En flèche

Nicolas Vandewalle vient de recevoir la médaille Elgra

Dans Omni Sciences
Article Henri DUPUIS

Professeur de physique et directeur du Group of Research and Applications in Statistical Physics (GRASP) qu’il a fondé au sein de l’ULiège en 2000, Nicolas Vandewalle est le premier Belge à recevoir la médaille Elgra pour l'ensemble de ses travaux en microgravité

Un jour peut-être dressera-t-on l’inventaire à la Prévert des activités initiées par les confinements successifs lors de la pandémie de Covid. Pour Nicolas Vandewalle, ce fut le tir à l’arc ! Il faut dire que ce natif d’Ypres, qui a passé sa jeunesse à Mouscron et professe à Liège, habite aujourd’hui dans les environs de Houffalize. « Au milieu de nulle part », précise-t-il. Ses flèches ne risquent donc pas d’atteindre grand monde, sauf peut-être les pommes de son verger où il espère installer bientôt des ruches. « J’avais déjà tâté du tir à l’arc étant plus jeune. Pendant les confinements, il me fallait absolument une activité pour sortir des écrans de visioconférence. Cela me permet de me vider la tête et de me détendre au grand air. Et puis j’aime la nature et le jardinage. » Des activités très “pieds sur terre”, à l’opposé de ses recherches en microgravité lors de vols paraboliques en avion dit “zéro G”. Et plus encore de ses expériences testées par les astronautes à bord de la Station spatiale internationale (ISS).

EN ROUTE VERS L’ISS

De Mouscron à la station spatiale, il y a un long chemin, entamé au sein d’un noyau familial très ouvert. « Mes parents me laissaient faire ce que j’aimais. Et ce que j’aimais, c’était les sciences. J’ai donc pris l’habitude de fréquenter assidûment la bibliothèque de mon quartier », se rappelle-t-il. Une habitude qui a laissé des traces : Nicolas Vandewalle a gardé le goût et la curiosité de ces temples du savoir. Aujourd’hui encore, partout où il passe, s’il y a lieu, il visite ces endroits délaissés par les touristes que sont en général les bibliothèques. Autres marches vers l’ISS, la licence en physique (1993), puis la thèse de doctorat à l’université de Liège (1996). Une thèse qu’il réalise en physique statistique et la croissance cristalline auprès d’un promoteur quelque peu atypique au sein de l’Institution, Marcel Ausloos. « Ses cours m’avaient intéressé, se souvient Nicolas Vandewalle. Ils traitaient notamment du chaos. » Du chaos en physique bien sûr, mais qu’Ausloos étendra jusqu’à l’économie, s’essayant à la prédiction des krachs financiers. Bref, un esprit très curieux et trublion propre à séduire le jeune thésard.

Les séjours postdoctoraux constituent une autre étape importante vers la banlieue terrestre. Nicolas Vandewalle garde de certains d’entre eux un souvenir vivace. Non seulement à cause des rencontres humaines et des apprentissages qu’il y fait mais aussi des conditions de travail parfois rocambolesques. « J’ai séjourné un an à Paris à l’université Pierre et Marie Curie sur le campus de Jussieu. Le bâtiment devait être désamianté, nous vivions dans des sortes de cocons plastiques. Les toilettes y étaient rares et chaque fois que les plombs sautaient – et c’était fréquent –, il fallait qu’une équipe spéciale d’intervention s’habille de scaphandres pour aller les remettre ! »

Mais ce qu’il découvre là en 1998 – en dehors de la coupe du monde de football bien sûr –, c’est l’enthousiasme du Prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes et de son équipe. « J’ai appris une autre manière de faire de la physique : s’émerveiller de petites choses comme il le faisait, notamment à la télé où il expliquait toute la complexité qui se cache dernière une expérience en apparence toute simple. Je me suis dit : c’est cela que je veux faire. » Un séjour à la Boston University lui laisse un autre souvenir. « Tous les post-docs travaillaient dans une même salle en deux équipes. Le soir, je devais éliminer toute trace de mon passage sur mon bureau afin que celui qui travaillait la nuit trouve place nette. On ne se rend pas toujours compte des conditions dans lesquelles se fait la recherche… et de la chance que nous avons ici. »

