Dans Univers Cité
Article PHILIPPE LECRENIER - Photos MATTHIEU LITT; MARC-HENRI BAWIN

Au printemps, les étudiant·e·s en journalisme de l’Université investiront la Grand Poste transformée. Les locaux aménagés au cœur d’une grande ruche numérique et médiatique composeront un outil unique en Belgique francophone pour des jeunes qui y côtoieront notamment la rédaction de RTC. Un projet soutenu par une réflexion sur la pratique d’un journalisme nuancé, constructif et en mouvement.

Une rédaction intégrée avec la radio 48FM et les apprentis journalistes, telle était l’envie de Marc Vanesse, professeur en journalisme d’investigation et déontologie de l’information. « Nous cherchions un geste spectaculaire pour rappeler que l’Université forme des journalistes à l’approche multimédias. C’est précieux, car celles et ceux qui intègrent les rédactions conservent le souvenir de leur université et des experts qu’ils connaissent. » Un message qui fit mouche auprès des autorités.

Le feu vert pour la création d’une rédaction multimédia fut donné en 2016 par le premier vice-recteur Éric Haubruge, alors en charge de l’enseignement. Mais il manquait les briques. « Bavière, le Val-Benoît, plusieurs projets immobiliers étaient intéressants à Liège, explique Fred Cools,
coordinateur de 48FM. Mais c’est la Grand Poste qui proposait les meilleures conditions. » Dès 2017, en effet, Noshaq (anciennement Meusinvest) projette de réhabiliter le bâtiment néo-gothique pour le transformer en ruche médiatique et numérique. Une aubaine, pour le département médias, culture et communication dont le QG se trouve au-delà du passage piétonnier, d’autant que la Grand Poste, emblématique aux yeux des Liégeois, s’érige en face de l’Université, devant la Meuse, là où bat le cœur de la Cité.

MÊME LIEU, MÊMES BUTS

Rapidement, l’ULiège signe un bail emphytéotique pour 1100 m2 de plateaux, répartis sur deux étages. Après plusieurs rencontres entre les responsables de Noshaq, les architectes, le département de communication et la radio étudiante, les plans sont dessinés. Ils prévoient, outre les bureaux des professeur·e·s, une salle de cours pour 50 étudiant·e·s, une salle de rédaction, (la news room), neuf bancs de montage, trois studios pour réaliser des face-caméras, un plateau télé et multimédias muni d’un gradin d’une capacité de 50 personnes, une loge artiste (« avec un miroir bordé d’ampoules », s’amuse l’ancien journaliste du Soir), un “bunker” destiné au datajournalisme et deux studios radio également équipés pour la vidéo et le web-journalisme.

Depuis son exhumation par quelques étudiant·e·s en communication au début des années 2000, la radio 48FM a progressivement rencontré les enjeux pédagogiques du département. Génération après génération, ils et elles se sont familiarisé·e·s avec les techniques écrites, audiovisuelles et numériques. Très logiquement, 48FM quittera bientôt la Maison de la Fédé pour investir la Grand Poste : les studios, au centre du dispositif, seront offerts à la vue de tous grâce à leurs immenses baies vitrées. Fred Cools a pris une part active dans le choix du matériel : « Notre équipement répond à la fois à nos besoins, aux impératifs pédagogiques et aux souhaits de nos futurs partenaires professionnels. Nous disposerons d’un matériel performant, malléable et résilient. »

À terme, le service communication de l’Université y prendra ses quartiers, comme RTC. « Sans oublier les start-up et entreprises actives dans les médias ou dans le numérique, ajoute le Pr Marc Vanesse. Des synergies avec ces futurs colocataires seront à portée de main des jeunes qui vont évoluer dans un environnement bienveillant et dynamique, dans lequel ils pourront inventer, essayer, échouer peut- être et recommencer. Je suis certain qu’un vrai média polyvalent animé par les jeunes va émerger à Liège. »

DATAJOURNALISME

Si l’écrin sera particulièrement chatoyant, il ne suffira pas. « En intégrant la Grand Poste, nous voulons aussi porter un projet pédagogique, précise Marc Vanesse. Celui d’aiguiser l’esprit critique, de cultiver l’investigation, d’éduquer aux médias et aux discours sur le monde. Je ne veux pas faire de tous nos étudiants des Albert Londres ou des Bob Woodward, mais tenter de les inscrire dans un mouvement permanent. » Chaque année, Marc Vanesse organise des rencontres avec des rédactions parisiennes (Mediapart, “Cash Investigation”, “Envoyé spécial”, Le Monde, etc.) afin d’ouvrir les horizons des étudiant·e·s et montrer que le journalisme de la lenteur, de l’approfondissement, de l’investigation reste possible. « Je suis membre de New6s (ndlr : prononcez “niou- six”) qui défend un journalisme constructif, explique Marc Vanesse. Tandis que le sensationnalisme agressif et anxiogène de la presse cristallise les passions, le journalisme constructif questionne, enquête et délivre l’information autrement. »

Au menu des prochaines années : la mise en place d’un certificat en datajournalisme avec l’aide d’Alain Jennotte, journaliste au Soir et maître de conférences, à l’ULiège. Jongler avec des milliards de données numériques est une évolution récente du journalisme (comme le prouve avec brio David Leloup, notamment) et est à la base de grandes révélations. « “Panama Papers”, “Football Leaks”, etc., ces enquêtes ont été menées à l’initiative du Consortium international des journalistes d’investigation, créé en 1997, notamment par Gerard Ryle, docteur honoris causa de l’ULiège en 2014, rappelle Marc Vanesse. Chaque année, une nouvelle enquête sort dans plusieurs centaines de médias. Dans chacun d’eux, un ou plusieurs collaborateurs s’occupe de son pays. Ce fut d’abord Alain Lallemand pour Le Soir, qui a depuis passé le flambeau à un trio composé d’Alain Jennotte, Joël Matriche et Xavier Counasse. » Le certificat, organisé conjointement avec l’UCLouvain, permettra aux étudiant·e·s ainsi qu’aux rédactions qui souhaiteront former leurs équipes, de maîtriser ces nouveaux outils. Une salle, baptisée le “bunker”, y sera entièrement consacrée. Marc Vanesse ébauche encore à la volée un projet de podcast avec Caroline Prévinaire, fondatrice du magazine La voix dans la tête et rédactrice du podcast Doulange (RTBf), un simulateur d’investigation en cheville avec le Liège Game Lab, etc.

La liste des possibles s’allonge.

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