudiants une chambre pour un loyer modéré en échange de services chez une personne âgée. »

À partir d’une description précise de l’ensemble des logements, on peut développer un label qui faciliterait les recherches. « Ainsi, poursuit Sophie Dawance, on peut élaborer des schémas prospectifs et limiter l’accès à un quartier ou promouvoir d’autres zones pour mieux équilibrer les projets immobiliers et les implantations. »

Plus encore, le logement étudiant peut répondre à des problèmes urbains très précis tout en promettant confort et qualité. Un premier exemple : de nombreux logements au-dessus des commerces du centre-ville sont inhabités. Ils n’intéressent pas les ménages, car ils offrent peu d’espaces extérieurs et sont parfois difficiles d’accès en voiture. « Par contre, ils intéressent les étudiants qui recherchent l’hyper-centre et l’accès à toute une série de services. L’espace extérieur n’est pas nécessairement une priorité pour eux dans la mesure où ils n’y vivent pas toute l’année. Des cas emblématiques ont été identifiés, dont l’îlot qui abrite le passage Lemonnier et plus largement l’ensemble de Cathédrale Nord, très proche de la place du 20-Août. »

Une seconde piste pourrait être l’occupation temporaire de bâtiments publics désaffectés. « Certains d’entre eux se dégradent en attendant l’obtention de fonds pour une réaffectation. Mais les conditions d’hygiène et de salubrité restent parfois aux normes. On pourrait imaginer, après aménagement, des conventions d’occupations temporaires. À Bruxelles, un bâtiment désaffecté de l’Armée du Salut a été réaménagé par des étudiants de la faculté d’Architecture la Cambre-Horta (ULB). » Ce projet, “home for less”, regroupait plusieurs partenaires et était destiné aux sans-abris. « Il illustre toutefois le fait que certains étudiants seraient prêts à mettre la main à la pâte, à s’investir personnellement dans l’aménagement de leur logement, si on leur apportait un soutien qui pourrait être contractualisé avec la Ville (loyers réduits, aide matérielle, etc.). » Dans cette logique, une autre idée, déjà testée à Amsterdam, réside en l’installation de conteneurs habitables sur les zones en friche qui, non utilisées, dévalorisent un quartier. À Liège, ces dispositifs pourraient présenter des conditions financières intéressantes en échange d’organisation d’événements, d’aménagements ou d’animations dans le quartier. « Aucune de ces idées n’est une solution standard. Ce sont des pistes intéressantes. L’idée maîtresse est que les profils d’étudiants sont variés ; leurs besoins ne sont pas toujours rencontrés, et, à l’inverse, ils pourraient résoudre certains problèmes urbains », conclut la chercheuse.

L’IMAGINATION AU POUVOIR

À la suite des thèses du géographe économique américain Richard Florida, la notion de “ville créative” a été redéfinie et reprise en termes de politiques prospectives de développement urbain. Florida propose d’observer les enjeux de la ville contemporaine sous un autre angle. « Cet auteur postule que les entreprises, dans leurs stratégies d’implantation, sont de plus en plus sensibles à ce qu’il nomme la “classe créative”, soit le personnel qualifié, résume Jean-Marie Halleux, professeur de géographie à l’ULiège et coordinateur de la question de la ville créative au sein du Labville. Pour faire court, les entreprises vont s’implanter là où se trouve cette classe créative. Sans doute convient-il alors de stimuler l’accueil de cette classe créative afin d’attirer les entrepreneurs. »

L’une des idées maîtresses pour y parvenir est l’ouverture des sociétés à l’immigration ; une autre d’entretenir des milieux de vie attractifs et de promouvoir, notamment, les activités culturelles. À cet égard, Liège a incontestablement une longueur d’avance avec des insfrastructures de qualité comme le Théâtre de Liège, la Cité Miroir, l’Opéra royal de Wallonie, Les Grignoux, le Pôle Image, etc. « La notion de ville créative dépasse néanmoins le cadre culturel, constate Jean-Marie Halleux. Elle fait référence à l’ensemble du développement économique. Or Liège a aussi la chance d’être une ville diversifiée. Et l’Université y joue un rôle majeur, à travers l’enseignement certes, mais aussi par la création des spin-offs, ou encore par des incubateurs de projets comme le VentureLab. »

Parmi les avancées du Labville, notons le formidable bouillonnement de propositions. Certaines pistes lancées en matière de logement semblent pouvoir répondre à quelques besoins épinglés pour la ville créative. Quant aux réflexions sur la mobilité, elles désengorgeront les quartiers les plus peuplés. Nul doute que ces solutions hybrides répondent petit à petit aux défis de la métropole contemporaine.

