GO Transition.s

Plan Campus Arlon 2030 : Laboratoire ouvert pour les transitions écologiques de son territoire

Dans Omni Sciences
Dossier Marjorie RANIERI

Depuis sa création en 1971, le campus d’Arlon s’est imposé comme un pionnier en matière d’environnement. À l’occasion de son 50e anniversaire, il se transformera en “Laboratoire ouvert pour les transitions écologiques de son territoire”. Des rencontres, des ateliers et des activités auront lieu tout au long de l’année pour penser, débattre et mettre en action la transition. L’objectif à terme : aboutir à un “Plan Campus Arlon 2030”.

À l’heure de la crise climatique, les consciences s’éveillent et les voix s’élèvent. Dans quelle société voulons-nous vivre demain ? Quels sont les changements à opérer ? Que faut-il modifier dans nos habitudes individuelles et dans nos modes de vie collectifs pour incarner le changement ? Toutes ces questions liées à la transition écologique ne sont plus l’apanage des experts mais l’affaire de tous.

Penser la transition, une implication collective

Arlon-V-JLW Jeunes étudiant·e·s ou travailleurs/euses, grands-parents et petits-enfants, associations et collectifs d’artistes… Les citoyens sont de plus en plus nombreux à être conscients des enjeux environnementaux, à les mesurer et à vouloir entrer dans des modèles de consommation plus respectueux de l’environnement mais aussi de l’humain. De la marche pour le climat à la grève étudiante en passant par la convention citoyenne pour le climat, les mouvements militants pour l’écologie fleurissent aux quatre coins du globe. « Ces manifestations citoyennes, qu’elles soient globales ou locales, témoignent de la volonté de s’impliquer davantage dans les thématiques environnementales. Les citoyens et particulièrement les jeunes réclament des solutions. L’Université doit assurer ce rôle d’agora, mais aussi de tremplin pour le changement », explique le Pr Pierre Stassart, directeur du l’unité de socio-économie, environnement et développement (SEED) en faculté des Sciences.

Face à ce constat, de nombreuses initiatives intra-universitaires sont menées. La première édition de l’université d’été ClimACTES organisée à Liège, consacrée à la lutte contre le réchauffement climatique et à la transition écologique, est un bon exemple de sensibilisation auprès des étudiants. « La transition, c’est aller à la rencontre de son environnement, être accompagné dans la compréhension de celui-ci. Et, une fois qu’on l’a compris, on veut le préserver aujourd’hui et demain, ici et ailleurs », soutient le climatologue Pierre Ozer.

Le campus d’Arlon, expert dans le domaine, ne pouvait qu’embrayer. Pour célébrer ses 50 ans, il a décidé de renforcer sa position de référent en termes de questions environnementales et de l’orienter davantage sous l’angle de la transition écologique. Ce repositionnement se concrétisera avec le déploiement du projet “GO Transition.s” durant l’année académique 2021-2022.

Et Pierre Ozer de renchérir : « Les changements climatiques sont des enjeux de société qui intéressent beaucoup de monde, toutes catégories confondues. Sur le campus d’Arlon, nous voulons développer un projet d’avenir qui fait sens, enclencher une dynamique nouvelle à laquelle les citoyens participeront. Notre projet GO Transition.s veut être inclusif et fédérateur, car la transition ne peut se faire sans cohésion. Nous avons tous notre rôle à jouer, tant les chercheurs et les experts que les citoyens et les politiciens. La célébration des 50 ans est l’occasion de montrer que, sur un petit campus, on peut insuffler une dynamique qui peut percoler sur d’autres grands campus. »

Les objectifs de cette année GO Transition.s sont donc multiples. Il y a, d’une part, une volonté de renforcer la cohésion au sein des membres du campus (jeunes chercheur ·e·s, étudiant·e·s, enseignant·e·s) en établissant des ponts entre les différentes unités de recherches et, idéalement, d’autres départements. Il y a, d’autre part, l’ambition de s’ouvrir à l’extérieur (citoyen·ne·s, associations, expert·e·s, etc.) pour penser, débattre et mettre en action la transition écologique. « Ce projet est un moyen pour le campus d’élargir son champ de compétences et d’accueil. Il cible particulièrement les étudiants et les jeunes chercheurs parce qu’ils sont en quête de sens pour l’avenir et ce sont eux qui se positionneront dans leurs actes futurs », conclut Pierre Stassart.

