Faire classe en temps de crise

Enseignement longue distance

Dans Omni Sciences
Dossier Patricia JANSSENS - Photos Jean-Louis WERTZ

La situation sanitaire a transformé toute la vie universitaire, bouleversé les cours et modifié les sessions d’examens. Tandis que les cours se dispensent encore majoritairement “hors les murs”, la lassitude est palpable tant auprès des enseignant·e·s que des étudiant·e·s. Tour d’horizon des nouvelles pratiques qui tentent de conjuguer l’humain et le numérique.

Depuis peu, les campus reprennent des couleurs. Chaque jour, 20% des étudiants peuvent à nouveau fréquenter les amphis en respectant strictement les règles sanitaires (masque, distance, désinfection et aération des salles). Cours et examens restent donc contraints par ces mesures. « J’espère ouvrir l’année académique prochaine devant une salle pleine », confie le recteur Pierre Wolper.

RETOUR À LA NORMALE ? PAS ENCORE...

« Les médias soulignent les écarts de conduite des jeunes qui se rassemblent, mais ils oublient de relever qu’une très grande majorité d’entre eux se plient aux règles des gestes barrières et du couvre-feu et se montrent très respectueux des personnes âgées », martèle Benoit Dardenne, professeur de psychologie sociale et expert auprès de la cellule wallonne Covid-19. « Et pourtant, poursuit la Pr Fabienne Glowacz, également en faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’éducation, et membre du groupe d’experts “Psychologie et corona”, nos études et notre clinique montrent depuis mai 2020 combien les jeunes sont affectés par la crise et les mesures sanitaires. C’est le cas des adolescents, des jeunes en transition adulte, des étudiants mais aussi de ceux en recherche d’emploi ou en situation d’emploi. Ils sont à une période de leur vie marquée par de nombreux enjeux développementaux, qui passent par la rencontre avec les autres, lesquels sont essentiels. Les privations des espaces où habituellement ils s’émancipent et se construisent – comme les campus, les lieux de culture, de sports –, la limitation des contacts sociaux et d’interactions avec les pairs, les profs en présentiel, le manque d’expériences nouvelles impactent leur bien-être et leur santé mentale, mais aussi leur motivation par rapport à leur formation, le sens de leur existence. Et c’est au travers de cette crise qu’ils se rendent compte combien les liens sociaux sont essentiels à la résilience et au bien-être. »1

MARS 2020 : LE GRAND BASCULEMENT

Imposé en mars 2020, le confinement a été un grand choc. « Le basculement à distance a été très complexe à organiser, la situation a été particulièrement déstabilisante pour les professeurs, explique Anne-Sophie Nyssen, vice-rectrice à l’enseignement et au bien-être. Elle a mis à mal nos habitudes pédagogiques, nous a forcés à revoir les priorités dans nos cours, nous a questionnés sur nos méthodes d’enseignement et d’évaluation. Le basculement a mis tout le système sous tension. Mais tout le monde, à tous les niveaux, a fait preuve de créativité et d’adaptation, tout en manifestant un souci constant envers les étudiants. Bien sûr, certains plus facilement que d’autres mais, malgré la durée de la crise, tous font des efforts. »

En une semaine et dans l’urgence, 2000 cours ont “basculé” à distance. « Le service général d’informatique a dû faire monter en puissance la capacité des serveurs pour absorber les demandes multipliées par 100, par 1000. La “care numérique” qui venait d’être créée a aidé les collègues à se familiariser avec les techniques digitales, Blackboard Collaborate et Life Size notamment. L’Institut de formation et de recherche en enseignement supérieur (Ifres) a secondé les professeurs pour adapter leurs cours, pour réfléchir aux modes d’évaluation, pour organiser des tests “à blanc”, etc. » L’Ifres a instauré des formations en ligne, par thématique. « Vient qui veut, explique le Pr Robert Charlier, son président. L’objectif est de créer un lieu de discussions, d’échanges de bonnes pratiques, de réfléchir ensemble à l’élaboration d’un cours à distance, à la transformation d’une leçon conçue en face-à-face, aux moyens techniques à employer. »

