La première

Anne-Sophie Nyssen est élue Rectrice

Dans Univers Cité
Entretien Patricia JANSSENS Photos Sandrine SEYEN

À l’issue du deuxième tour de l’élection rectorale, la Pr Anne-Sophie Nyssen a été élue rectrice de l’université de Liège. Même si la cérémonie de passation de pouvoir – avec, symboliquement, la remise de l’épitoge – se déroulera le jeudi 22 septembre, c’est bien le 1er octobre qu’elle prendra officiellement ses fonctions. Rencontre avec la première Rectrice de l’Institution.

Le Quinzième Jour : À quelques jours de votre prise de fonctions, comment vous sentez-vous ?

Anne-Sophie Nyssen : Je suis très fière de la confiance que la communauté universitaire m’a témoignée, très fière qu’elle ait osé porter une femme à sa tête et consciente aussi que c’est un programme et une équipe qui ont convaincu les électeurs et les électrices. Après avoir été la première vice-Rectrice de l’ULiège, en 2018, je vais maintenant être la première Rectrice : c’est un nouveau plafond de verre qui se fend et c’est un signal fort pour l’ULiège. Une porte supplémentaire s’est ouverte pour les femmes. J’ai d’ailleurs vu avec plaisir que plusieurs enseignantes s’étaient impliquées dans les équipes en lice. C’est bon signe.

LQJ : Dans votre programme, vous manifestez l’ambition de modifier la gouvernance de l’Université.

A-S.N. : Mon objectif est de mener une gouvernance participative afin de prendre des décisions soutenues par la majorité. J’aimerais insuffler un mouvement de solidarité, de coopération dans l’Institution. On me demande si c’est une démarche féminine ! Dans le jargon de ma discipline – la psychologie du travail –, on distingue des styles de leadership : les approches orientées vers la bienveillance, le respect mutuel, la collaboration sont dites “féminines” et celles qui valorisent la compétition, l’affirmation de soi, la virilité sont dites “masculines”. C’est évidemment schématique mais je pense que, chez les femmes en général, les notions de synergie et de confiance l’emportent sur la hiérarchie et l’autoritarisme, par exemple.

Il s’agit sans doute d’un changement de culture : j’aimerais notamment commencer mon mandat en écoutant celles et ceux qui n’ont pas voté ou qui ont choisi de voter “à personne”. J’organiserai des permanences pour les entendre, car ils et elles ont certainement des choses à dire.

L’objectif de la participation collective est aussi d’améliorer le sentiment d’appartenance à notre Institution. Au Conseil universitaire à l’enseignement et à la formation (CUEF), que je présidais comme vice-rectrice à l’enseignement, j’ai innové en y invitant toutes les vice-Doyennes et les vices-Doyens à l’enseignement, dans une perspective de décloisonnement et de partage des pratiques. Mieux se connaître, c’est mieux se comprendre, et cela aide à participer à l’effort collectif qu’il faudra faire tant que nous serons dans un financement à enveloppe fermée. Les mêmes enjeux de l’enseignement traversent toutes les Facultés, toutes les filières, même si les réalités sont différentes. Les méthodes (cours, travaux pratiques, la simulation), les outils, les ressources sont similaires. Le nombre d’étudiants diffère d’une Faculté à une autre, d’une discipline à une autre et il faudra trouver les moyens d’une distribution équitable, mais je pense que celle-ci peut se trouver plus facilement quand nous connaissons les contraintes et les enjeux de chacun et de chacune.

On dit que la méthode de la participation collective est chronophage. J’estime plutôt que c’est le contraire parce que, lorsque des décisions sont coconstruites et prises avec l’adhésion d’une majorité, leur mise en oeuvre est bien plus rapide. C’est la raison pour laquelle je compte prendre appui sur les doyens. Élus par les Facultés, ils sont porteurs d’une légitimité démocratique et peuvent nourrir la réflexion des autorités et être des relais utiles.

LQJ : Vous souhaitez, dites-vous, une “université humaine” ?

A-S.N. : Les deux dernières années, marquées pa la crise sanitaire et le confinement, ont été difficiles pour tout le monde. Pour l’Université aussi. Le recours à la technologie numérique s’est imposé brutalement à tous et à toutes, ce qui a nécessité des développements chaotiques au sein de notre Institution. Les enseignants ont réussi le tour de force de réinventer leurs cours en un temps record ; les étudiants et étudiantes ont dû faire des efforts inédits pour décrocher un diplôme (qui n’est pas bradé !) ; l’administration a dû faire face à des demandes multiples et inédites. Nous devons maintenant mener une réflexion sur l’usage de ces nouvelles technologies en évaluant leur efficacité, leur coût financier et écologique, par rapport aux bénéfices que l’on en tire. N’oubliez pas que les interactions entre les humains et les technologies dans les systèmes complexes sont au coeur de mes recherches et m’intéressent depuis longtemps.