CINQ axes de recherches

Le campus d’Arlon, étroitement lié aux questions environnementales depuis 1971, abrite le département des sciences et gestion de l’environnement sur plus de trois hectares. Au coeur de cet écrin de nature, le panel des thématiques de recherches est diversifié. Agro-écologie, biodiversité, étude du climat, de la qualité de l’air, gestion des énergies ou de l’habitat, autant de disciplines spécifiques qui convergent vers un but commun : comprendre le monde d’aujourd’hui pour mieux préparer celui de demain et y vivre de façon responsable.

En partant des recherches en cours, le projet GO Transition.s a identifié cinq axes autour desquels se déploieront différentes activités : conférences, balades gourmandes, parcours artistique, upcycling. Ces événements participatifs, dont certains seront pérennes, sont appelés à forger le socle commun pour une réflexion d’un campus ouvert et responsable en 2030.

1. Biodiversité et participation

Arlon-H-2Le territoire d’Arlon sur lequel se situe le campus, en province de Luxembourg et au coeur de la Grande Région, est un des lieux les plus riches en termes de biodiversité en Belgique. Pour l’étudier, les chercheur·e·s du SEED mobilisent les concepts et outils des sciences sociales afin de comprendre comment se construisent des modes de coexistence humains/non-humains durables.

Cette interdisciplinarité résulte du constat qu’une société humaine se développe en établissant des relations, harmonieuses ou non, avec des non-humains vivants. La chercheuse Dorothée Denayer, biologiste et sociologue, explique : « J’ai glissé vers les sciences humaines quand j’ai compris que prendre soin de la nature, c’est prendre soin des humains. Le destin des plantes, des animaux et des hommes ne sont pas parallèles : ils sont imbriqués. Historiquement, les sciences humaines et les sciences de la nature ont contribué à façonner des mondes cloisonnés. Cela a conduit dans une certaine mesure à exclure la nature des préoccupations sur le devenir des sociétés humaines et à vouloir mettre cette nature sous cloche pour tenter de limiter l’impact que les activités humaines pouvaient avoir sur elle. Aujourd’hui, nous sommes toujours plus nombreux à considérer que la clé de la transition – en matière de relation humains/non-humains – est de travailler sur la qualité et la durabilité des interdépendances. »

Dorothée Denayer et ses collègues du SEED étudient différentes formes de cohabitation afin de comprendre les ressorts de ces relations et de pouvoir accompagner des processus visant à intensifier et cultiver les interdépendances, notamment entre biodiversité et citoyen·ne·s. Les chercheur·e·s de l’unité sont intervenus dans la conception d’une “Agora citoyenne” en partenariat avec le projet Nassonia de la fondation Pairi Daiza, ou encore via une convention avec la commune d’Arlon, pour le développement d’une commission participative innovante. Leur intervention est multiple. Elle peut porter sur des conseils scientifiques, des questions méthodologiques et déboucher sur l’accompagnement de groupes de travail réunissant des associations, des collectifs de citoyen·ne·s et des expert·e·s en faveur de la biodiversité et plus largement de l’environnement.

« Notre rôle est d’amener de l’innovation mais aussi de faire de la médiation entre les différents intervenants d’un groupe car la participation, si elle est une question d’efficacité, relève aussi de l’équité. Les citoyens ne réfléchissent pas de la même façon que les experts. Ils révèlent une autre facette d’une réalité vécue. Leur point de vue sur la biodiversité est complémentaire. Et chacun doit pouvoir apporter sa pierre à l’édifice dans une gestion plus démocratique du vivant », poursuit la chercheuse.

En plus de la volonté de construire ensemble du savoir pour trouver des solutions adaptées, les chercheur·e·s travaillent aussi à faire tomber les frontières communément érigées par l’homme, comme les catégories sauvage/domestique, humain/non-humain, savoir expert/profane.