Peu familiarisés avec les outils numériques, la plupart des professeurs ont été désarçonnés. Même les plus habitués des plateformes reconnaissent avoir été troublés. « Depuis longtemps, j’utilise les ressources du web en plus du cours oral, afin de donner aux étudiants des tests formatifs, des corrigés d’exercices, des liens vers des publications, parfois des cours enregistrés, explique le Pr Bruno Leclercq du département de philosophie. J’ai ouvert un forum pour susciter le débat. Mon but était d’encourager l’autonomie des étudiants, de leur permettre de réécouter le cours ou de le suivre de manière asynchrone. Mais je considérais ces outils comme des compléments du cours “normal”. L’enseignement entièrement à distance, ce n’est pas du tout la même chose, surtout dans des disciplines où il ne s’agit pas seulement de présenter des contenus mais aussi d’envisager certains positionnements personnels par rapport à ces contenus. Le cursus en philosophie, en petits groupes, fait appel à une pensée collective. L’objectif est de faire vivre des concepts dans la classe, de coconstruire une réflexion. Pour cela, il faut être tous ensemble dans un même lieu : notre pédagogie est basée sur cette interaction avec les étudiants. C’est impossible à distance ! Or, depuis le printemps 2020, nous sommes contraints de nous adresser aux étudiants par écrans interposés. De mon point de vue, c’est une situation frustrante et totalement insatisfaisante. » « Le basculement a constitué un grand moment de solitude, renchérit Benoit Dardenne. Rapidement, j’ai essayé de faire diminuer le degré d’incertitude des étudiants, en me servant des podcasts enregistrés en 2019. Mais il a fallu revoir tout le dispositif, toute la structure du cours. »

La première stupéfaction passée, il a fallu réinventer le métier en utilisant de nouveaux dispositifs : podcasts, guides, tableaux blancs interactifs, tests interactifs, etc. Mais les professeurs ont dû repenser leurs cours, les questionner, les reconfigurer. “Distanciel”, “présentiel”, “synchrone” ou “asynchrone”, ces vocables qui désignent des réalités pédagogiques très différentes sont brutalement entrés dans le langage commun. « Dans la formation en didactique (agrégation), les nouvelles technologies occupent une place assez modeste, car l’apprentissage dans l’enseignement obligatoire est d’abord basé sur l’interaction entre le professeur et les élèves, explique la Pr Marie-Noëlle Hindryckx, présidente du Centre interfacultaire de formation des enseignants (Cifen). Les étudiants en stage, en mode hybride, ont dû faire face à une situation inconnue et nous avons essayé de les aider en fournissant des tutoriels pour expliquer comment construire un cours en distanciel, enregistrer des podcasts, réaliser des tests en ligne, etc. »

Le Pr Germain Simons, du département de langues modernes, a adopté, le plus souvent possible, la méthode de la “classe inversée”. « Je demande aux étudiants de lire un document, un article ou un chapitre d’un syllabus. J’oriente ensuite le cours sur des questions, des explications supplémentaires, des exemples, des illustrations, des exercices, etc. J’enregistre ce cours de manière à ce que les absents – et les malades – puissent récupérer la leçon sur eCampus. Au final, les étudiants disposent de trois sources : le syllabus, le diaporama et l’enregistrement du cours. »

Une pratique stimulante... mais pas toujours couronnée de succès. « J’ai tenté l’expérience dans mon cours de bac 3, un cours assez dense, explique Robert Charlier, professeur au département Argenco. Les étudiants disposaient d’un syllabus, mais je me suis rendu compte que la matière était trop complexe pour être appréhendée sans explications connexes. Je leur ai donné des guides de lecture, mais cela n’a pas été concluant non plus... Avec l’aide de mon équipe, j’ai alors concocté une série de diaporamas commentés. Je l’avoue, j’ai tâtonné et je reconnais que l’exercice était périlleux, car il fallait à la fois inciter les étudiants à s’emparer de la matière sans diminuer mes exigences. Tous mes efforts étaient tendus vers leur réussite. C’est ainsi que je leur ai demandé de m’envoyer des réponses manuscrites parce que je crois à la vertu pédagogique de la rédaction. Réécrire, recopier à la main permet de s’approprier le raisonnement bien mieux qu’avec un “copier-coller” en un seul clic. Je veux provoquer un effort intellectuel afin que les étudiants et étudiantes s’emparent de la matière. »

