La science, l'art et l’engagement

L'opinion de Anne-Sophie Nyssen, rectrice de l'ULiège

In Univers Cité
Entretien Patricia JANSSENS - Photos Jean-Louis WERTZ

“Réconcilier l’art et la science tout en s’engageant pour réenchanter le monde” : tel sera le fil rouge de la cérémonie du 19 septembre. Longtemps, science et art étaient associés. Léonard de Vinci était reconnu comme homme de science et de technologie, mais il aimait aussi rappeler qu’il savait peindre ! Einstein, le concepteur de la relativité, était un violoniste de talent. Peu à peu la raison s’est imposée comme critère ultime de compréhension du monde et la sensibilité, l’imagination, la subjectivité ont été confinées dans un secteur à part, celui de l’art. Si bien des auteurs (Rimbaud ou Lewis Caroll notamment) se sont élevés contre le rationalisme, la rupture entre art et science était consommée au début du XIXe siècle déjà.

Mais les choses changent et les scientifiques convoquent à présent la sensibilité artistique à leur côté, pour relever les défis des lois du chaos, de la pensée non linéaire, non binaire notamment. Art et science se rejoignent à nouveau. « À mon sens, il faut replacer l’art au coeur des études, de l’enseignement et de la recherche, estime la Rectrice. Art et science vont de pair : l’art est à l’avant-garde, il trace la voie, il crée. Il est confronté à la matière et se base sur des travaux, sur des savoir-faire précis. La science aussi. Nos méthodes sont rigoureuses et nous procédons aussi par “essai-erreur”. Ce sont deux mondes créatifs et tout aussi indispensables pour réussir la transition environnementale et sociale. »

Aujourd’hui, plusieurs artistes ou scientifiques, se sont engagé·es dans cette transition avec conviction et talent. Et c’est ce talent que l’ULiège a décidé d’honorer en décernant les insignes de docteur honoris causa à Aurélien Barrau, Esther Duflo et Zanele Muholi (voir encadré).

TRANSITION DURABLE

Contribuer positivement à transformer notre société de manière plus durable et plus équitable, c’est aussi l’ambition de l’ULiège. Le plan stratégique affiche d’emblée cette ambition. « Le défi du dérèglement climatique et de la biodiversité s’impose à tous et à toutes, constate la Rectrice. L’Université doit s’y préparer et jouer pleinement son rôle, tant vis-à-vis de la société que vis-à-vis de ses étudiants. Et cela sans oublier la dimension sociale de l’équation, car le changement climatique a des effets plus délétères encore sur les populations défavorisées. Nous devons dès lors travailler à réduire les inégalités, sources d’iniquités. »

Plusieurs Facultés ont déjà intégré la thématique dans le cursus des études. Mais pas toutes. Et les premières initiatives, aussi intéressantes soient-elles, ont rarement été conçues dans une optique transdisciplinaire. « Or la révolution qui nous attend est majeure et réclame que l’on mette toutes les expertises autour d’une même table, afin d’aborder cette question complexe de manière transversale », affirme Anne-Sophie Nyssen. Sa volonté est de passer à la vitesse supérieure : rendre plus visibles les cours qui traitent du dérèglement climatique et de ses conséquences, proposer des cursus interdisciplinaires et, progressivement, augmenter dans les formations les chapitres liés à la transition. « Je souhaite que tous les étudiants et étudiantes bénéficient d’un socle de connaissances sur la transition environnementale et sociale. »

Ainsi un cours (de deux crédits) sur cette matière sera proposé en bac, pour l’ensemble des étudiants et étudiantes, quelle que soit la filière choisie. « Un crédit sera consacré à la problématique générale tandis que l’autre sera réservé à la spécificité facultaire vis-à-vis de la transition. Nous allons aussi amplifier notre formation en développement durable notamment sous la forme d’un certificat. Ma volonté est de croiser dans ce programme les approches de sciences et de sciences humaines : aux côtés des agronomes et des ingénieurs par exemple, inviter des médecins, des juristes, etc. » A priori, cette nouvelle formation sera accessible aux étudiant·es en fin de parcours ainsi qu’aux citoyen·nes impatient·es de mieux comprendre le phénomène et ses enjeux. « Nous devons augmenter la litteracy sustainability de toute la communauté », argumente la Rectrice. Il s’agit de donner les clés de compréhension des enjeux en lien avec les sciences du vivant, les inégalités sociales, les enjeux sociétaux, etc.

La Rectrice entend également inscrire l’Université dans le développement de sa région : « Nous nous impliquons dans de grands projets scientifiques qui contribuent au rayonnement de la ville et de la province, explique-t-elle. Je pense au télescope Einstein – futur observatoire d’ondes gravitationnelles dans la région frontalière des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Allemagne (si l’Europe le décide) –, au Centre d’excellence pour les sportifs de haut niveau, au Centre spatial de Liège (CSL) ou encore au prochain Institut “One Health”. Sans oublier les pourparlers avec le bourgmestre au sujet du déménagement de la faculté des Sciences sociales et de celle de Droit, Science politique et Criminologie au centre-ville. »

Et la Rectrice de poursuivre : « L’éthique et la lutte contre les discriminations sont également au coeur de mes préoccupations. Ces objectifs doivent être déclinés dans la structure de l’Université (l’enseignement, la recherche, la citoyenneté et l’international) grâce aux leviers tels que la gouvernance participative, la finance éthique, les ressources humaines, les infrastructures des campus, etc. Nous disposons déjà d’un Conseil à l’éthique et à l’intégrité scientifique (CEIS) et, pour toutes les questions relatives à l’éthique au sens large, d’un Ethics officer, et d’une conseillère au rectorat spécifique à l’éthique. Mais il faut aller plus loin encore : l’éthique de l’Université doit  se trouver dans les comportements, dans le respect de chacun et de chacune à tous égards. Il faut poser un cadre de référence. »

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