Changer de cap

Un colloque de l’unité de recherche “adaptation, résilience et changement”

Dans Omni Sciences
Dossier Patricia JANSSENS

Les processus d’adaptation, de résilience et de changement seront au coeur d’un colloque au Sart-Tilman les 13 et 14 octobre

Sur proposition du conseil scientifique du développement durable, le conseil d’administration de l’ULiège a pris la décision de “diminuer les émissions de gaz à effet de serre générés par les déplacements de la communauté universitaire en réduisant l’usage de l’avion et en favorisant des alternatives plus durables”. À l’échelle de l’Université, et au regard des habitudes des chercheur·es, c’est une révolution. Mais si on lit les derniers rapports du GIEC, ce n’est qu’un (tout) petit pas dans la bonne direction : le changement climatique nous contraindra en effet à transformer radicalement nos modes de vie, à modifier nos références, à renouveler nos cadres de pensée.

Or, on le sait, le vivant est complexe et les processus de changement également. À la fois souhaités et craints, ils entraînent, presque mécaniquement, des résistances. « Le changement est source d’angoisse », note la Pr Fabienne Glowacz, directrice de l’unité de recherche “adaptation, résilience et changement” en faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’éducation. L’étude des processus de changement constitue ainsi un des champs de recherche les plus cruciaux pour les sciences humaines. « Alors que nous sommes aujourd’hui, collectivement et de manière immédiate, aux prises à de multiples crises (pandémie, guerre aux portes de l’Europe, perspectives climatiques catastrophiques), il est essentiel d’appréhender les processus de changement, aux niveaux individuel, collectif et sociétal, ceux-ci étant interreliés », estime Fabienne Glowacz.

LA CRISE, UN MOMENT PLEIN DE SENS

Paradoxalement, si la crise génère de l’angoisse et déstabilise le système, elle est aussi un moment opportun, favorable à la remise en question. Même si cela ne se passe pas sans heurts. Invitée à prendre part au colloque, la Pr Catherine Fallon (centre d’analyse et évolution des politiques publiques, innovation du terrain en faculté de Droit, Science politique et Criminologie) pose la question : comment la crise engendre-t-elle des processus de changement ? « Curieusement, la crise facilite les métamorphoses, constate-t-elle. L’urgence fait loi. Durant le confinement par exemple, de véritables dynamiques d’innovation ont vu le jour. Dans le domaine des violences intrafamiliales, une réflexion transversale a été menée auprès des PMS et des services d’aide aux victimes. Des dispositifs plus souples ont été mis en place, de nouvelles pratiques ont été encouragées : un relais via les pharmacies, un appel au public pour demander aux voisins et amis de rompre l’isolement des familles, un suivi proactif de la police, un travail de “revisite” auprès des victimes, etc. » Et Fabienne Glowacz de renchérir : « La crise est un temps de bouleversements et de dangers, mais elle joue un rôle de catalyseur et offre des opportunités d’apprentissages et de changements. Elle questionne le présent et nous projette vers le futur. Au-delà du choc qui peut paralyser, elle incite aux transformations, aux innovations et aux changements de l’individu et des systèmes. »

La crise sanitaire que nous venons de vivre a été fertile en enseignements. « Un exemple parmi d’autres : la pandémie a boosté le numérique en outrepassant les résistances préalables. Les médecins ont donné des consultations en ligne, des ordonnances sont maintenant délivrées électroniquement aux pharmacies, etc. Dans le même temps, les soins psychologiques et interventions de proximité (au plus près du milieu de vie des patients et au sein de la communauté) sont actuellement prônés et valorisés par les politiques et professionnels de soins en santé mentale, reprend Fabienne Glowacz. Les autorités ont pris conscience de l’ampleur de la souffrance psychique et le gouvernement a enfin reconnu que la santé mentale était une composante essentielle de la santé “tout court”, ce que l’OMS clame depuis longtemps. La crise a été le moment d’une “dé-stigmatisation” de la santé mentale. En reconnaissant les enjeux, le pouvoir a mis en place une série de dispositifs pour faire face à la demande de soins : engagement de psychologues dans les hôpitaux et autres centres agréés, meilleur remboursement des séances psychologiques, intérêt pour les populations précarisées, en prison, ou encore les minorités sexuelles. »

Cependant, la prise de conscience seule ne suffit pas toujours à amorcer de nouveaux comportements. « Le réchauffement climatique en est un bel exemple. En 1988 déjà, un groupe intergouvernemental d’experts expliquait l’effet de serre et pointait la responsabilité humaine en la matière, reprend Fabienne Glowacz. Depuis lors, des “microchangements” ont été initiés mais les problèmes demeurent, identiques à ceux déjà observés il y a plus de 30 ans. » Après avoir cité Edgard Morin*, “la conscience est le fruit ultime de l’évolution. Et il est essentiel que cette prise de conscience permette une évolution des modes de pensées et des systèmes de valeurs qui régissent nos sociétés”, la professeure temporise : « Si les informations sont disponibles, il faut du temps pour comprendre les phénomènes, percevoir les enjeux climatiques, politiques, sociaux, économiques et aussi absorber le trauma que représentent les constats actuels. »

Dans les pas de Kurt Lewin (psychologue social de la première moitié du XXe siècle), le Pr Daniel Faulx – qui sera également présent au colloque – estime que le processus rééducatif doit remplir une tâche équivalente à un changement de culture. Pour lui, ce changement débouchera sur des transformations comportementales.

