Mères porteuses

“J’ai porté l’enfant d’un(e) autre”

Dans Univers Cité
Article Ariane LUPPENS

“J’ai porté l’enfant d’un(e) autre”. Tel était le sujet de l’intervention de Monica Bourlet, lors du colloque qui s’est tenu sous l’égide du service de psychologie clinique psychodynamique de l’ULiège, en collaboration avec l’université de Poitiers

Trois petites lettres, GPA – clair acronyme de “Gestation pour autrui”– mais immense débat. En scène, deux groupes irréconciliables : d’un côté, celui qui dénonce une atteinte inacceptable à l’ordre naturel (voire divin) et, de l’autre, le partisan de la parentalité pour tous. Le premier fustige la commercialisation du corps de la femme et le second met en avant la détresse des couples qui ne peuvent avoir d’enfants. Au centre des discussions, celles qui décident de porter l’enfant d’un(e) autre et que paradoxalement on entend peu. Monica Bourlet, assistante et doctorante en psychologie clinique (en faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’éducation), a voulu les écouter. Elle leur a consacré sa thèse intitulée “Étude psychanalytique des aménagements psychiques des mères porteuses dans le processus de la GPA”.

Psychologue clinicienne, Monica Bourlet a travaillé de nombreuses années en dehors de l’Université, dans le domaine de la parentalité. « J’ai rencontré la Pr Despina Naziri qui étudie les thématiques de parentalité à l’ULiège. Dans la continuité des recherches du service, j’ai souhaité aborder la GPA sous l’angle des mères porteuses, car elles sont les grandes absentes des études en psychologie clinique. Bien qu’elles apparaissent tout de même sous le prisme des parents d’intention, leur propre vécu de l’expérience, du point de vue psychologique, est encore peu documenté. » En leur garantissant l’anonymat, Monica Bourlet a réussi à constituer un échantillon de 15 femmes répondant à des critères précis.

GPA et GPA

Il existe deux types de GPA : la “GPA traditionnelle” et la “GPA gestationnelle”. La première réalise la conception au moyen d’un ovocyte de la mère porteuse et des spermatozoïdes du père génétique. Dans ce cas, la mère porteuse est donc également la mère biologique, une pratique associée à la traite d’êtres humains et interdite dans la plupart des pays. « Pour ma part, reprend Monica Bourlet, je me suis intéressée à la “GPA gestationnelle”, une technique qui sépare la procréation (via le recours au corps de la mère porteuse) et la filiation du bébé avec la mère d’intention. » L’ovocyte de la mère d’intention est fécondé par le sperme du père d’intention par une fécondation in vitro, et l’embryon obtenu est ensuite implanté dans l’utérus de la mère porteuse. Lorsqu’il s’agit d’un couple homosexuel masculin, l’ovocyte provient d’une donneuse différente de la mère porteuse et l’un des pères donnera ses gamètes.

Seules des femmes engagées dans une démarche que l’on pourrait qualifier d’altruiste – c’est-à-dire dont la rémunération ne constitue pas le motif de la démarche – étaient reprises dans l’échantillon et « toutes devaient avoir accouché, précise Monica Bourlet. Je voulais qu’elles aient connu la totalité du processus, jusqu’à la naissance et la cession de l’enfant. » Dans ces conditions de participation, Monica Bourlet a interrogé des Belges en majorité, des Américaines, des Canadiennes et une Colombienne.

Aux États-Unis, les GPA sont encadrées par un contrat entre les parties, lequel envisage toutes les hypothèses : implantation du nombre d’embryons, conditions d’avortement ou non, fausse couche, enfant handicapé, déroulement de l’accouchement, cession de l’enfant, etc. « La rencontre entre un couple et une mère porteuse est très souvent organisée par des agences : si la GPA coûte environ 150 000 dollars aux demandeurs, la mère porteuse, qui lors de l’engagement doit avoir des revenus suffisants et jouir d’une bonne santé, percevra environ 20 % de cette somme, à titre de compensation. On peut donc considérer que, du point de vue de la femme, la démarche est vécue comme altruiste », estime Monica Bourlet.

Au Canada, au contraire, la rémunération est une infraction et c’est la mère porteuse qui, au final, choisit le couple demandeur. Le plus souvent, ce sont également des agences qui accompagnent les GPA, car elles constituent une protection pour l’ensemble des protagonistes.

