Entre raison et passion

La réforme de la formation initiale des enseignants

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Dossier Julie LUONG - Photos Jean-Louis WERTZ - Dessin fabien DENOËL

Confronté à de multiples difficultés, le métier d’enseignant est appelé à se réinventer. dès septembre, une nouvelle organisation des études sera mise en place pour les futur·es enseignant·es, tant au niveau maternel et primaire que secondaire. L’Université, les Hautes Écoles et les Écoles supérieures des arts collaboreront désormais pour délivrer un diplôme d’enseignant en codiplomation. Avec comme objectif davantage de transversalité et une revalorisation du métier.

Autrefois entouré d’une certaine aura de prestige et à tout le moins estimé, le métier d’enseignant ne fait plus rêver aujourd’hui. Conditions d’exercice difficiles, grand nombre d’élèves et de classes, rémunération insuffisante, difficulté d’enseigner dans un monde en prise avec de profondes mutations : les profs ont le blues. Le regard que porte la société sur eux enfonce le clou : ils sont soupçonnés d’être des tire-au-flanc et leur autorité est régulièrement remise en cause par des parents qui seraient de toute manière plus experts concernant ce qui est vrai, juste et bon pour leur progéniture...

Un cercle vicieux puisqu’un tel bashing renforce l’absentéisme et les situations de burn-out, tandis que les meilleurs éléments se détournent d’un métier jugé stigmatisé et peu attractif. Et la pandémie n’a rien arrangé. Selon une enquête réalisée en 2022 par l’université de Mons sur les répercussions de la crise sanitaire, 44 % des profs de l’enseignement secondaire et 53,9 % de leurs collègues du primaire considéraient que la société portait un regard plus négatif sur leur profession qu’avant le Covid. 47 % des enseignant·es du secondaire et 52,3 % du primaire estimaient par ailleurs que le métier était dévalorisé auprès des politiques. Enfin, 34 % des enseignant·es avaient pensé quitter définitivement la profession lors de l’année précédente et 6 % disaient y avoir pensé tous les jours...

Car c’est un fait établi en Fédération Wallonie-Bruxelles : un·e enseignant·e sur trois quitte le métier après cinq ans d’ancienneté. « Il y a même des jeunes diplômés qui restent seulement quelques semaines », relève Marie-Noëlle Hindryckx, directrice du Centre de formation des enseignants (Cefen)² de l’ULiège. Le résultat en est une pénurie croissante de professeur·es : non plus seulement dans les matières traditionnellement concernées comme les langues modernes ou les maths mais désormais dans quasi toutes les branches, jusqu’aux postes d’éducation physique et d’instituteurs primaires. Parallèlement, personne ne nie que l’école est et doit rester un facteur de cohésion sociale et d’émancipation. Chaque passionné·e se souvient d’un·e prof qui a changé sa vie. Comment le plus beau métier du monde en est-il arrivé là ?

SAVOIR N’EST PAS ENSEIGNER

Si elle n’est pas la seule, la formation initiale des enseignant·es apparaît comme l’une des causes de cette situation. L’organisation des études pour les futur·es enseignant·es – du niveau maternel, primaire ou secondaire – a donc été entièrement et communément repensée. En 2011 déjà, une étude réalisée à la demande du ministre de l’Enseignement supérieur Jean-Claude Marcourt par le Centre d’études sociologiques de l’université Saint-Louis de Bruxelles, intitulée “Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants (FIE)”, avait permis de mettre au jour ses lacunes et points faibles. Plus d’un millier d’acteurs de la FIE avaient alors évalué qualitativement l’ensemble du système. « Ce qui était pointé était le manque d’articulation entre la formation des différents types d’enseignants, commente Marie-Noëlle Hindryckx. Il apparaissait qu’il fallait vraiment tracer des lignes à partir du tronc commun, assurer une certaine articulation. Était également pointé un problème de maîtrise de la langue française et de maîtrise des contenus dans le chef des enseignants. L’évaluation montrait aussi ce besoin d’insertion des nouveaux venus dans le métier, le fait que les contenus pédagogiques et didactiques enseignés en formation initiale ne correspondaient pas à la réalité du terrain. »

L’inadéquation de la formation aux contenus disciplinaires est en effet l’une des difficultés majeures rencontrées par les jeunes qui se perçoivent comme illégitimes à transmettre une matière qu’ils maîtrisent peu... ou trop.