Heureusement, les cours dans les amphithéâtres ont repris l’an dernier. Heureusement aussi, le personnel a réintégré les bureaux. Je souhaite que notre Université soit un lieu où l’on aime se rendre pour retrouver les autres, pour y travailler, chercher ou étudier de manière épanouissante. C’est bien l’humain qui est au coeur de l’Université : un lieu riche, un lieu d’ouverture sur sa région et sur le monde ; un lieu qui valorise le bien-être en général et refuse, notamment, les comportements de violence et de harcèlement. Il faudra d’ailleurs renforcer encore, à l’Université, notre politique de prévention et de gestion de ces problèmes en créant un endroit où les étudiants et membres du personnel puissent parler de ces difficultés en toute confiance, tout en garantissant à terme une analyse objective et juste des faits.

Par ailleurs, une “université humaine”, c’est aussi une université soucieuse des difficultés financières de certains de ses membres. Durant la pandémie, l’ULiège – grâce au concours de l’administration des affaires étudiantes – a distribué 8000 colis alimentaires bio. Au sein du Pôle, elle s’est aussi engagée dans la création de l’épicerie solidaire “Le Kotidien”, rue des Clarisses. D’autre part, un suivi psychologique gratuit a été mis en place en faveur des étudiant·es et des membres du personnel (via la Clinique psychologique et logopédique universitaire). Nous devons maintenant envisager la poursuite de ces dispositifs.

LQJ : C’est dans l’optique du bien-être que vous avez porté le dossier du “travail à distance” ?

NyssenAnneSophie-VertA-S.N. : En effet. Cela répondait à une demande exprimée par des membres du personnel administratif et enseignant. En 2019, j’ai lancé – avec l’aide de l’administration des ressources humaines – un projet pilote sur le travail à distance, sur base volontaire. Le but était d’offrir aux personnes intéressées la possibilité de travailler à domicile un jour ou deux par semaine. Les conclusions ont été très positives dans l’ensemble, tant pour les agents que pour les collègues, le service ou le département. Inutile de dire que cette expérience a été très profitable lorsque le confinement nous a obligés à organiser toutes les activités à distance.

Cet exemple vérifie ma méthode, basée sur l’incitation plutôt que sur l’obligation. Je suis persuadée que, pour faire adopter des changements, il faut emporter l’adhésion et surtout ne pas contraindre. À l’heure actuelle, l’Université autorise le personnel à prester deux jours de travail à distance par semaine. Cela nous semble respecter à la fois l’envie de celles et ceux qui veulent limiter le temps dans les transports ou concilier plus harmonieusement leur vie familiale avec leur métier et les demandes des chefs de service qui souhaitent maintenir la cohésion de l’équipe.

LQJ : Vous évoquez aussi la créativité...

A-S.N. : L’Université doit être créative. Elle doit valoriser l’émulation coopérative et être, non pas un conservatoire de savoirs anciens, mais un laboratoire d’idées pour penser le présent et le monde de demain. L’université de Liège est pluraliste et attachée à la neutralité : nous devons pouvoir travailler, étudier, enseigner, chercher en dehors de toute pression. C’est essentiel. Par ailleurs, l’Université fonde ses enseignements sur la rigueur scientifique et valorise une recherche de pointe, tant fondamentale qu’appliquée. Mais sans tomber dans l’élitisme.

Elle doit par ailleurs encourager l’esprit critique et la liberté scientifique dans le cadre de normes éthiques internationales. Elle doit aussi, à mon sens, veiller aux implications sociales, morales, économiques, environnementales ou politiques des recherches entreprises.

LQJ : Une autre ambition est d’oeuvrer à une “université durable où la transition environnementale est au coeur de nos programmes”.

A-S.N. : Sans conteste. Notre monde est en mutation et la transition environnementale est un défi majeur pour notre société. Il faut l’envisager en intégrant la dimension sociale. Nous devons renforcer son approche dans nos enseignements, nos recherches mais aussi dans nos processus de fonctionnement. Un tableau de bord de notre empreinte carbone a été réalisé par la cellule du développement durable. Il doit maintenant être traduit en objectifs et ce sera l’un des axes forts de mon mandat : c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, à mes côtés, un vice-recteur à la mobilité, une conseillère à la transition écologique et sociale, un conseiller à la sobriété numérique et une conseillère à l’éthique et aux politiques d’égalité. Parce que l’Université se doit d’être une actrice responsable et dynamique dans sa cité, soucieuse de son utilité sociale, dotée de sens critique et d’une réflexion éthique sur les grands défis de demain.

