Inspiration

Sous le masque, des opportunités de recherche

Dans Omni Sciences
Dossier Henri DUPUIS

Paré d’abord de toutes les vertus (surtout quand il faisait défaut), le masque est aujourd’hui montré du doigt : briseur de vie sociale, empêcheur de respirer en paix et déchet polluant sont quelques caractéristiques dont on l’affuble. Et s’il devenait une opportunité ? C’est le pari de deux équipes de l’ULiège.

C’était en avril 2020 : la pandémie de Covid-19 se propageait et l’inquiétude se répandait plus vite encore. Chef de clinique au service de pneumologie du CHU de Liège, Julien guiot se doute alors que le port du masque va se généraliser et se prolonger bien longtemps encore. Il en parle à son complice, thomas Desaive, ingénieur physicien, agrégé de faculté et chercheur au sein de l’unité “In silico medicine” du Giga. L’appel à projets particuliers que lance alors le FNRS les trouve prêts : ne serait-il pas intéressant d’étudier l’impact du masque sur le diagnostic et les soins des maladies pulmonaires en général et, mieux encore, dans la foulée, de concevoir un masque thérapeutique actif ? Le FNRS est convaincu et attribue au projet un financement de deux ans.

Pour Julien Guiot, l’objectif est double. D’une part, l’utilisation quotidienne et répétée des masques chirurgicaux change-t-elle la donne en matière de pratique médicale aujourd’hui ? Et dans l’avenir, le masque pourrait-il devenir un outil diagnostique et thérapeutique... allant même jusqu’à remplacer le bon vieux stéthoscope ? Une double interrogation à la fois physiologique et mécanique. « Cela fait plusieurs années que Thomas Desaive et moi travaillons ensemble, explique-t-il. Le champ des maladies respiratoires est en effet propice au travail de l’ingénieur car il est assez simple de mesurer beaucoup de paramètres sans être invasif, sans violenter le patient par des efforts, par des prises de sang ou encore la mise en place de sondes : volume d’air inspiré et expiré, fréquence de respiration, température de l’air expiré, etc. D’autre part, la médecine d’aujourd’hui a de plus en plus recours à des appareils connectés, proactifs, reliés à des capteurs. Le partenariat entre les deux compétences est essentiel pour être crédible, et c’est sans doute aussi ce qui a retenu l’attention du jury du FNRS : les ingénieurs peuvent difficilement concevoir de tels instruments sans disposer ni savoir interpréter des données médicales, et pour les médecins, il ne servirait pas à grand-chose de décrire de tels instruments sans être capables de réaliser des prototypes et d’en tester l’efficacité. »

Une première phase du projet consiste donc à étudier les conséquences de la respiration “habituelle” à travers un masque sur les fonctions pulmonaires. Nous ressentons tous plus ou moins fortement ces modifications, mais elles n’ont pas encore été étudiées (du moins était-ce le cas jusqu’en octobre dernier lorsque les chercheurs liégeois ont commencé leurs travaux). Côté négatif, les masques faciaux limitent la respiration, augmentent le travail respiratoire ou réduisent l’oxygénation et le rejet de CO2 ; à l’inverse, ils favorisent l’humidification et une légère augmentation de la pression expiratoire (on fait davantage d’effort pour expirer), ce qui est positif pour les poumons. Mais rien de tout cela n’a jamais été quantifié, ce qu’il faut faire si l’on veut en connaître l’impact sur le diagnostic et les soins chez des patients atteints de maladies pulmonaires “classiques” comme l’asthme par exemple.

MASQUE THÉRAPEUTIQUE

« Dans un second temps, explique Thomas Desaive, nous allons étudier la réalisation d’un masque thérapeutique actif. Pour cela, le masque du futur devra d’abord renseigner le médecin sur l’état de son patient. Autrement dit, il devra comporter différents capteurs connectés. » Le masque envisagé, qui sera plus écologique que ceux actuellement utilisés, sera donc muni de capteurs qui vont enregistrer divers paramètres comme la température de l’air expiré, son débit, le rejet de CO2, la fréquence de respiration, etc. Mais en même temps, il faudra exploiter son côté positif, à savoir le fait qu’il force à expirer davantage. Une des contraintes qu’on voit dans le masque est en effet la résistance à la respiration. Mais c’est peut-être une opportunité thérapeutique, car cet effort supplémentaire en fin d’expiration peut favoriser une augmentation du volume pulmonaire disponible et donc une meilleure ventilation.