« En sciences, par exemple, on va apprendre aux futurs enseignants du secondaire inférieur les contenus qui seront au programme mais sans pouvoir leur donner, pour eux-mêmes, un bagage scientifique plus large. Une institutrice maternelle ne reçoit que 22,5 heures de formation en sciences par an », indique la directrice du Cefen. À l’inverse, les masters qui iront dans le secondaire supérieur pourront se sentir correctement formés dans leur discipline, mais d’une manière détachée des contenus qu’ils sont tenus d’enseigner. « Par exemple, en sciences, ils devront voir l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Or ceux qui ont suivi des études scientifiques auront éventuellement vu le fonctionnement de l’appareil génital et les moyens de contraception, mais c’est à peu près tout, poursuit Marie-Noëlle Hindryckx. Un germaniste, lui, aura certes eu des cours de grammaire allemande mais cela n’aura rien à voir avec le fait de l’enseigner dans le secondaire... Être un professionnel scientifique de sa matière et enseigner à des 15-18 ans sont deux choses totalement différentes. »

Dans le prolongement de ces constats, le décret relatif à la réforme de la formation initiale des enseignants (RIFE) a été adopté en 2019 alors que Jean-Claude Marcourt était encore ministre de l’Enseignement supérieur. Suite au changement de gouvernement, la Déclaration de politique communautaire avait prévu, sous la ministre Valérie Glatigny, un moratoire d’un an fin 2021 pour examiner “la capacité opérationnelle de la mise en oeuvre de la réforme par les établissements d’enseignement supérieur ainsi que la cohérence de cette réforme avec la mise en oeuvre du Pacte”. Le coût financier de la réforme avait également été réexaminé afin de le rendre soutenable pour les établissements d’enseignement supérieur et de Fédération Wallonie-Bruxelles”. En 2023, l’heure est venue du grand saut...

DE PACTE EN RÉFORME

Le décret de 2019 prévoit d’abord un allongement de la formation de tous et toutes les enseignant·es du tronc commun, de trois à quatre ans, et la codiplomation des futur·es enseignant·es entre les Hautes Écoles, les Universités et les Écoles supérieures des arts. Pour le Pôle académique Liège-Luxembourg, l’ULiège collaborera avec cinq Hautes Écoles et trois Écoles supérieures des arts5. « On a essayé de réunir tout ce petit monde autour de la table pour examiner ce décret, très formel, et répartir ça dans des grilles cohérentes en essayant de confier à chaque fois la tâche à l’institution la plus compétente », explique Marie-Noëlle Hindryckx. « Cela se passe en bonne intelligence mais, qu’on le veuille ou non, la réforme suppose que les établissements collaborent alors qu’ils sont en compétition, relève de son côté le Pr Louis Gerrekens, doyen de la faculté de Philosophie et Lettres. On chasse sur les mêmes terres : toute réforme peut entraîner des glissements de population positifs ou négatifs. »

Le texte du décret précise également les domaines de compétences génériques à développer, quelle que soit la filière suivie, par tous et toutes les futur·es enseignant·es francophones, dans la lignée de la mise en oeuvre du Pacte pour un enseignement d’excellence. Rappelons que le tronc commun établi dans ce Pacte définit huit domaines d’apprentissage pour mieux préparer tous et toutes les jeunes à trouver leur place, en ce compris les aptitudes manuelles, techniques et technologiques, l’éducation à l’art et à la culture, le développement de l’esprit d’entreprendre et de la créativité... Avec comme objectif de former des citoyens et des citoyennes “actifs et épanouis”6 à travers un enseignement “émancipateur, connecté aux enjeux contemporains” et capable de réduire les inégalités.

« Heureusement ou malheureusement, la réforme RIFE est concomitante au Pacte d’excellence, qui est un énorme chantier. Le but est notamment de supprimer les filières de relégation en technique et professionnel mais aussi de former aux thématiques environnementales, de genre, au numérique... », commente Marie-Noëlle Hindryckx. Autant de nouvelles responsabilités pour les enseignant·es, qui justifient d’autant plus de renforcer leur formation. Mais voilà : cela fait aussi beaucoup, beaucoup de défis qui semblent s’empiler dans un équilibre plutôt instable. « Avant, nous avons eu Bologne, le Paysage... des réformes qui se succèdent avant que la précédente n’ait produit tous ses effets, analyse Louis Gerrekens. Or, s’il est techniquement possible de mettre en place ces changements, les êtres humains ne suivent pas toujours, ils ont une limite. Cela va exiger un énorme monitoring. »