Dernière étape vers l’ISS : fort de ces expériences, le jeune physicien postule à l’université de Liège et y décroche un poste de professeur. Il peut alors réaliser son rêve en créant son propre laboratoire, le GRASP (2000), pour y déployer ses talents en physique statistique, un labo qui comportera jusqu’à 25 chercheurs.

PHYSIQUE STATISTIQUE ET MATIÈRE MOLLE

La physique statistique a pour objectif d’expliquer le comportement et l’évolution de systèmes complexes comportant un grand nombre de particules. Un tas de sable ou l’écoulement de grains en sont de bons exemples. « C’est un domaine où l’on peut réaliser des expériences qui ne sont pas trop onéreuses, s’amuse le chercheur liégeois. Au début, nous avons donc étudié des matériaux granulaires, puis la matière molle et ses interfaces. » Proche collaboratrice de Pierre-Gilles de Gennes, la physicienne Madeleine Veyssié définit cette matière molle comme « tout ce qui va des matières plastiques aux bulles de savon, en passant par les gels, les élastomères, les cristaux liquides, les crèmes cosmétiques, les boues ou les pâtes céramiques… ». Un champ d’investigation très vaste qui ne pouvait qu’intéresser Nicolas Vandewalle qui, en 20 ans de recherches, a connu des évolutions importantes dans son métier. L’une d’elles étant l’intrusion des fablabs, très utiles dans son domaine. « Nous avons de puissantes imprimantes 3D, souligne-t-il. C’est indispensable dans notre secteur. »

Mais la vraie révolution n’est pas là. « Le domaine de la matière molle s’étend de plus en plus du côté de la biologie. On touchait déjà à la chimie ; maintenant, c’est à la biologie. Aujourd’hui, un grand pan de la matière molle concerne en effet la matière active, c’est-à-dire des particules qui consomment de l’énergie dans leur environnement pour effectuer certaines fonctions. Toute la question est donc de comprendre comment on peut obtenir une fonction qui provient du comportement collectif d’individus qui, seuls, ne peuvent pas remplir cette fonction- là. Comment de nouveaux comportements peuvent-ils exister à grande échelle à partir du mouvement individuel de toutes les particules qui composent le système ? »

Un champ de recherches d’ailleurs couronné par un autre Nobel de physique, en 2021 cette fois, l’Italien Giorgio Parisi. « Il a étudié les systèmes complexes de particules, notamment leur désordre et leurs fluctuations, précise Nicolas Vandewalle. C’est un domaine de la physique assez neuf, car sous des dehors de physique fondamentale, on aborde aujourd’hui des problèmes très concrets, comme les mouvements de foule par exemple. » Une foule est en effet composée d’individualités qui ont leur vie propre, c’est-à-dire que chaque individu y interagit avec les autres, s’oriente en fonction du mouvement de ses voisins, etc. Cela produit des phénomènes contre-intuitifs. Il a ainsi été montré que, dans certaines situations, si on veut fluidifier un mouvement de foule dans un couloir, il est préférable de dresser un obstacle au milieu de ce dernier ! Une foule ne se comporte donc pas comme un simple fluide. « Auparavant, nous travaillions sur des systèmes où les particules étaient incapables de générer et de gérer leur propre mouvement. Dans un gaz, elles rebondissent les unes sur les autres et remplissent le récipient. Les particules actives, elles, ont tendance à s’agréger, ou à se retrouver dans les coins, etc. »

