Ils ont marché sur la Lune

De décembre 1968 à décembre 1972

Dans Omni Sciences
Dossier THÉO PIRARD – Photos NASA

Les Golden sixties ont été la décennie prodigieuse de l’astronautique. L’apothéose était marquée par l’arrivée de quatre Américains sur la Lune au cours de l’année 1969. Huit autres astronautes allaient les imiter en 1971 et 1972. Aujourd’hui, archéologie spatiale oblige, la NASA prend des mesures pour préserver les sites historiques sur lesquels, lors de six expéditions Apollo, des Terriens ont marché, travaillé et même roulé sur la Lune.

Le 12 avril 1961, à bord du vaisseau Vostok, le cosmonaute Youri Gagarine effectuait un tour du globe en une heure et demie. Cette mission, assurément héroïque, fut une heure de gloire pour le régime communiste de Moscou, mais une humiliation pour Washington. La riposte américaine afin de redorer la bannière étoilée des USA dans l’espace ne tarda pas.

Le 25 mai 1961, le jeune président John Fitzgerald Kennedy s’engagea devant le Congrès à réussir le pari d’une Amérique gagnante sur la Lune. Le compte à rebours était enclenché à une époque – rappelons-le – où l’informatique fonctionnait avec d’énormes machines (IBM, Honeywell, Raytheon, le MIT) et des milliers de cartes perforées… Il restait beaucoup à faire, mais on disposait de ressources financières : durant l’année 1962, la NASA allait bénéficier d’un budget estimé à 170 milliards de dollars (valeur 2005). Les Américains allaient donner libre cours à l’initiative technologique car les défis étaient de taille : il fallait non seulement mettre au point des propulseurs à hautes performances mais encore maîtriser les technologies pour manoeuvrer dans l’espace, vivre loin de la Terre, se poser sur le sol lunaire et en redécoller, rentrer à très grande vitesse dans l’atmosphère et revenir en toute sécurité sur notre planète.

UNE PROUESSE RÉUSSIE EN 98 MOIS

Lune-NB De 1962 à 1969, l’obsession de revanche a mobilisé tout le potentiel industriel et universitaire de l’Amérique. Une mobilisation qui n’a nullement faibli après l’assassinat de Kennedy à Dallas le 23 novembre 1963. Il est vrai que son successeur, le président Lyndon Johnson était un partisan convaincu de l’odyssée spatiale.
En juillet 1969, le monde, sauf l’Union soviétique et la Chine, va vivre en direct le triomphe d’Apollo-11. Tandis que Mike Collins évolue autour de la Lune à bord du vaisseau “Columbia”, Neil Armstrong et Buzz Aldrin se posent le 20 juillet avec le module lunaire “Eagle” sur la “Mer de la Tranquillité”. Ils plantent la bannière américaine, installent des équipements scientifiques et récoltent 21 kg d’échantillons lunaires. L’équipage d’Apollo-11, une fois réuni, regagne sans encombres la Terre avec un splashdown dans le Pacifique. C’est le président Richard Nixon qui a l’honneur de les accueillir sur le porte-avions Hornet.

Ainsi l’ambition de Kennedy était-elle réalisée : les Américains ont mis les pieds sur la Lune et sont revenus sains et saufs avec des échantillons de son sol. à la fin de 1969, grâce à la réussite d’Apollo-12 en novembre, quatre astronautes ont foulé la surface lunaire. De juillet 1969 à décembre 1972, 12 astronautes de la NASA vont explorer six sites de la Lune. En tout, 383 kg de roches et poussières lunaires sont rapportés sur Terre. Les 9/10 sont stockés dans deux laboratoires au Texas, protégés des séismes. D’autres missions lunaires étaient encore prévues (jusqu’à Apollo-20), mais les trois dernières furent supprimées faute de budget, Richard Nixon ne manifestant guère d’intérêt pour la poursuite de la mission. La Lune ne faisait plus recette, mais l’aventure avait permis un regard nouveau sur notre vaisseau spatial, la Terre.

L’ATOUT EUROPÉEN DE LA COOPÉRATION

Lune-Crew L’impact tant stratégique qu’économique du programme Apollo est majeur. Les satellites, en se multipliant au-dessus de nos têtes, ont envahi notre quotidien. Ils ont donné à notre sécurité une dimension globale et permis les nouvelles communications, la télévision, la météorologie, la surveillance de l’environnement, la gestion des ressources, une navigation de plus en plus précise…

L’Europe, béate d’admiration, a misé sur la coopération intergouvernementale pour mettre sur pied dans les années 1960 un programme de technologie spatiale. L’université de Liège, grâce au Pr Polydore Swings, a joué un rôle influent dans la stratégie de l’Europe spatiale dès ses débuts. Son Institut d’astrophysique (IAL), avec l’équipe du Pr André Monfils, a participé à des expériences à bord de fusées-sondes, puis au développement de l’instrument du TD-1, le premier satellite européen d’astronomie lancé par la NASA en mars 1972. L’institut se dote d’une cuve de simulation du vide, la première d’une famille de simulateurs, baptisés FOCAL (Facility for Optical Calibration at Liege). En 1984, l’IAL s’implante dans le Parc scientifique du Sart-Tilman. Rebaptisé Centre spatial de Liège (CSL) en 1992, il devient le coeur du “spatiopôle” wallon. Dans son orbite, quelques spin-offs voient le jour : AMOS (opto-mécanique, télescopes, simulateurs d’environnement spatial), Spacebel (logiciel pour les systèmes spatiaux), Samtech (modélisation numérique), notamment.

