La fièvre monte

Le GIEC interpelle les décideurs politiques

Dans Omni Sciences
Article Patricia JANSSENS - Photo Jean-Louis WERTZ - Cartes Xavier FETTWEIS

Le dérèglement climatique est déjà une réalité. Mais alors que des populations entières en subissent les effets ravageurs, les signataires de l’Accord de Paris (2015) ne respectent pas leurs engagements : nos efforts ne sont pas suffisants pour limiter l’augmentation de température à +1.5°C à la fin de ce siècle

Le 20 mars dernier, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a publié la synthèse de son 6e rapport d’évaluation. Le document expose à l’intention des décideurs les connaissances scientifiques acquises (et mises à jour) entre 2015 et 2021 sur les dérèglements climatiques. Il établit leurs causes, évalue les conséquences et évoque certaines mesures pour les atténuer et pour s’y préparer.

Quoi de neuf ? « Alors que les rapports précédents laissaient encore une (petite) place au doute, ce dernier texte avalise les conclusions des scientifiques du monde entier et affirme maintenant que “les activités humaines ont sans équivoque provoqué le dérèglement climatique” que nous observons, relève Xavier Fettweis, professeur de climatologie en faculté des Sciences et contributeur du rapport*. La combustion d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) et la déforestation émettent des gaz à effet de serre avec une conséquence observable : la hausse des températures sur notre planète. »

En 2021, la température a ainsi augmenté globalement de 1,1° par rapport à la période pré-industrielle et les modèles estiment très probable une augmentation de 1,5° dès 2030. « Concrètement, cela signifie que les épisodes de canicules seront plus fréquents dans nos contrées, que la sécheresse concernera tout le bassin méditerranéen, que les pluies diluviennes s’abattront avec plus d’intensité dans le nord. Sans parler de la hausse du niveau des mers. La synthèse du GIEC pointe encore un autre problème majeur : au mieux, dans l’hypothèse du respect des engagements politiques actuels, l’élévation des températures sera de l’ordre de +3° en 2100. » Soit bien loin du +1,5°C escompté en 2100, et qui constitue le maximum de réchauffement que l’on pourrait atteindre sans conséquence irréversible pour la biodiversité, les calottes polaires ou les océans.

Cela signifie-t-il que nos efforts sont sans effets ? « Non, heureusement. Les politiques de réduction de nos émissions de CO2 sont efficaces en ce sens qu’elles vont permettre de les stabiliser au cours de cette décennie, estime Xavier Fettweis. Mais il faut faire beaucoup plus d’efforts pour limiter l’augmentation des températures à +1,5° et infléchir sérieusement la courbe, c’est-à-dire restreindre de manière radicale nos émissions, d’autant que le temps de vie des gaz à effet de serre avoisine les 100 ans ! » Le développement des énergies renouvelables (soleil, vent, biomasse) s’avère indispensable.

Quoi qu’il arrive dans un proche avenir, le dérèglement va se poursuivre jusqu’en 2050 au moins. Il va donc falloir s’adapter. « Nous devons nous préparer à faire face aux hausses de température, reprend Xavier Fettweis : concevoir des bâtiments adaptés aux hivers doux et aux étés de plus en plus souvent caniculaires, et gérer l’eau car elle sera plus rare, même en Belgique ! » Planter des arbres pour capter le dioxyde de carbone est vivement recommandé également. Mais l’inquiétude est telle que le GIEC préconise d’aller “pomper” le CO2 dans l’atmosphère. « Techniquement, la chose est imaginable, affirme Xavier Fettweis. Mais il faut disposer d’une quantité énorme d’électricité verte. Le CO2 ainsi capté pourrait alors être transformé en gaz de ville. »

En attendant, nous devons viser la neutralité carbone. Comment ? « En déplaçant les investissements dans les énergies fossiles vers les énergies renouvelables qui, à terme, seront extrêmement rentables, expose Xavier Fettweis. En supprimant les voitures personnelles pour imposer les moyens de transport collectifs, en achetant des produits locaux pour éviter les importations de marchandises, en adoptant une alimentation plus végétale, en exigeant la fin de l’obsolescence du matériel (électroménager, informatique, etc.), notamment. »

Il n’est pas trop tard, mais il est temps. « Nous disposons collectivement des ressources et des connaissances nécessaires pour relever le défi, conclut le Pr Fettweis. Et ce d’autant que les mesures en faveur du climat sont bénéfiques tant pour la santé humaine que pour la réduction des inégalités. » Tout est à notre portée et la Belgique pourrait montrer l’exemple.


* Les projections de hausses du niveau des mers résultant de la fonte de calottes polaires sont entièrement basées sur le modèle régional du climat MAR développé à l’ULiège.

Anomalie de température (°c) et de précipitation (%) en été prévue par le modèle régional du climat Mar en 2050 par rapport à la période 1981-2010

TemperatureEte

PrecipitationsEte

GIEC

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) est un organisme intergouvernemental créé en 1988 sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale et du Programme des Nations unies pour le développement. Il évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses conséquences et suggère des pistes afin de limiter l’ampleur du réchauffement climatique et de s’adapter aux changements à venir.

Le GIEC est composé d’experts scientifiques qui font une synthèse des dernières études en matière de climat. Les rapports du GIEC fournissent ainsi un état des lieux régulier des connaissances les plus avancées. Notons que tous les textes ainsi produits sont relus par des dizaines de milliers de collaborateurs externes et que les auteurs devront répondre de manière argumentée à chaque critique ou observation. Détail intéressant : les scientifiques qui collaborent aux travaux du GIEC le font de manière bénévole. Par conséquent, les travaux du GIEC ne sont pas le fruit de quelques auteurs, mais bien de toute la communauté scientifique qui valide le rapport avant sa publication.

Parmi les publications scientifiques référencées dans le dernier rapport on trouve pas moins de 177 travaux de chercheur·es de l’ULiège.

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