Dans ce cadre-là, le physicien liégeois se penche sur un problème bien d’actualité : les microplastiques qui envahissent les océans. Si l’on filtre l’eau pour tenter de les récupérer, on arrête aussi des organismes vivants comme le plancton auquel ils sont mêlés. « Des particules actives peuvent-elles se démêler spontanément des passives ? Si oui, dans quelles conditions ? », s’inquiète le chercheur. Qui a une définition bien personnelle de la matière “active”. « Je ne suis pas biologiste et n’ai pas la patience de venir chaque matin nourrir des petites bêtes dans le labo, sourit-il. Nous avons donc conçu des minirobots peu onéreux que nous fabriquons ici sur nos imprimantes 3D. Nous pouvons donc les traiter comme bon nous semble et leur faire faire ce que nous voulons quand nous le voulons. » D’autres laboratoires de par le monde ont adopté cette méthode et les robots s’échangent par-delà les frontières au gré des expériences.

Autre sujet qui a beaucoup préoccupé Nicolas Vandewalle et les chercheurs du Grasp lors de ces 20 années de travaux : les gouttelettes, et plus particulièrement la capture d’eau en milieu aride. « Nous menons toujours des études sur la possibilité de capturer la vapeur d’eau ou le brouillard. Il existe déjà des villages, au Maroc ou au Népal par exemple, où les habitants récoltent de l’eau, jusqu’à un litre par jour et par m2 à l’aide de filets à nuages. Notre but est d’optimiser ce système en copiant la nature, par exemple des lézards ou des cactus dans le désert. »

MICROGRAVITÉ

Mais le fil rouge du laboratoire est incontestablement la microgravité. Un domaine particulier de la physique qui réunit matières granulaires, fluides ou mousses. « On ne s’en rend évidemment pas compte mais, sur Terre, la gravité nous aide à être assis, à marcher, à manipuler des objets. Supprimez-la et tout cela devient beaucoup plus difficile », observe Nicolas Vandewalle. Un exemple : les moindres interactions comme celles qui naissent de l’apparition de charges électriques dues aux frottements ou frictions, négligeables lorsque la gravité terrestre est présente, se révèlent dominantes en son absence et les grains s’agrègent entre eux. « Souvenez-vous des astronautes dont la combinaison était couverte de poussières très abrasives après avoir marché sur la Lune. Une présence qui a posé bien des problèmes, y compris au niveau respiratoire. » Une difficulté qu’il faut absolument éliminer dans la perspective du retour sur la Lune ou d’autres planètes, et plus encore dans la perspective de l’exploitation spatiale. « Comment installer une base, creuser des trous, extraire des minerais dans ces conditions?, s’interroge le physicien liégeois. Cela s’avérera très difficile, voire impossible. »

Une question à laquelle Nicolas Vandewalle se mesure depuis des années. Il y a dix ans, il est devenu coordinateur du projet Space Grains de l’Agence spatiale européenne (ESA) auquel collaborent 17 groupes de chercheurs répartis dans huit pays. Un projet dont le but est d’étudier les propriétés statistiques et dynamiques des matériaux granulaires en environnement de faible gravité. Depuis 2015, cette collaboration utilise un instrument qu’elle a développé lors de campagnes de vols paraboliques. Baptisé “VIP-GRAN“, il consiste en une cellule fermée contenant des particules, deux parois opposées de la cellule étant des pistons vibrants, ce qui permet d’injecter de l’énergie cinétique dans le système. Les scientifiques peuvent alors faire varier le nombre de particules, la géométrie de la cellule, l’amplitude et la fréquence des vibrations. Des caméras, des accéléromètres et des capteurs de force d’impact mesurent alors différents paramètres.

À raison de deux campagnes de vols paraboliques par an, les chercheurs liégeois et leurs collègues ont accumulé une quantité incroyable de données sur le comportement des matériaux granulaires en microgravité. « Une version miniaturisée a également été conçue pour être embarquée sur l’ISS, soupire Nicolas Vandewalle. Cela aurait déjà dû avoir lieu, mais il y a eu des retards. Nous espérons maintenant que le VIP-GRAN trouvera sa place dans la station en 2024. » Des travaux pour lesquels il vient de se voir attribuer la médaille European Low Gravity Research Association (Elgra),décernée tous les deux ans à un scientifique pour ses travaux dans le domaine des matériaux granulaires sous gravité réduite.