« Le problème des masques à l’heure actuelle, c’est qu’ils demandent une augmentation de l’effort à la respiration en général, c’est-à-dire à l’expiration comme à l’inspiration, résume Thomas Desaive. Il faut donc concevoir un masque qui facilite l’inspiration tout en continuant à protéger effi- cacement et qui crée une résistance à l’expiration, ce qui est bénéfique pour les patients atteints d’asthme par exemple. On peut même imaginer cette fonction modulable dans le temps selon les efforts fournis, une promenade exigeant davantage d’efforts de respiration qu’une position de repos. » De quoi aider le patient, à rendre sa marche plus aisée notamment. Mais un tel masque aurait aussi un rôle d’alerte, de monitoring. Parce qu’une augmentation de la respiration qui ne serait pas due à un effort particulier peut trahir une infection pulmonaire comme une pneumonie. Ou permettre au médecin de remarquer que son patient fait de moins en moins d’exercices... « On peut même aller plus loin, rêve Julien Guiot. Si le port du masque devient permanent, il permettra de remarquer des comportements anormaux chez leur porteur en fonction de normes en vigueur selon leur âge, poids, sexe, etc. Autrement dit de détecter des anomalies, des maladies à un stade précoce. Ou tout au moins de produire une alerte qui invite à consulter. »

Si la pandémie ne simplifie pas les travaux, Thomas Desaive reste confiant quant à leur issue : « Nous disposons d’un modèle de mécanique respiratoire mis au point par nos collègues néo-zélandais (Pr Geoff Chase à l’University of Canterbury-Christchurch) avec qui nous travaillons depuis longtemps. Il est transposable à cette recherche. Les données médicales nous sont évidemment fournies par l’équipe de pneumologie du CHU qui, hélas, voit défiler suffisamment de patients. Pour l’instant, nous en sommes à la phase de quantification de l’influence du masque lors des auscultations grâce à un stéthoscope numérique qui enregistre les sons produits par la respiration des patients et nous analysons ce signal dans différents cas, personnes saines ou atteintes de telle ou telle pathologie. Nous développerons ensuite un prototype expérimental de masque avant de le tester sur des patients. » Qui sait, dans deux ans, le port du masque ne sera peut-être plus ressenti comme une contrainte, mais comme une chance !

DÉSINFECTER

Desinfection-VEn attendant, les masques sont là et posent un autre problème : comment les réutiliser et diminuer ainsi le volume de déchets qu’ils représentent ? Pour un malade hospitalisé en unité Covid, il faut en effet compter 45 masques FFP2 par jour. Aujourd’hui, la production de masques chirurgicaux est estimée à une centaine de millions par semaine. Or ils ne sont pas du tout biodégradables puisque composés pour l’essentiel de polypropylène, un matériau qui met des années à se dégrader et dont les molécules vont rester quasi indéfiniment dans le sol et les eaux. Sans oublier que le polypropylène est issu du pétrole...

« C’était après le premier confinement, se souvient le Pr Éric Haubruge, conseiller du Recteur en charge de l’innovation, du développement régional à l’ULiège, lors d’une réunion organisée par le gouvernement wallon qui avait mis sur pied une task force “Medical devices”. Il s’agissait avant tout de lancer une production locale de masques. Ce qui a été fait. Mais j’ai suggéré un autre axe : la décontamination des masques à usage unique pour limiter l’approvisionnement et réduire la pression sur l’environnement. » Éric Haubruge fédère alors autour de lui diverses compétences pour monter un projet financé par la Région : le Pr Étienne thiry, du département des maladies infectieuses et parasitaires de la faculté de Médecine vétérinaire, le CHU de Liège qui possède bien entendu son unité de stérilisation, et deux entreprises, Lasea à Liège, spécialisée dans le traitement par rayons ultraviolets, et AMB Ecosteryl, spécialiste montois du traitement par cha- leur des déchets médicaux et de leur recyclage. Le but du projet ? Évaluer l’efficacité de diverses méthodes de décontamination des masques et d’embouts de respi- rateurs. Pour vérifier les résultats, l’équipe fait appel à Centexbel, centre belge d’expertise dans le textile, dont la notoriété est reconnue internationalement.