PUZZLE

Ecole-H-FabienDenoelConcrètement, dès cette rentrée, les Hautes Écoles seront responsables pour la formation des enseignant·es qui s’adresseront aux élèves de 2,5 à 15 ans, tandis que l’ULiège interviendra dans ces formations à hauteur de 30 crédits. Ce bachelier de trois ans s’allongera d’une année de master en enseignement et l’ULiège codiplomera pour 30 des 60 crédits (quatre années d’études). Pour les enseignant·es qui s’adresseront aux 15-18 ans, c’est l’ULiège qui sera l’Institution référente tandis que les Hautes Écoles interviendront à hauteur de 30 à 40 crédits.
Le cursus durera cinq ou six ans, selon que l’étudiant·e choisira un master en enseignement de la discipline (deux ans) ou un master disciplinaire complété d’un master en enseignement de la discipline (deux ans + un an). « Pour les 2,5-15 ans, comme les Hautes Écoles sont référentes, elles nous adresseront une commande, précise Marie-Noëlle Hindryckx. Par exemple, pour la première année, c’est l’ULiège qui donnera les cinq crédits d’équité, un cours qui n’existait pas avant et qui sera coconstruit par un sociologue, un philosophe et un diplômé en sciences de l’éducation. Lesquels vont aller le donner dans toutes les implantations des Hautes Écoles de Liège dès septembre. L’Université a donc dû et devra recruter de nouveaux chargés de cours pour assurer tous ces nouveaux cours. »

Les institutions d’enseignement se retrouvent ainsi face à un puzzle de quelques milliers de pièces, probablement très beau sur l’image-modèle, mais qu’il faudra parvenir à assembler en un temps record avec des partenaires de jeu venus d’horizons très différents. « Les objectifs sont louables, mais le résultat actuel est tout de même d’une complexité redoutable, estime Louis Gerrekens. À la fois sur les programmes, sur la définition des budgets, la capacité à mettre en place des horaires qui fonctionnent, les locaux disponibles... » Pour la Pr Gentiane Haesbroeck, doyenne de la faculté des Sciences, « c’est en même temps la possibilité d’atténuer le choc des cultures parfois ressenti entre le niveau secondaire inférieur et le supérieur. Les enseignants seront amenés à discuter entre eux, ils sauront ce que font les autres. »

La faculté des Sciences est particulièrement concernée par cette réforme. « Une partie de nos étudiants viennent en effet en sciences spécifiquement pour devenir enseignants : c’est le cas des mathématiciens qui, pour certains, ont ce débouché en tête dès le départ, poursuit-elle. On en trouve aussi parmi d’autres filières. Mais pendant les trois années de bachelier, beaucoup de choses se passent ! Et certains se rendent compte que les matières étudiées ouvrent d’autres portes et qu’effectivement il y a d’autres options. Par rapport au projet initial consistant à mettre en place des bacheliers en enseignement, le master en enseignement nous paraît donc un bon compromis : au moment de choisir, les étudiants seront informés de toutes les opportunités qui s’offrent à eux. Et pourront décider en pleine conscience. Même si nous avons un peu l’impression que nos étudiants vont continuer à faire le master disciplinaire et puis faire ce master complémentaire en enseignement ensuite. Mais au fond, on n’en sait rien. »

Le décret RIFE prévoit par ailleurs que l’étudiant·e devra dorénavant réaliser un stage de longue durée au cours de sa formation afin de lui assurer une “entrée progressive, encadrée et accompagnée” dans le métier : ce stage – qui comptera pour une partie significative des crédits d’études dédiés à la pratique – se tiendra de préférence au sein d’un même établissement. « En quatrième année de formation en Haute École et en cinquième chez nous, il y aura un stage long, véritable prémisse d’une insertion professionnelle, détaille Marie-Noëlle Hindryckx. Quatre mois dans un, voire deux établissements au cours desquels le futur enseignant ne se contentera pas de prendre en charge la classe du maître de stage mais où il va vivre la vie de l’école : une réunion de parents, l’attribution et l’encodage des notes, comment on planifie, comment on vit les conflits en classe et quel est son rôle dans cette grosse machine. » De quoi se sentir mieux armé pour son premier job et ne pas faire demi-tour aussi sec.

