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L'opinion de Didier Mattivi, nouveau directeur de RISE

Dans Univers Cité
Entretien Patrick CAMAL - Photos Sandrine SEYEN

Voici plus d’un an, il a pris la direction de la nouvelle administration “Recherche, Innovation, Support et Entreprises (RISE)” pour exécuter un agenda ambitieux au cours des quatre années à venir et « faire rayonner la science de l’Université »

Voici plus d’un an que Didier Mattivi a pris la direction de la nouvelle administration “Recherche, Innovation, Support et Entreprises (RISE)”. Avec Olivier Gillieaux (chargé de la recherche appliquée), Véronique Larosa (chargée de la recherche fondamentale) et une soixantaine de collaborateurs, Didier Mattivi veut exécuter un agenda ambitieux au cours des quatre années à venir et « faire rayonner la science de l’Université ». Pour cet ingénieur civil devenu multi-entrepreneur, notamment fondateur d’une société de télécom (IPTrade, spin-off universitaire) et d’un studio incubateur de jeux vidéo, c’est l’occasion « d’impacter positivement sa région et la société en général ». Comment ? Nous lui avons posé la question.

LQJ : Peut-être d’abord rappeler ce qui se cache derrière ce nouvel acronyme RISE ?

Didier Mattivi : “Recherche, Innovation, Support et Entreprises (RISE)” est une administration qui résulte de la fusion de l’ancienne administration de la recherche (ARD) et de l’Interface-Entreprises-Université. J’ai été engagé pour opérationnaliser cette intégration qui, bien qu’amorcée en 2021, était envisagée et discutée depuis plusieurs années dans le but d’établir, à l’instar de ce qui se fait dans la plupart des universités, une interface unique. Sa vocation est de prendre en charge nos chercheurs, depuis l’entame de leur doctorat jusqu’au moment où ils et elles quitteront le giron de l’Université, et de les accompagner dans leurs recherches de financements externes (européens, communautaires, régionaux) et internes (fonds de recherche de l’ULiège), tant en recherche appliquée qu’en recherche fondamentale.

L’intégration de ces deux équipes, l’une installée place du 20-Août et l’autre au “Liège Science Park” au Sart-Tilman, est d’abord passée par un exercice d’idéation pour trouver un nouveau nom qui puisse être le point de départ d’une culture commune. “Recherche, Innovation, Support, Entreprises” capturait adéquatement l’ensemble de nos services : l’aide à la recherche et en particulier son finance-ment ; l’innovation, c’est-à-dire la transformation de cette recherche en quelque chose d’utile au monde extérieur ; le support aux chercheurs ; enfin, les relations avec les entreprises, autrement dit le rôle de porte d’entrée à l’Université pour celles-ci. La cellule RISE mène donc, en somme, une mission de facilitation : nous voulons être là pour favoriser les interactions de nos chercheurs avec le monde extérieur, bailleurs de fonds ou entreprises.

LQJ : Au regard de votre passé de serial entrepreneur, de votre intérêt pour les jeunes pousses, faut-il s’attendre à ce que davantage d’attention et de moyens soient accordés aux transferts de technologies, et en particulier à la création de spin-offs ?

D.M. : Il est d’abord important de souligner que la recherche fondamentale et la recherche appliquée sont interdépendantes. La première constitue une part importante de l’empreinte de notre Université dans la société qui bénéficie tous les jours de l’accroissement des connaissances et du savoir auquel nos chercheurs contribuent. Quant à la seconde, elle doit, à mon sens, correspondre aux besoins de son écosystème, sans nécessairement être dirigée par lui. C’est un exercice difficile, une sorte d’équilibre à trouver. La recherche doit tendre à la valorisation en termes de transfert de technologies et de connaissances.

Il existe aujourd’hui deux manières de réaliser ce transfert. La première consiste à octroyer à des tiers des droits d’exploitation sur des résultats de recherches. La seconde manière revient à incorporer des sociétés dites spin-offs, ce qui suppose que chercheurs souhaitent prendre la direction, à tout le moins scientifique, de ces sociétés. Autrement dit, trouver des individus qui, non seulement mènent des recherches valorisables sur le marché, mais ont aussi la fibre entrepreneuriale. Certains ne souhaitent pas s’engager dans ce type de parcours, et nous respectons cette volonté. L’idée qu’il faille faire sortir les scientifiques de leurs laboratoires pour les transformer en entrepreneurs n’a aucun sens. En revanche, il faut être là pour soutenir ceux et celles qui souhaitent s’engager dans un parcours entrepreneurial.

LQJ : Comment s’y prendre ?

MattiviDidier-VD.M. : Beaucoup de chercheurs n’imaginent pas que leurs travaux puissent être valorisés. Chez RISE, nous devons donc faire parler ces chercheurs et chercheuses de manière proactive, comprendre leurs recherches – ce qui implique d’avoir les ressources scientifiques adéquates –afin d’en découvrir les potentielles applications. Autrement dit, nous devons développer une étroite proximité avec les unités de recherche, sonder leurs ambitions et les tenir à l’oeil au cours des prochaines années.