L’envie de savoir des villes

Entretien avec Jean-Louis Genard

Jean-Louis Genard est philosophe et docteur en sociologie. Il est le rédacteur en chef de la revue SociologieS et a été amené à étudier ou à entrer dans de nombreuses controverses et luttes urbaines*.

Le Qinzième Jour : Quels sont les liens entre les universités et les autorités bruxelloises ?

Jean-Louis Genard : Ces liens sont importants et prennent diverses formes. Si on compare à d’autres grandes villes, je pense qu’il y a une forte institutionnalisation de dispositifs réflexifs entre la Région et la ville de Bruxelles d’un côté et les institutions académiques de l’autre. N’oublions pas que la Région bruxelloise dispose de compétences en matière de financement de la recherche. Depuis les années 2000, elle a sollicité davantage le monde académique au travers de différents programmes de recherche, mais aussi en finançant la revue Brussels studies. Par ailleurs, dès le mois d’avril 2009, des associations citoyennes ont organisé les états généraux de Bruxelles. De nombreux acteurs s’y sont réunis pour débattre du devenir bruxellois. En sont ressorties de nombreuses réflexions, mais aussi le dépassement de clivages qui fracturaient la société et le monde politique. Dans la foulée, nous avons notamment fondé le Brussel Studies Institute, qui rassemble les trois universités bruxelloises (VUB, université Saint-Louis, ULB) et qui s’est imposé comme un interlocuteur incontournable des autorités publiques.

LQJ : Ces réseaux de réflexion transversaux sont dans l’air du temps…

J-L.G. : Oui, ce qui y est particulièrement intéressant, c’est que d’anciens concurrents travaillent ensemble de plus en plus spontanément. Ce qui finit par créer une porosité entre les mondes politiques, associatifs et académiques. Je parle de porosité parce que les influences sont mutuelles. Il y a des traductions, des renégociations constantes, des enjeux qui affectent la nature même des recherches. Ces réflexions à l’échelle métropolitaine s’observent un peu partout dans les villes européennes, en particulier autour des enjeux d’aménagement de l’espace public. Un domaine dans lequel, à Bruxelles, il existe des dispositifs participatifs depuis longtemps.

LQJ : Pourquoi ce besoin de réflexivité de la part des villes ? Ont-elles besoin de mieux se connaître ?

J-L.G. : Il y a effectivement un déplacement de la lutte entre les États-nations vers une lutte ou une concurrence – de plus en plus grande – entre les villes. Au niveau des transformations de l’action publique, plusieurs dimensions entrent en jeu, dont la mise en place d’instruments réflexifs, lesquels se nouent et entrent en interaction autour de problématiques urbaines concrètes. Prenez la création du piétonnier de Bruxelles. C’est un acte politique assez violent au départ, qui a nourri une grande controverse, mais qui cherchait pourtant à répondre à une demande du secteur associatif. Suite à cette polémique, la Ville a créé un observatoire du piétonnier : un organisme de suivi sur ce qu’il devient, sur les changements de pratiques ou de mobilités qu’il induit… Cet observatoire est rapidement devenu un Observatoire du centre-ville autour duquel se muliplient des activités, des recherches, des workshops où se croisent des acteurs des différents milieux académique, associatif, économique, politique. C’est un bel exemple d’un acte politique dont le caractère problématique débouche sur la mise en place de dispositifs participatifs et réflexifs transversaux.

* Jean-Louis Genard a enseigné la sociologie urbaine à l’Institut d’architecture La Cambre avant d’en assurer la direction. Après l’intégration des Instituts d’architecture à l’Université, il a été doyen de la nouvelle Faculté et s’est ensuite occupé du développement de la recherche. Il est le fondateur du Groupe de recherche sur l’action publique de l’ULB (Grap).

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