UNE INQUIÉTUDE : L’ENSEIGNEMENT

Difficile de quitter le Pr Vandewalle sans aborder l’enseignement, tant ce sujet lui tient à coeur. « La recherche n’est que la moitié du job, souligne-t-il. En tant que professeurs d’université, nous avons tous un rôle important auprès des jeunes, ceux qui entament leurs études comme les doctorants. Dès ma nomination ici à Liège, j’ai donné des cours de physique générale dans des auditoires de première année. Une expérience que je n’ai jamais regrettée et, d’ailleurs, j’y donne toujours un cours. Ces cours ont toujours nourri ma recherche et inversement. » Nicolas Vandewalle s’empresse cependant d’ajouter qu’il a connu une importante évolution au long de sa carrière. « Je dois bien constater, regrette-t-il, que les jeunes qui arrivent à l’université aujourd’hui sont bien moins armés qu’il y a 20 ans et l’épidémie de Covid n’a fait que dégrader ce constat. Pas seulement en mathématiques, en français également. Rédiger un énoncé est devenu très compliqué parce qu’on doit le rendre basique avec un vocabulaire le plus limité possible ; il y a des mots que les étudiants ne comprennent plus… »

Un exemple : l’indication “facultative” se rapportant à une question d’examen a plongé un tiers des étudiants dans l’embarras ! « Cela ne concerne pas seulement les études de physique. Je sais qu’il en va de même chez les ingénieurs ou les médecins. Alors, ici à l’Université, nous avons l’impression de courir derrière un train sans jamais le rattraper. Pour garantir la réussite des étudiants, nous avons simplifié des matières, ou même supprimé certaines d’entre elles. À charge des étudiants de les découvrir par eux-mêmes si c’est nécessaire dans leur cursus. Oui, je suis inquiet. Les réformes pédagogiques dans le primaire et le secondaire ont fait disparaître des acquis importants comme les automatismes. Cela commence avec les tables de multiplication qu’on ne peut plus imposer par coeur. C’est une perte d’efficacité. L’enseignement primaire et secondaire n’apprend plus aux élèves à être efficaces, à avoir du bon sens ou à réfléchir. Je crois pourtant que, de notre côté, nous nous sommes remis en cause, avons revu notre façon d’enseigner. »

Et le Pr Nicolas Vandewalle de poursuivre : « Depuis des années, nous avons ainsi décidé de démarrer très lentement lors du premier quadrimestre afin de réduire autant que faire se peut la hauteur de la marche entre enseignements secondaire et universitaire. En fait, nous reprenons tous les fondamentaux de zéro en tenant les jeunes par la main. De même, nous réservons une place dans leur cursus à des matières plus en phase avec ce qu’ils connaissent comme, par exemple, les fablabs et l’impression 3D. Ce qui m’inquiète le plus : ils ont tout à leur disposition sur internet, ils disposent de livres remarquables, d’exercices à foison pour s’entraîner, de coaching et de remédiations, ils peuvent nous interroger… Mais tout cela avec quels résultats ? Il me semble difficile d’aller plus loin dans la remise en cause de l’enseignement de la physique. Il faut toujours commencer par les fondations, pas par le grenier. Il faut toujours enseigner les bases mathématiques. Nous subissons des pressions pour intégrer des matières plus “marketing” dans le cursus, qui attireraient davantage les jeunes. Mais sans les bases, nous ne ferions qu’en “parler”, c’est-à-dire traiter le sujet de manière vulgarisée, purement descriptive, alors qu’en physique on s’éloigne du descriptif pour aller vers la compréhension profonde des phénomènes. On touche ici à un problème de société qui est la marchandisation des études. » Une flèche décochée par un archer qui rate rarement sa cible…

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