En plus de l’expertise juridique que nous prodiguons aux chercheurs lorsqu’il s’agit de monter la société en tant que telle ou de comprendre ce qui peut être transféré de l’Université vers la spin-off dans le suivi des règles de transfert de propriété intellectuelle, nous pouvons également leur proposer d’intégrer dans leur équipe scientifique une personne dotée d’une expérience entrepreneuriale, par exemple.

Enfin, nous travaillons à créer une dynamique autour de ces chercheurs-entrepreneurs. Nous avons ainsi fondé en mars 2023 un club de spin-offs universitaires, destiné à faire se rencontrer des sociétés qui se connaissent en réalité très peu alors qu’elles font face à des enjeux similaires, essentiellement des problématiques de start-ups. Par ailleurs, nous travaillons à la mise en place d’un fonds de maturation, un petit fonds d’equity qui nous permettrait de soutenir certains projets plus longtemps, de les faire maturer davantage, en sorte qu’ils s’en trouvent, à terme, mieux valorisés.

Voici donc déjà deux piliers du plan d’action de RISE, et non des moindres puisqu’on dénombre chez nous quelque 4000 personnes impliquées en recherche.

LQJ : Verrons-nous alors davantage de spin-offs ?

D.M. : Je pense qu’il existe un véritable potentiel pour doubler le nombre de ces nouvelles sociétés. Nous pourrions en créer quatre à cinq par an. Attention : je n’ai aucun intérêt personnel à les promouvoir ! Je constate simplement que, dans le contexte compliqué du financement de la recherche, ce type de valorisation monétaire – en recherche appliquée pour l’essentiel, mais pas seulement – est une manière pour l’Université de générer des recettes, lesquelles permettent de financer d’autres initiatives, notamment en recherche fondamentale. C’est un message important. Nous avons tout intérêt à ce que nos spin-offs soient successful.

LQJ : Justement, tous les projets de recherche ne déboucheront pas forcément sur une valorisation monétaire. Quid alors de recherches menées en sciences sociales, en linguistique, en archéologie, etc. ?

D.M. : Valoriser notre recherche ne veut pas forcément dire en tirer des revenus. Valoriser, c’est en développer les impacts sociétal, économique, environnemental, etc. Mon propos n’est donc pas de délaisser des initiatives sans lien direct avec le monde de l’entreprise. Chacun a pu se rendre compte, j’espère, qu’il n’y a pas eu depuis mon arrivée quelque désinvestissement que ce soit. Nous nous préoccupons tout autant des recherches qui, lorsqu’elles se donnent à voir au grand public, contribuent au rayonnement de notre Institution. Après tout, ces recherches, qui ont été financées par de l’argent public, doivent pouvoir retourner vers la société d’une manière ou d’une autre, fût-ce sous la forme d’expositions – je pense notamment au récent “Printemps Simenon”– mais pas seulement. Je songe également à Veerle Rots, archéologue et directrice du TraceoLab à l’ULiège, lauréate du prix Francqui 2022 en sciences humaines pour ses recherches pionnières sur les outils du Paléolithique. Le Conseil universitaire de la recherche et de la valorisation de l’ULiège lui a confié une bourse pour développer un centre de compétences susceptible d’attirer des chercheurs internationaux. Je pourrais citer d’autres exemples.

Cette forme de valorisation s’inscrit donc dans un effort de communication, lequel constitue le troisième pilier de notre plan d’action. Nous voulons que notre Institution multiplie ses contacts avec la société au sens large, en sorte d’y créer une appétence pour notre recherche.

Je précise que, pour RISE, toute recherche a une valeur équivalente, indépendamment de la Faculté où elle est menée. Notre rôle est de trouver les meilleurs instruments pour la financer. En prenant appui sur notre connaissance pointue des bailleurs de fonds aux niveaux régional, communautaire et européen, nous pouvons définir avec les chercheurs des stratégies de candidature, ou les aider dans la rédaction de leurs réponses aux appels à projet. Nous communiquons aussi à l’ensemble des chercheurs, via une newsletter, les nouveaux programmes de recherche susceptibles de les intéresser. C’est l’activité principale de RISE : faire en sorte que chaque recherche trouve un financement.

LQJ : Dans quelle mesure les acteurs du monde extérieur, en particulier les entreprises, souhaitent-ils travailler avec l’Université ?

D.M. : Les contacts sont multiples et variés. Tel laboratoire et telle entreprise décident de travailler ensemble à un projet de type pôle de compétitivité. Telle entreprise nous sollicite – et nous finance – pour résoudre un problème spécifique. Telle grande société nous approche pour explorer d’éventuelles synergies. Il reste que, si ces deux mondes souhaitent travailler l’un avec l’autre, ils ne savent souvent pas comment s’y prendre. Ce sont deux mondes qui n’ont pas les mêmes logiques, temporelles notamment. Le monde de l’entreprise tend à travailler par “essai-erreur”, là où nous avons tendance à faire les choses excessivement bien. Nous rajoutons donc souvent un temps considérable à la décision, ce que le monde extérieur ne comprend pas. Le rôle de RISE est d’identifier préalablement ces “goulots d’étranglement”, de proposer des programmes structurants visant à réduire les incompréhensions, et ainsi de faire de l’Université un partenaire avec lequel il est aisé de collaborer. Je souhaite pour ma part que l’ULiège devienne, à tout le moins en Région wallonne, “le” partenaire de choix des entreprises lorsqu’il s’agit de faire de la R&D.

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