QUESTION DE MÉTHODE

Parmi les multiples approches qui tentent de saisir la complexité des processus de changement, la recherche qualitative [voir encart] met l’accent sur la compréhension des phénomènes sociaux, des processus évolutifs à partir d’une immersion dans la complexité du vécu ou de la situation étudiée plutôt qu’en laboratoire. Elle sera, en octobre prochain, au coeur du colloque intitulé “Comprendre les processus d’adaptation, de résilience et de changement : un enjeu pour les sciences humaines. Apport des méthodes qualitatives et mixtes.”

« Alors que la recherche quantitative tend à objectiver les faits et à les généraliser, la recherche qualitative cherche à comprendre les faits humains et sociaux comme étant porteurs de significations véhiculées par les acteurs », observe Fabienne Glowacz. « Cela signifie que le cadrage, la conception initiale de l’étude ne sont pas imposés par les chercheurs. L’optique de la démarche qualitative – qui utilise les jeux, les paroles, les enquêtes sur base de questions ouvertes, etc. – permet d’analyser avec les acteurs ce qui est important ou non pour eux. Et ces données alimentent les équipes de recherche pour, à partir de témoignages individuels, monter en généralité », résume la Pr Catherine Fallon. Ainsi, à propos de la crise climatique, l’approche quantitative pourra mesurer et évaluer les comportements des individus, les prédicteurs et leurs impacts au niveau écologique, mais c’est en passant par des approches qualitatives que l’on pourra comprendre comment une personne a cheminé, a migré vers cette transition à partir de son expérience, et ce qu’elle implique en termes de concept de soi, d’identité, de changements. « À mon sens, les deux apports sont complémentaires et s’enrichissent mutuellement pour cerner une question complexe : c’est ce que l’on appelle les méthodes mixtes », conclut Fabienne Glowacz.

Comprendre les processus d’adaptation, de résilience et de changement : un enjeu pour les sciences humaines.
Apport des méthodes qualitatives et mixtes

Colloque organisé par l’unité de recherche “adaptation, résilience et changement” (ARCh) de la faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’éducation, les 13 et 14 octobre, à l’exèdre Dick Annegarn, campus du Sart-Tilman, quartier Agora, 4000 Liège.
www.fplse.uliege.be/colloque-arch-quali

Pour aller plus loin

• Paillé P. et Mucchielli A., L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand Colin, Paris, 2021
• Delefosse M. S. et Bruchez C., “Critères de qualité de la recherche qualitative : enjeux et complexité”, dans Bulletin de psychologie, (5), 2015
• Glowacz Fabienne, “Récits de désistance de jeunes radicalisés et impliqués dans des activités de groupes terroristes”, dans Criminologie, 53(1), 2020

Méthode qualitative

L’étude et l’analyse des processus de changement constituent un véritable défi pour les sciences humaines. C’estpourquoi les chercheurs déploient de multiples outils d’analyse, et ce dans toutes les disciplines. Actuellement en plein essor, la recherche qualitative propose une diversité de référents épistémologiques, de méthodes et d’approches. Plutôt que de tendre vers la généralisation des données, la démarche qualitative vise avant tout la compréhension et la profondeur en s’immergeant dans la complexité d’une situation. L’individu n’est pas considéré comme un réceptacle passif d’informations reflétant une réalité objective, mais comme un acteur qui participe pleinement à la construction du réel à travers une activité continue d’interprétations de son monde vécu.

« Cette recherche est dite “qualitative” parce que les instruments et méthodes sont conçus à la fois pour recueillir des données qualitatives (témoignages, notes de terrain, entretiens, focus group, etc.) et pour analyser ces données en se basant sur le sens plutôt que de les transformer en pourcentages ou en statistiques. L’ensemble du processus est mené de manière à développer une démarche empathique avec les personnes, de façon à approcher autant que possible leurs actions, le sens qu’elles leurs donnent à travers leurs témoignages », résume Catherine Fallon.

Un projet de recherche subventionné par Belspo – “Intimate Partner Violence : during et after Covid”– et coordonné par la Pr Fabienne Glowacz, en partenariat avec la VUB et l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), a pour objectif de comprendre comment le contexte de crise sanitaire et les mesures prises au cours de celle-ci ont participé aux dynamiques de violences dans les couples (et à l’émergence de nouvelles formes de violences) et d’analyser l’évolution des politiques et des actions publiques impliquant divers acteurs (police, justice, santé et monde associatif), pendant et après la crise de la Covid-19. « Les méthodes qualitatives et mixtes inscrites dans une approche pluridisciplinaire vont permettre de répondre aux objectifs de la recherche. Elles sont aussi mobilisées dans nos recherches sur la “désistance”, c’est-à-dire le processus de sortie de la criminalité, des violences tant pour les auteurs que pour les victimes, et bien d’autres phénomènes sociaux », observe Fabienne Glowacz.

Et pourtant, la recherche qualitative est souvent questionnée sur sa légitimité et son caractère scientifique. Pour Fabienne Glowacz, « il est impératif de montrer qu’elle s’appuie sur des méthodes de plus en plus rigoureuses, garantes d’une démarche scientifique. » En faculté de Psychologie, un cours sur les méthodologies qualitatives va d’ailleurs être inscrit au programme des masters dès la rentrée.
« C’est une avancée majeure pour la formation des étudiants et des chercheurs dans une discipline qui étudie le fonctionnement et les dysfonctionnements de la personne et des systèmes, ainsi que les processus de soins et de résilience », se réjouit la Pr Glowacz.

Le colloque sera l’occasion de montrer l’intérêt et l’apport de ce type de méthodes, la diversité de référents épistémologiques permettant de comprendre les processus de changement.

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