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Entretien PATRICIA JANSSENS - Photos V. BIANCHI

Dans la lutte contre l’épidémie du coronavirus, des chercheur·e·s de l’université de Liège ont mis leurs savoirs et leurs compétences au service de la société. Rencontre avec le Pr Fabrice Bureau, immunologue, vice-recteur à la recherche et le Pr Laurent Gillet du département des maladies infectieuses et parasitaires en faculté de Médecine vétérinaire.

Le Quinzième Jour : Vos activités lors de la crise sanitaire vous ont placé sur le devant de la scène, ce qui n’était pas habituel.

Fabrice Bureau : Mon travail de chercheur m’a toujours enthousiasmé et j’ai été fier à quelques reprises de publier dans des revues prestigieuses... mais, cette année, j’ai vraiment eu le sentiment de faire œuvre utile pour la société, instantanément et avec des résultats tangibles. Par ailleurs, cette aventure – menée dès le départ avec les Prs Laurent Gillet, Michel Georges et Rudi Cloots – a soulevé au printemps un élan de ferveur et de solidarité vraiment remarquable. Non seulement des collègues, des étudiants, des centaines de bénévoles au Giga nous ont aidés, mais j’ai reçu des offres de service spontanées de toute l’Université et au-delà. Ces témoignages d’une grande humanité m’ont beaucoup touché, c’était étonnant et assez inoubliable.

LQJ : Pour rappel, vous avez développé un nouveau procédé de dépistage du virus.

Laurent Gillet : Il y a quatre étapes dans la réalisation d’un test : le prélèvement (naso-pharyngé, salivaire), l’inactivation du virus, l’extraction de son matériel génétique et, in fine, l’amplification de ce matériel par PCR. Très tôt, en mars, nous nous sommes rendus compte que les réactifs nécessaires aux phases 2 et 3 allaient faire défaut. Grâce à notre collaboration avec GreenMat, le laboratoire dirigé par le Pr Rudi Cloots, nous avons redéveloppé tous les réactifs nécessaires à l’extraction de l’ARN du virus (cette invention a été brevetée au nom de l’ULiège). Nous avons organisé une filière de production spécifique dans nos laboratoires afin d’assurer l’approvisionnement de ces réactifs et nous avons aussi veillé à disposer des éléments plastiques indispensables : aujourd’hui, une entreprise à Marloie et une usine à Mouscron en garantissent les stocks.

 LQJ : Votre laboratoire réalise les tests PCR ?

F.B. : Oui. Notre solution est utilisée au niveau fédéral et nous avons (déjà) fait près d’un demi-million de tests dans notre petit labora- toire. Je crois que nous détenons le record du plus grand nombre de tests effectués en une journée : 16 000 ! C’est une équipe de 25 personnes qui permet de réaliser cet immense effort de dépistage au service de la collectivité. À la mi-novembre, copie conforme du laboratoire liégeois, une “plateforme bis” a été mise en place dans les sept autres laboratoires hospitalo-universitaires belges1. Nous avons formé les personnes de certaines de ces institutions. La capacité de testing de cette plateforme belge a ainsi été multipliée par huit.

LQJ : Par ailleurs, vous avez imaginé une autre méthode de prélèvement.

L.G. : L’idée était de proposer un procédé qui puisse être exécuté sans l’intervention du personnel soignant appelé à d’autres tâches. Le test salivaire est facile à réaliser soi-même, et le système inactive d’emblée le virus, ce qui permet au personnel de laboratoire de travailler dans des conditions de biosécurité adéquates. Le kit d’auto-prélèvement conçu avec une entreprise wallonne permet de recueillir la salive2, par gargarisme également, ce qui est particulièrement apprécié lorsque des tests doivent être réalisés de manière régulière, par exemple pour le personnel des hôpitaux ou celui des maisons de repos.

Le test salivaire a été offert par l’ULiège à toute la communauté universitaire dès la fin du mois de sep- tembre, mais nous avons dû l’interrompre. En effet, le gouvernement wallon nous a demandé de proposer ce modus operandi au personnel des maisons de repos et de soins de Wallonie. Cela concerne des dizaines de milliers de personnes et nos capacités de testing ne sont pas extensibles. Lorsque les étudiants reviendront à l’Université, j’espère que nous pourrons à nouveau proposer le test. D’un point de vue scientifique, nous aimerions maintenant utiliser un test PCR capable de révéler et la présence du coronavirus et celui de la grippe, ce qui aiderait considérablement les médecins dans leur diagnostic.

LQJ : Quelle stratégie préconiseriez-vous lors du “déconfinement” ?

F.B. : Bientôt, la Belgique sera capable de tester 110 000 personnes par jour pour une population de 11 millions d’habitants. C’est un record ! Il faut mettre cette compétence au service d’une stratégie intelligente qui combine les tests antigéniques (dans les entreprises par exemple), les tests salivaires pour des groupes à plus grande échelle (les écoles, les maisons de repos, les administrations, le personnel soignant) et les tests naso-pharyngés pour les personnes symptomatiques. Dans certains laboratoires, on tente de fabriquer des tests réalisables à domicile, de “A à Z”. C’est une piste qui sera certainement très intéressante lorsque la technique sera complètement maîtrisée.

L’objectif général du testing est de révéler les personnes positives, de les écarter rapidement afin de les soigner et de protéger leurs proches. On peut aussi – c’est ce que la Chine a mis en œuvre – tester tout le monde dès que l’on repère un foyer de contamination. Si la prévalence est faible, on évite alors la dispersion du virus.
J’aimerais aussi rappeler que l’OMS, depuis plusieurs années, attire l’attention sur une possible épidémie virulente, bien plus grave que celle que nous connaissons. Il faut donc créer en Belgique (ou en Europe) un consortium de veille épidémiologique, une structure technologique et scientifique à la fois qui pourrait anticiper les mesures à prendre et les moyens pour y arriver.

LQJ : Une conclusion ?

F.B. et L.G. : Faites aussi confiance aux médecins vétérinaires quand il s’agit d’épidémie...

1: La plateforme bis est composée de l’institut de biologie clinique de l’ULB, l’hôpital saint-luc Bruxelles de l’UCLouvain, l’UZ Leuven de la KULeuven, le CHU-UCL de l’UNamur, l’hôpital de Jolimont de l’UMons, l’UZ Antwerpen de l’universiteit Antwerpen et l’universiteit Gent.
2: Le kit permet de déposer la salive dans le tube adéquat ou de la recueillir par gagarisme.

Testing

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