À cet égard, si l’Université doit être exemplaire quant à sa consommation (mobilité, énergie, consommables, etc.), elle doit aussi dispenser un enseignement transversal sur la transition environnementale. Depuis deux ans, nous avons mis en place “une formation au développement durable” offerte, en option, à tous les étudiants. Près de 500 étudiants la suivent. Mais il faut faire mieux et, par exemple, transformer cette offre en un cours transversal obligatoire dans toutes les Facultés, pour tous les étudiants. J’ai bien l’intention de mettre cette proposition à l’agenda des doyens, car l’adaptation de nos formations à cet enjeu majeur est crucial.

Je pense également que cette question ne peut être abordée que de manière transdisciplinaire. Des initiatives en ce sens existent déjà : des cours sur une même question environnementale croisent les regards d’un psychologue et d’un médecin par exemple ou d’un psychologue et d’un juriste. J’ai l’intention de favoriser ces dynamiques : pourquoi ne pas créer des lieux où se côtoieraient des professeurs, des assistants, des étudiants de diverses Facultés ? L’idée est de favoriser les échanges entre disciplines.

LQJ : Comment appréhendez-vous les rankings ?

A-S.N. : Il ne s’agit pas de viser l’impossible mais de sortir de notre tour d’ivoire et d’oser nous mesurer à des universités comparables. Les rankings ont une influence sur l’attractivité de notre Université. Notre recherche est de haute qualité et nous devrions pouvoir améliorer sa visibilité internationale afin d’augmenter notre positionnement sur le plan mondial. Cela passe notamment par le renforcement de l’aide à la publication, par la promotion des mécanismes de coopération et de solidarité, y compris dans le milieu de la recherche et les centres d’excellence extrêmement compétitifs comme le Giga. Aujourd’hui, nous avons besoin des autres pour exceller dans notre recherche.

LQJ : Quelques projets en vue ?

A-S.N. : Je souhaite continuer et renforcer les politiques de prévention et de lutte contre le harcèlement ainsi que les politiques d’égalité initiées dans le cadre de mon mandat et, notamment, finaliser mon projet de soutien à la parentalité, en répondant aux besoins de garde d’enfants. L’ULiège doit proposer une structure d’accueil pour favoriser l’inclusion et l’attractivité. S’agira-t-il d’une crèche ou d’une garderie ? Le sujet est complexe car nous avons plusieurs campus avec des besoins différents, mais il est à l’étude avec l’administrateure : un partenariat avec l’ONE est d’ailleurs envisagé.

Le développement du numérique doit être poursuivi. Les premières assises de l’enseignement qui ont eu lieu à l’automne 2021 ont permis de dégager des pistes intéressantes à cet égard. Et notre candidature au “plan de relance européen” a été acceptée : nous allons recevoir des fonds pour parfaire notre équipement, amplifier les formations au numérique, financer une nouvelle plateforme d’enseignement en ligne, engager des techno-pédagogues facultaires de proximité. Par ailleurs, le conseil d’administration a décidé d’offrir à tous les étudiants inscrits la licence “Office 365” de Microsoft. C’est une révolution au sein de l’ULiège, un choix cornélien car nous préférions rester indépendants, mais la fracture numérique constatée durant le confinement est telle que nous avons opté pour cette solution en faveur des étudiants.

Quant à la construction d’un nouveau home au Sart-Tilman et à la restauration de l’ancien, les projets viennent d’être votés par le conseil d’administration. En tant que vic-rectrice, je n’ai pas été associée à la construction du projet mais j’ai souhaité, à la lecture de l’offre déposée, que soit renforcé le nombre de kots sociaux pour répondre à la précarité étudiante qui est en augmentation ces dernières années. Nous allons continuer nos actions pour lutter contre celle-ci : c’est un problème de société qu’il faut envisager également aux niveaux local et politique.

Rentrée académique le jeudi 22 septembre à 16h

Amphithéâtres de l’Europe, quartier agora, campus du Sart–Tilman, 4000 Liège
Animation musicale par le Choeur universitaire de Liège, accompagné par Roger Joakim, baryton et de François Cerny, pianiste. Sous la direction de Patrick Wilwerth.
Toute la communauté universitaire est invitée à cette cérémonie.

Informations et inscriptions sur https://www.news.uliege.be/ra2022

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