Dans le cadre de sa thèse sur la crise de la peste porcine africaine, la doctorante Pauline Emond tente par exemple de révéler comment le destin des animaux, cochons et sangliers, est lié à celui des collectifs qu’ils mobilisent, chasseurs et éleveurs. Elle cherche également à comprendre comment une telle crise peut être porteuse de transformation et déplacer les frontières qui catégorisent les relations. « Lorsqu’une crise survient, les frontières que l’on croyait solides sont mises à mal et s’effritent. Pour préparer l’avenir et atteindre des engagements entre les humains et non-humains plus durables, il ne faut pas se concentrer sur le déclencheur de la crise, mais plutôt sur comment celle-ci impacte les pratiques et les relations. En résumé, la crise doit être étudiée pour son potentiel transformateur et vue comme une opportunité pour repenser les interdépendances. »

Ce travail de révision de schèmes établis ne peut se faire sans la collaboration et la participation des acteurs du terrain et du grand public. C’est pourquoi les chercheur·e·s du SEED profiteront de la mise en place du projet GO Transition.s pour accueillir de la biodiversité sur le campus, mais surtout pour s’engager davantage au sein du territoire et expérimenter de nouveaux modèles collaboratifs.

2. Agriculture et alimentation

Comment nous nourrirons-nous demain ? Quels sont les modèles d’alimentation alternatifs et éco-responsables ? Et comment les citoyens peuvent-ils participer à la création de ceintures alimentaires locales ? Autant de questions que se posent les chercheur·e·s et auxquelles répondra “Nourrir Arlon”. Ce festival de la transition alimentaire cherche à mettre en relation les expert·e·s, les praticien·ne·s de l’agriculture et les citoyen·ne·s pour créer collectivement un système qui propose une multitude d’alternatives alimentaires, au regard de la diversité des besoins. Le coup d’envoi sera donné le 10 octobre sur le campus d’Arlon et s’inspire de son homologue “Nourrir Liège”.

« Cette initiative vise à créer de l’émulation et à connecter tous les secteurs (économique, social, politique, culturel) autour de la question de l’alimentation en y incluant le facteur humain. Sans cohésion et sans dialogue, un projet ne peut pas devenir pérenne. À Liège, nous sommes parvenus à mettre en place un modèle respectueux de l’environnement, du climat et des gens. Nous en sommes déjà à la cinquième édition avec 150 partenaires. L’objectif est de développer un projet similaire à Arlon avec tous les acteurs du territoire (maison de quartier, structures de réinsertion sociale, maison des jeunes, pouvoirs locaux, etc.). Le fait de mettre tout le monde ensemble autour d’un projet qui fait sens (par exemple, la création d’un potager communautaire) crée non seulement du lien mais aussi une économie sociale. En proposant des alternatives, les gens se rendent compte de la diversité possible en matière d’alimentation. Ils incarnent alors ce changement dans leurs habitudes de production et de consommation. Une délégation liégeoise se rendra à Arlon pour rencontrer les acteurs locaux et poser avec eux les bases. C’est la force de l’exemple », explique Pierre Ozer, à l’initiative de “Nourrir Liège”.

3. Climat, énergie et habitat

Les questions d’alimentation sont intimement liées aux modèles de production et de consommation industriels agricoles, à l’évolution du climat et à l’influence de l’homme sur ce dernier. L’unité de recherche Sphères, qui regroupe les chercheur·e·s du département sciences et gestion de l’environnement d’Arlon, quelques physiciens et biologistes et les géographes liégeois étudient les fluctuations du climat et proposent des solutions pour bien préparer la société de demain aux nouvelles conditions climatiques.

« Notre rôle est de tenir compte de l’impact climatique sur l’agriculture pour inviter à un développement territorial et une adaptation optimale de l’habitat. L’agrométéorologie nous permet notamment de comprendre comment les cultures utilisent le potentiel du climat pour produire en quantité suffisante. Nous nous interrogeons par exemple sur le type de cultures encore possibles dans les années à venir. Pourrons-nous encore cultiver du blé ou du maïs ? De nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Globalement la Belgique offrira dans les siècles à venir des conditions météorologiques très agréables comparées à d’autres pays, mais les problèmes de sécheresse en été seront plus récurrents. Il faut donc envisager des solutions complémentaires ou alternatives d’irrigation. Ces futurs changements climatiques laissent aussi présager qu’il y aura une augmentation de la population liée à l’arrivée de réfugiés climatiques », expose le Pr Bernard Tychon, agronome.