Le Pr Benoit Dardenne a conservé la même quantité de matière, « c’est-à-dire le minimum de ce que les étudiants doivent avoir acquis au terme de leur parcours, du moins à mon sens. Mais j’ai porté une attention plus particulière à l’acquisition de la matière. Ainsi, le syllabus et le cours abordent les mêmes thèmes mais selon des angles différents. En 1er bac , j’ai maintenu le rythme des cours, utilisé les podcasts existants et je répondais aux questions par mail. En master, la pédagogie inversée s’est révélée avantageuse et j’ai constitué des groupes facebook pour susciter les interactions entre les étudiants et avec moi. C’est un bel outil en temps de crise ! »

ÉQUIPEMENT SOUS TENSION

S’il n’est plus question de discipline, la difficulté de gérer un groupe à distance demeure. Comment entendre tout le monde ? Comment maintenir les moments de pause où l’on prend la température de la classe, son humeur... ? « Il ne faut pas sous-estimer les problèmes techniques, relève Christian Clerebaut, président de la Fédération des étudiants et par ailleurs étudiant en faculté de Médecine. L’équipement des étudiants (ordinateur, connexion wifi) est loin d’être homogène : certains ne disposent que d’un smartphone pour se connecter à internet, d’autres ne bénéficient pas d’un lieu d’étude calme à la maison. »

Sans compter que les serveurs de l’Université ont parfois vacillé. « Face à l’avalanche de podcasts à mettre en ligne, il fallait parfois attendre quelques jours pour que l’enregistrement du cours soit disponible, admet la vice-rectrice Anne-Sophie Nyssen. Mine de rien, cela déstructure les journées des étudiants, et cela favorise le décrochage. » Et c’est un autre constat de cette crise : les étudiant·e·s ont besoin d’un horaire, d’un planning, afin d’organiser leurs journées, leurs programmes d’études. « Je me réjouis de la réouverture des salles pour les étudiants, confie Bruno Leclercq. Il faut leur offrir des lieux calmes propices à l’étude, avec une connexion wifi stable, du chauffage, et la possibilité de travailler en petit groupe, une pratique positive pour l’étude. »

Progressivement, les cours en live se sont imposés. « Le public virtuel, c’est mieux qu’une classe vide, c’est mieux que de parler seul face à une caméra, reprend Bruno Leclercq. On peut se rendre compte du nombre de connexions, voir éventuellement qui est systématiquement absent et en train de “décrocher”. Les questions sont posées par “chat” ou grâce aux mains levées. » « Pour ma part, je me sers beaucoup du tableau, renchérit le Pr Robert Charlier. Parce que je trouve que le rythme imposé par l’écriture est utile. Projeter des transparents ou des diaporamas, ce n’est pas la même chose parce que le temps ne s’écoule plus de la même manière. Or enregistrer un cours en se déplaçant au tableau... n’est pas simple ! Il a fallu se débrouiller, trouver des astuces. À cet égard, je remercie mes assistants et mes doctorants particulièrement imaginatifs ! »

Avec un peu d’amertume et de découragement, le Pr Leclercq note cependant que : « les outils mis à disposition, les exercices, les conseils de lectures, etc. sont appréciés par les étudiants qui pourraient réussir sans eux et beaucoup moins utilisés par les autres. Paradoxalement, s’ils permettent l’apprentissage autonome, les podcasts déforcent la dynamique collective et, en corollaire, participent au décrochage. Plus on est directif, plus on est inclusif, et c’est une conclusion assez terrible. C’est surtout vrai en 1er bac. »