En Belgique, la GPA n’est ni autorisée ni interdite. « Certains hôpitaux la pratiquent : la Citadelle à Liège, le CHU-Saint Pierre à Bruxelles et l’UZ Gand. Ces institutions définissent des règles qui ne sont pas forcément les mêmes d’un hôpital à l’autre. Cependant, les raisons doivent toujours être médicales, c’est-à-dire que la mère d’intention doit se trouver dans l’impossibilité médicale de porter un enfant. Il ne peut y avoir de raisons “de convenance” (esthétiques ou professionnelles, par exemple). Par ailleurs, il s’agit d’une GPA dite “relationnelle” ou “affective” au sens où est privilégié le fait que la mère porteuse fasse partie de l’entourage du couple d’intention. Ainsi, une femme peut porter l’enfant de sa soeur ou de son frère mais aussi d’un couple d’amis. Les trois hôpitaux insistent sur ce critère : la mère porteuse doit vivre dans l’environnement proche des parents d’intention. Ce qui, en contrepartie, peut entraîner une sorte de “dette à vie” pour eux. »

ALTRUISME

Si le processus est maîtrisé, les contraintes pour les mères porteuses sont réelles. Elles doivent se soumettre à des protocoles médicaux rigoureux pour vérifier leur état de santé en vue de l’accord pour la GPA. Ensuite, une préparation hormonale est nécessaire afin que leur utérus puisse recevoir l’embryon conçu in vitro avec des gamètes étrangers. « Enfin, à partir du transfert de l’embryon, elles doivent encore prendre des hormones pendant trois mois. Ce sont des protocoles très contraignants : elles se plaignent de nausées et de maux de tête. L’une d’entre elles (qui avait dû réaliser trois transferts d’embryons) avait pris 37 kilos ! »

La question de la filiation est également épineuse. Aux États-Unis, au Canada et en Colombie, les mères porteuses soit n’apparaissent pas sur l’acte de naissance, soit peuvent assez rapidement céder leurs droits parentaux. En Belgique, la situation est très différente. « Juridiquement, la mère de l’enfant est celle qui lui donne naissance, rappelle la chercheuse. En général, la mère d’intention doit alors introduire une procédure d’adoption qui peut prendre deux, voire trois ans. Quant au père – dans un couple hétérosexuel ou homosexuel –, il peut reconnaître l’enfant par voie de filiation anténatale ou lors de la déclaration de naissance. »

Alors, quelles sont les motivations des mères porteuses ? La majorité d’entre elles ont fondé une famille et ne souhaitent plus avoir d’enfants. « Souvent, elles expliquent qu’elles ont été confrontées à la souffrance de proches suite à des échecs répétés de maternité. Elles ont alors décidé de les aider afin de réaliser leur rêve. Au-delà de la dimension altruiste du geste, cela leur procure un sentiment personnel d’accomplissement, de fierté. Ce qui constitue pour elles une récompense d’ordre symbolique », note Monica Bourlet.

PARTAGE ET SÉPARATION

Dès l’entame du processus, une relation étroite avec le couple d’intention (primordiale à leurs yeux) s’engage et les mères porteuses souhaitent que ce lien perdure après l’accouchement. « Tout au long de la grossesse, observe Monica Bourlet, elles impliquent les parents d’intention : lors du transfert de l’embryon, pendant les échographies et les visites chez le médecin. Elles partagent leurs ressentis, parlent des mouvements du bébé. Très souvent, elles ont mené la grossesse selon certains souhaits des parents d’intention (haptonomie, enregistrement de leurs voix qu’elles font écouter au bébé, etc.). »

Mais comment s’en séparent-elles ? « Les 15 femmes que j’ai rencontrées sont très claires sur ce point : si l’accouchement et la cession du bébé suscitent des émotions compréhensibles, l’enfant qu’elles mettent au monde n’est pas le leur. Elles le “rendent” à ses véritables parents. Elles décrivent d’ailleurs l’accouchement comme un des plus beaux moments de la GPA. Un moment soigneusement préparé : soit la mère porteuse prend l’enfant sur elle, lui dit quelques mots avant de le confier aux parents, soit ce sont eux qui accueillent l’enfant et vont alors le présenter à la mère porteuse. Il y a donc un véritable processus de séparation car, si on s’appuie sur leurs dires, elles ont servi – ce sont leurs propres métaphores – de “couveuse”, de “nid“, de “cigogne”. »

Des éléments qui aident à comprendre la réalité des nouveaux modes d’accès à la parentalité et trouvent leur place dans les débats éthiques, moraux et politiques autour de ces questions.

Pour aller plus loin

Monzani, S., Rizzo N., Les parentalités contemporaines : regards croisés systémique et psychanalytique. ES F, Paris 2022

Naziri, D., Regard psychanalytique sur l’homoparentalité gay : enjeux psychiques du recours à la Gestation pour autrui (GPA). Cahiers de psychologie clinique, 2023/1

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