LIÈGE FACE AUX DÉFIS DU NEW SPACE

Aujourd’hui, la grande aventure de l’espace vit à l’heure du phénomène “New Space”. Depuis 2010, on assiste en effet à une mainmise grandissante de la libre entreprise pour une démocratisation lucrative des systèmes spatiaux.
La plus spectaculaire de ces initiatives en cours est celle de “SpaceX” (Space Exploration Technologies), que l’on doit au candide visionnaire Elon Musk : il propose ses lanceurs Falcon et Falcon Heavy pour des services de transport spatial et il projette d’aller sur Mars avec son système réutilisable BFS (Big Falcon Starship). Le discret Jeff Bezos, fondateur et patron d’Amazon, veut lui faire de l’ombre avec sa société Blue Origin, dans laquelle il investit une petite partie de sa fortune, estimée à 120 milliards de dollars. Le Grand-Duché de Luxembourg voit dans l’espace un nouvel Eldorado et entend encourager l’esprit entrepreneurial pour la prospection des ressources dans le système solaire, pour l’emploi in situ des matières premières sur les astéroïdes…

Gaëtan Kerschen, professeur au département aérospatiale et mécanique (A&M), tire la leçon des ambitions dans l’espace pendant les années 1960 et 1970 : « À l’époque, il y avait non seulement la volonté politique, mais surtout la prise de risques pour relever des objectifs audacieux. À présent, les agences spatiales font preuve d’une grande prudence avec des procédures très lourdes, longues et coûteuses. » Sur les perspectives nouvelles de la mutation du New Space, la prudence doit être de mise selon Gregor Rauw, professeur au département astrophysique, géophysique et océanographie (AGO) : « Le phénomène en cours fait appel au sensationnel et manque d’objectivité. Autant on a un sang nouveau dans le développement des activités spatiales, autant il faut veiller à ce que l’espace ne devienne pas un Far West où tout est permis pour faire de l’argent. »

Du côté du CSL, on est conscient de la mouvance du New Space pour renforcer et améliorer son expertise unique en Belgique. Pour son directeur général, Claude Jacqmin, économiste spécialisé dans la gestion d’entreprises, il importe de privilégier l’innovation grâce aux capitaux publics : « Il s’agit de garder une longueur d’avance dans les compétences qui font notre réputation internationale, tout en recherchant la complémentarité avec d’autres acteurs du spatial. » Serge Habraken, directeur scientifique et académique du CSL, insiste sur la priorité qu’il faut donner à des partenariats technologiques pour s’impliquer dans des niches, valoriser les installations d’essais, développer des outils compétitifs pour les nouvelles missions dans l’espace. Il fait référence au développement d’un senseur miniaturisé pour la détection de minerais, à une constellation de microsatellites pour l’observation de l’environnement dans le thermique infrarouge. « Notre atout est d’être proche de ces entreprises ayant décidé d’investir dans du spatial qui réponde de manière efficace et rentable à nos besoins pour la sécurité, le développement durable, les systèmes logistiques. » Le CSL se tient prêt à participer à un projet international d’un retour sur la Lune : il est question d’implanter “un village lunaire”, avec robots et habitat, à la fin des années 2020.

Entretemps, la Chine aura marqué de son empreinte l’exploration de notre satellite naturel. Il faudra tenir compte de son approche méthodique avec son programme Chang’e de robots lunaires. Avec Chang’e-4, l’astronautique chinoise a réussi la première de se poser sur la face cachée de la Lune et d’y faire évoluer un rover électrique.
Pour 2020, elle prévoit avec la mission Chang’e-5 de ramener des échantillons du sol lunaire. L’objectif de Pékin est d’affirmer son destin de grande puissance en maîtrisant les technologies qui doivent permettre l’exploitation de ressources en colonisant la Lune.

Ce qui explique, peut-être, la récente annonce de Mike Pence, vice-président des États-Unis : des astronautes américains (dont une femme) foulant à nouveau le sol lunaire avant 2024….

Informations sur les études

Pour poursuivre la réflexion

Jean Richelle, Martine Jamignon, Jean-Marcel Thomas, Éclats de Lune. Entre science et imaginaire, Liège, 2013. 

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