GRANDE INCONNUE

Ecole-H« La grande inconnue est de savoir si le public suivra », estime le Pr Louis Gerrekens. Parce que l’allongement des études pourrait bien faire fuir ces étudiant·es qu’on cherche à attirer... « On envoie quand même un message particulier à la jeunesse : on leur dit que pour avoir une carrière complète, ils devront travailler plus d’années qu’avant mais que pour pouvoir l’entamer, ils devront étudier plus longtemps sans que ces années ne soient prises en compte », poursuit le doyen de la faculté de Philosophie et Lettres. Ce à quoi il faut ajouter la crainte pour certains que cette formation, dispensée désormais en partie par l’Université, ne s’avère trop difficile, trop élitiste. « On estime qu’il y aura une perte de 30 % des inscriptions pour le maternel, de 10 % pour le primaire et de 20 % pour les régents », rapporte Marie-Noëlle Hindryckx. Aggraver la pénurie pour la résoudre à long terme par une revalorisation de la formation ? Le pari est risqué, a fortiori si, à l’issue, la rémunération stagne. « Si vous proposez une formation plus longue, globalement un peu plus difficile et que le salaire ne suit pas, on ne voit pas très bien comment on va lutter contre le manque de profs », résume Louis Gerrekens.

Mais le choix des jeunes, dont les priorités sont par ailleurs en constante évolution, pourrait surprendre et la société connaître de nouveaux soubresauts. « Nous devrons en permanence nous adapter, réagir au fur et à mesure », précise encore Louis Gerrekens. Une chose est sûre : ce ne sera une réussite que si ce nouveau mode d’organisation parvient à attirer des profils passionnés et capables, par conséquent, de donner le goût du savoir. « C’est le véritable enjeu, estime Gentiane Haesbroeck. Il faut parvenir à remettre en classe des passionnés par leur matière car si les cours sont donnés par des gens qui ne le sont pas, on ne suscitera pas non plus de futures vocations de scientifiques ni de profs et on n’y arrivera jamais. Or, parfois, les étudiants ont déjà tellement donné dans leurs études qu’ils ont l’impression que tous leurs efforts ne seront pas valorisés s’ils vont dans l’enseignement. Il faut vraiment que ça devienne un débouché attractif, positif », insiste la doyenne de la faculté des Sciences.

Organisation de la formation

Les parcours prévus se distinguent selon la tranche d’âge des élèves à qui l’enseignant·e s’adressera et comptent systématiquement deux cycles d’études : un bachelier de trois ans (180 crédits) et un master d’un ou deux ans selon les sections (60 ou 120 crédits).
On comptera désormais cinq parcours de formation différents selon les publics. Ils se subdivisent en sections selon le public auquel l’enseignant·e s’adressera :
  • section 1 : permet d’enseigner la plupart des disciplines, de l’accueil à la 2e primaire (à l’exception de l’éducation physique, de la 2e langue et de morale/religion)
  • section 2 : idem, mais de la 3e maternelle à la 6e primaire
  • section 3 : permet d’enseigner une famille de disciplines de la 5e primaire à la 3e secondaire

    Exceptions :
    • langues germaniques, formation manuelle, technique et technologique et formation numérique, disciplines artistiques : de la 3e primaire à la 3e secondaire
    • éducation physique et à la santé : de l’accueil à la 3e secondaire
  • sections 4 et 5 : permet l’enseignement d’une discipline particulière de la 4e à la 6e secondaire

Les sections 1 à 3 sont réservées aux enseignant·es qui s’adresseront aux élèves de 2,5 à 15 ans. Les Hautes Écoles seront les institutions référentes pour ces trois sections ; l’ULiège interviendra dans ces formations à hauteur de 20 à 40 crédits. Ces formations s’allongent d’une année de master en enseignement. Tout·e futur·e enseignant·e devra donc suivre désormais au minimum quatre années d’études.

Pour enseigner aux élèves de 15 à 18 ans, dans le cycle supérieur des études secondaires, il faudra suivre les sections 4 et 5 (minimum cinq années d’études).

L’ULiège est l’Institution référente pour ces deux sections ; les Hautes Écoles interviennent dans ces formations à hauteur de 30 crédits en bachelier et 30 crédits en master car ces deux parcours commencent par une formation théorique de trois ans dans la discipline choisie (bachelier disciplinaire). Il faudra ensuite choisir entre un master en enseignement de la discipline (deux ans) ou un master disciplinaire complété d’un master en enseignement de la discipline (deux ans + un an).

www.uliege.be/rfie

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