Garder la motivation pour le cursus, susciter l’intérêt pour la matière est plus ardu à distance, plus chronophage aussi. « Pour le professeur, l’enregistrement n’est pas agréable car il fige les choses, admet Marc Delrez, professeur de littérature anglophone au département de langues modernes. Il fait l’économie de la discussion collective. Il se présente comme un objet terminé et non plus comme une coconstruction. » « Il y a moins de digressions, moins d’humour aussi lorsque le cours est enregistré, remarque Germain Simons. Les professeurs craignent que des phrases sorties de leur contexte se retrouvent sur facebook. On a tendance à accélérer notre débit, à ne pas répéter les arguments, à moins les développer. La distance fait perdre le contact visuel avec notre public : on ne voit plus sur le visage des étudiants des signes d’incompréhension ou encore des moues exaspérées parce que l’on va trop vite, etc. Le tempo habituellement donné par les étudiants ne peut plus s’imposer ! Par contre, le “chat” est bien utilisé par celles et ceux qui n’aiment pas prendre la parole en public. Mais le professeur est obligé de regarder son écran, d’essayer de voir les mains levées tout en jetant un œil sur le “chat”. C’est plus sportif ! »

Les cours de langues sont particulièrement affectés. « La dynamique du cours, basée sur la conversation est mise à mal, regrette le Pr Marc Delrez. La distance ne favorise pas la prise de parole spontanée. On travaille peut-être plus en amont du cours, mais il y a moins de commentaires critiques de la part des jeunes. Par ailleurs, près de la moitié du public suit les cours en différé et ne participe donc pas à son élaboration. Ces étudiants reçoivent alors un podcast “clé sur porte”, moins riche qu’une heure de cours dans un amphi. » « La classe nous est indispensable, enchaîne Marie-Noëlle Hindryckx. Ce qui ne signifie pas que tout le cours se déroule ex cathedra : il y a beaucoup de travail accompli par les étudiants en classe. Mais les contacts sont vraiment la base de l’apprentissage. Certes, il y a moins de problème de discipline et d’organisation à distance, mais les étudiants sont beaucoup plus passifs. Et la finesse de l’explication du métier d’enseignant est bien moins aisée à communiquer. » « Je consacrais du temps à l’illustration de mon cours, détaille Robert Charlier. Visites, explorations de terrain, travaux en laboratoire apportaient un contre-point intéressant à la théorie. La distance fait perdre la dimension concrète de l’enseignement. »

Autre déception : dans les grands groupes, en amphis, le système hybride (moitié du public présent, moitié à distance et inversement la semaine suivante) est malaisé à mettre en place, d’un point de vue technique et pédagogique à la fois. « Le professeur doit capter l’attention de l’auditoire présent : il fait du théâtre. Et être en scène à la fois pour la salle et pour les étudiants devant leur écran... c’est demander l’impossible. Un autre problème est que, même s’ils sont en principe supposés se relayer, certains étudiants viennent chaque semaine au cours parce que d’autres ne se déplacent jamais et laissent des places libres. Cette forme de régularisation spontanée, affirme Bruno Leclercq, laisse alors des étudiants seuls, au risque d’abandons plus sérieux. »


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ADAPTATION ET RÉSILIENCE

Enseignant·e·s et étudiant·e·s ont dû apprivoiser les outils numériques et ce rapidement, dans un contexte de crise sanitaire anxiogène. « Je suis impressionnée par les capacités d’adaptation démontrées, relève Anne-Sophie Nyssen. Les méthodes d’enseignement seront plus variées à l’avenir et nous devons réfléchir dès à présent à l’enseignement de demain. »

« Au Cifen, nous avons dû réexaminer le cursus de l’agrégation. Certains matières peuvent être préparées au domicile et discutées à distance, d’autres doivent être dispensées en présentiel. Les horaires pourront être adaptés différemment en ce sens », complète Marie-Noëlle Hindryckx qui espère ainsi contenter le public de l’agrégation, plus hétérogène, souvent en poste et plus éloigné géographiquement de l’Alma mater.