Si le projet était orienté Covid, il va vite prendre une autre dimension grâce à Étienne Thiry : « Au départ, nous nous sommes effectivement focalisés sur la décontamination du SARS-CoV-2 mais avec une approche novatrice : utiliser un virus de substitution, le coronavirus respiratoire porcin. C’est un virus que nous maîtrisons parfaitement en milieu vétérinaire. Il est inoffensif pour l’être humain comme pour les animaux. Cela nous permet de travailler dans des conditions normales de laboratoire alors que nos installations facultaires de haute biosécurité sont, elles, évidemment réservées au SARS-CoV-2. Et aussi d’exporter nos masques inoculés dans les entreprises qui collaborent avec nous sans précaution particulière. Le recours à ce virus de substitution a grandement facilité les travaux. »

Mais le Pr Thiry va surtout chercher à étendre le projet à d’autres agents infectieux pathogènes, virus ou bactéries. « Pourquoi en effet limiter nos recherches au SARS-CoV-2 ? Les virus enveloppés, entourés d’une couche lipidique externe comme le coronavirus, sont sensibles aux conditions environnementales difficiles et aux traitements inactivants. Mais d’autres le sont beaucoup moins, sont bien plus résistants. C’est le cas des norovirus reconnus comme la cause principale de gastro-entérites virales. Ce virus est connu pour sa résistance à la décontamination. Mais il existe un norovirus murin qui est génétiquement et structurellement similaire et que les vétérinaires connaissent bien. Nous l’avons donc aussi choisi comme virus de substitution dans nos études. »

LE BLEU DE MÉTHYLÈNE AMÉRICAIN

C’est dans ce contexte plus large que l’équipe wallonne a testé trois procédés classiques de décontamination : par peroxyde d’hydrogène (ou eau oxygénée, utilisée depuis longtemps comme antiseptique), par chaleur sèche et par exposition aux rayons ultraviolets. La couche intermédiaire des masques (chirurgicaux et FFP2, accrédités) a été inoculée par le virus de substitution du SARS-CoV-2. Après traitement par l’une des méthodes, la quantité de virus infectieux résiduels était comparée à celle contenue dans un masque témoin. Résultats ? « Nous avons réduit par 1000 au moins la quantité de virus, détaille Étienne Thiry. Cela a rendu sa présence indétectable dans tous les tests de décontamination. » Des résultats qui ont déjà fait l’objet de plusieurs publications. Mieux encore, dans une autre recherche, elle aussi publiée, les chercheurs sont arrivés à des résultats aussi probants avec les autres virus, non enveloppés d’une couche lipidique cette fois, et connus comme étant plus résistants aux procédés de décontamination. Dans ce cas aussi, les trois méthodes étudiées ont montré leur totale efficacité, répondant notamment aux normes de l’américaine Food and Drug Administration.

Peut-être est-ce ce qui a intéressé les Américains ? « Toujours est-il, explique Éric Haubruge, que nous avons eu l’opportunité de rejoindre une initiative américaine de l’université du Colorado (école de santé publique) qui voulait rassembler des universités US, le Centexbel (très réputé là-bas aussi !), l’OMS et notre projet dont ils avaient eu vent. » Leur but était de mettre au point une méthode peu coûteuse de désinfection à partir d’une pulvérisation de bleu de méthylène, produit très courant, en interaction avec la lumière. « En un mois, se souvient Éric Haubruge, on a mis au point une méga-expérience internationale comprenant des virologues, des physiciens et surtout le laboratoire d’étienne Thiry et son expertise des virus de substitution. De mon côté, je dispose à Gembloux d’un fab lab et de jeunes chercheurs qui ont relevé le défi de construire une machine simple pour pouvoir exposer des masques à la lumière de manière standardisée et produire une boîte (methylene blue light box) où il suffit de déposer les masques pendant 30 minutes pour les désinfecter. » Ici aussi, les expériences se sont révélées très encourageantes sur plusieurs types de virus dont le SARS-CoV-2.

Ce qui passionne aussi l’équipe liégeoise, c’est le caractère “ouvert” et low cost de cette dernière expérience. « Nous n’avons pas d’objectif commercial, commente Éric Haubruge. Tous les plans sont publiés. Nous avons conçu l’appareil au départ de composants disponibles dans le commerce ; il n’y a pas de prise de brevet. L’objectif est de mettre au point un appareil qui peut être facilement utilisé et peu coûteux afin qu’il puisse être disponible partout, notamment dans les pays qui ont peu de ressources. L’appareil que nous avons conçu ne coûte que 250-300 euros environ ! » Ce qui n’empêche pas l’équipe de songer à d’autres développements. Les interactions entre molécules biologiques et matériel médical sont un sujet de recherche porteur d’avenir : à terme, il serait pos- sible de concevoir des outils médicaux qui inactiveraient d’eux-mêmes les pathogènes. Et de songer à un... masque intelligent qui tuerait virus et bactéries !

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