Au regard de toutes ces données, l’unité de recherche Sphères est engagée dans la mise au point de modèles adaptatifs qui tendent à maintenir, voire à améliorer le niveau de vie malgré les changements à venir. Pour résoudre le problème de la hausse de la température dans les grandes villes, les chercheur·e·s proposent notamment d’y implanter davantage de végétation, de quoi atténuer les îlots de chaleur urbains. Le phénomène d’évapotranspiration et d’évaporation des végétaux permettrait de refroidir l’atmosphère de quelques degrés.

Arlon-H4. Air, Eau et Santé

La qualité de l’air fait couler beaucoup d’encre : à l’intérieur ou à l’extérieur, les sources de pollution sont nombreuses et suscitent l’inquiétude du grand public car elles ont un réel impact sur la santé.

L’équipe Sensing of Atmospheres and Monitoring (SAM) caractérise les atmosphères polluées à micro-échelle et s’attelle à développer des outils qui aident à la prise de décision. « Grâce à un indicateur, la qualité de l’air pourra devenir un critère pertinent pour la conception et l’agencement d’un quartier. Un autre indicateur pourra prédire l’évolution de la qualité de l’air intérieur en fonction de l’évolution du climat, ce qui aidera à redéfinir les modes de vie et d’habitat en Wallonie », explique Justin Martin, doctorant pour l’équipe SAM. En prenant la mesure des émissions d’ammoniac, il est possible également de créer un outil pour raisonner l’usage des amendements agricoles afin de respecter la qualité de l’eau, ressource précieuse s’il en est.

Ces techniques utilisées en environnement trouvent aussi un usage médical. En utilisant un nez électronique, connu pour pouvoir identifier les odeurs dans l’environnement, il est possible de réaliser un screening du cancer du poumon à domicile à partir d’un échantillon d’haleine. À l’avenir, d’autres maladies pourraient être détectées de cette manière.

5. Relations Nord-Sud

Le curseur n’est pas seulement dirigé sur l’avenir de notre pays et de la société dans laquelle nous vivons. Depuis de nombreuses années, l’université de Liège et singulièrement le campus d’Arlon entretiennent des relations avec les pays du Sud et participent à l’élaboration de modèles écologiques adaptés à leur territoire.

L’équipe du Pr Bernard Tychon, en charge du développement coopératif Nord-Sud, est un expert de ces questions. Elle s’est rendue à de nombreuses reprises au Burkina Faso, au Benin, au Rwanda, à Haïti ou encore au Maroc pour y prodiguer ses conseils, notamment en matière de gestion de l’eau et d’irrigation des sols. Sa mission consiste en particulier à accompagner mais aussi à apporter de nouveaux modèles basés sur l’autonomie et la résilience : « Les sols sont pauvres et les conditions climatiques plus dures mais on y arrive. Puisque nous n’avons pas l’occasion d’apporter des engrais ou des produits de protection des cultures, nous apprenons aux populations locales à tirer le meilleur profit du disponible fourni naturellement par l’environnement (pluie, chaleur, énergie lumineuse, sol, etc.). Nous essayons aussi de partager avec eux ces idées de transition, mais ce ne sont pas les questions les plus impératives à traiter. L’urgence est d’abord de parvenir à nourrir la population. »

Ces collaborations poussent les chercheur·e·s à réfléchir à partir de conditions climatiques extrêmes, ce qui incite à concevoir et prévoir d’autres modèles agro-écologiques basés sur la résilience. La force des uns nourrit la faiblesse des autres et vice versa. Avec le projet GO Transition.s, les relations Nord-Sud devraient continuer de s’intensifier.

Les cinq axes tracés par le campus d’Arlon sont autant de pistes à fouler pour construire demain. Et, sur ce chemin vers 2030, tant les citoyen·ne·s que les expert·e·s ont un rôle prépondérant à jouer : celui d’acteurs de la transition. L’année GO Transition.s sera leur bâton de pélerin.

 www.gotransitions-arlon.uliege.be

Go Transition.s 2021-2022

  • Activités autour de cinq thématiques
    • du 10 au 16 octobre “Nourrir Arlon” .
    • novembre “Coopération en transition”
    • février 2022 activités autour des différents travaux de l’UR Sphères.
    • mi-avril 2022 “Action printemps”
    • mai 2022 “C’est pas sorcier”
  • Célébration de clôture en juin 2022 : plan campus Arlon transition écologique 2030-2040.

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