Si le virtuel ne remplace pas la présence, le confinement a eu quelques bons côtés. « Dans mes cours, souligne Anne-Sophie Nyssen, les travaux de groupe sont de meilleure qualité que les années précédentes. Sans doute assiste-t-on à un développement d’une intelligence collective différente grâce au numérique ; les étudiants peuvent plus facilement trouver du temps pour travailler ensemble à distance, consulter, explorer alors qu’en présentiel, il est parfois difficile d’aménager une plage horaire commune, de trouver un endroit libre pour se poser, même si nous avons commencé à aménager des espaces de travail collectif au sein de l’Université. »

Beaucoup d’étudiant·e·s notent à présent que le contact avec les professeur·e·s permet une assimilation plus aisée de la matière, une meilleure compréhension de l’esprit critique aussi. Le rôle de l’enseignant·e aura été redéfini durant cette crise : s’il n’est pas l’unique détenteur du savoir – d’autres ressources sont facilement accessibles –, il apporte des réponses, un partage d’expérience, une manière d’envisager les choses... qui font la plus-value de son cours !
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TAUX DE RÉUSSITE EN HAUSSE

Malgré les nombreux écueils qui ont jalonné l’année universitaire, les résultats des examens sont bons et la participation est similaire aux autres années. En janvier, les Facultés notaient environ 5% de réussites supplémentaires.

« Le taux de réussite global n’a pas diminué, admet Bruno Leclercq, mais les enseignements, puis les évaluations en ligne ont accentué les contrastes : j’ai davantage d’excellentes notes et davantage de résultats médiocres. » Le Pr Marc Delrez relève une corrélation entre la faiblesse des connaissances et le sous-équipement. « Dans ma Faculté, 15% des étudiants sont sous-équipés et 15% ont fourni une très faible prestation. Le confinement a montré l’inégalité des contextes d’études (équipement informatique, connexion, espace, temps pour l’étude) et un stress lié à l’instabilité des connexions, notamment pendant les examens. Ce qui génère un malaise chez les professeurs : la mauvaise prestation est-elle uniquement du fait des étudiants ? »

En général, et pour minimiser les risques de fraude, les professeurs ont privilégié des questions relatives à l’application des connaissances plutôt qu’à leur restitution. Nombre d’entre eux ont organisé des examens oraux à distance. Mais lors des délibérations, beaucoup évoquent une “prime Covid” généreusement octroyée aux étudiant·e·s...

« Pour moi, la bienveillance est un piège, affirme Bruno Leclercq. S’il y a une évaluation, l’Institution doit en garantir l’équité et la validité. Or on sait que ce n’est pas possible à distance, car qui se trouve réellement devant le clavier de l’ordinateur ? L’étudiant, son père, sa grande sœur ? Dire “on vous fait confiance” mais on vous évalue avec les mêmes enjeux certificatifs que les autres années, c’est encourager les étudiants à tricher. Car plus la date de l’examen approche, plus le stress augmente et plus les compromissions sont tentantes. La seule solution est d’organiser les examens en présence ou de construire une stratégie d’examens qui assure l’équité. Cela dépend peut-être des matières. »

RETOUR SUR LES BANCS

Etudiant-V-JLW « L’adaptation, insiste Anne-Sophie Nyssen, a un coût et peut conduire à l’épuisement sur le long terme. Depuis quelques mois, nous assistons à des signes de fatigue, de détresse, de perte d’espoir, tant chez les enseignants que chez les étudiants. De nombreuses aides psychologiques ont été mises en place mais un retour sur les campus est urgent, un retour complet pour retrouver une vie sociale. » (voir encadré)

L’espoir de revenir au présentiel complet est général. « Le professeur est un acteur de théâtre et il est souvent bon. Il a besoin du public. Sinon, il devient un acteur de cinéma et est moins convaincant ! », estime Benoit Dardenne. Pour la vice-Rectrice, « la crise aura – parmi tant d’autres choses – montré l’importance du lien social dans les études, du partage du temps, des discussions entre collègues et entre condisciples. Elle aura aussi démontré l’intérêt de l’oralité pour la compréhension, pour la mémorisation. Assister à un cours prépare à assimiler la matière car cela favorise la concentration, l’écoute sélective. L’enseignement est un métier de la relation, de contact, de présence. »

Néanmoins, les outils numériques auront gagné leurs lettres de noblesse. « Certaines facettes de l’hybridation resteront sans doute après la crise sanitaire, comme l’enregistrement des cours par exemple, pense Germain Simons, parce qu’il y a une forte demande des étudiants en ce sens. Le télétravail est maintenant chose acquise : éviter les déplacements, c’est plus économique, plus écologique et cela fait gagner du temps. Je crois que les réunions techniques entre collègues, en petits groupes, pourront dorénavant se dérouler en ligne. Mais dès qu’il faut discuter, débattre, comme en conseil de Faculté par exemple, le présentiel reste indispensable. »

« Soyons cependant attentifs à ce que les cours en ligne ne supplantent pas les cours dans les amphis, note Marc Delrez. En Australie, la privatisation de l’enseignement va bon train et les universités vont vendre leurs cours sur le marché international, notamment asiatique. La crise nous a familiarisés avec les techniques digitales; il est donc possible que les mentalités évoluent vers un modèle de marchandisation de l’enseignement supérieur. Dans l’éventualité d’un campus virtuel mondial, l’ULiège serait concurrencée par Paris par exemple ou Cambridge. Ainsi le marché pourrait-il, à terme, mettre les cours en concurrence, réduire l’offre, concentrer les cours quelque part et les vendre à prix prohibitifs ! »

GARDONS LE CONTACT

Soucieuse du bien-être des étudiant·e·s, l’ULiège a lancé une campagne “gardons le contact !” pour inviter à renouer activement les liens entre enseignant·e·s et étudiant·e·s.

Les dispositifs d’aide financière, psychologique et pédagogique ont par ailleurs été renforcés et de nouveaux dispositifs de soutien gratuits mis en place. Une ligne d’écoute est à leur disposition : 0800 35 200.

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DU POINT DE VUE DES ÉTUDIANT·E·S


« Nous avons réalisé un sondage à la fin de la session de janvier et, à des degrés divers, les étudiants souhaitaient un retour au présentiel, observe Christian Clerebaut, président de la Fédé. 28,1% demandaient un retour total dans les amphis, exprimant leur besoin de contacts sociaux et leur détestation des écrans, mais 17,5% des sondés, visiblement anxieux face au virus, n’en voulaient pas ! D’autant que certains avaient renoncé à leur bail. 39,7% des étudiants préféraient maintenir une situation hybride, avec quelques cours sur les campus et d’autres en ligne (via les MOOCs et les podcasts). »

« Les étudiants en colocation ont manifestement mieux vécu la période de confinement : cette “bulle” a facilité les coups de main, a permis de garder le moral. A contrario, de nombreux étudiants nous ont fait part de leur solitude devant la matière et avouent une démotivation générale dans ce contexte anxiogène, sans arriver à résorber les dizaines de podcasts en souffrance. La crise a exacerbé tous les problèmes : la précarité financière, les difficultés familiales et relationnelles. Les abandons sont nombreux. Même les étudiants de master reconnaissent des moments de découragement, éprouvent une certaine angoisse face à leur avenir. Plusieurs initiatives (émanant des cercles souvent) ont tenté de susciter de la solidarité : des pages facebook ont été créées, ainsi que des partages de notes et de conseils, des moments pour “vider son sac” ... »

« La bienveillance prônée dans l’Institution et appliquée par certains s’est ressentie chez les étudiants et a fait du bien. Les messages d’encouragement des professeurs aussi, car qu’est-ce qui fait l’essentiel du cours finalement ? Le partage d’expériences avec les profs, les recherches en cours, les “nouveautés” bientôt publiées. Partager un peu de leur passion, cela contribue à aimer la matière, à s’intéresser à la recherche. Et cela a manqué cruellement », conclut Christian Clerebaut.

1 À l’inititative de la ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Glatigny, quatre chercheurs – les Prs Vincent Yzervyt et Olivier Luminet (UCLouvain), Olivier Klein (ULB) et Fabienne Glowacz (ULiège) – ont interrogé près de 25 000 étudiant·e·s de l’enseignement supérieur. Après un an de crise, quels sont les impacts psychosociaux, scolaires et économiques sur les étudiant·e·s ? Quelles sont les ressources qu’ils et elles ont mobilisées ? Quelle est leur adhésion aux mesures sanitaires et à la vaccination ? Quelles sont leurs perspectives d’avenir ?
Étude accessible sur www.news.uliege.be/vecuetudiants

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