Paradoxal sommeil

Les effets de la sieste

In Omni Sciences
Article Ariane LUPPENS - Photo True touch lifestyle, Shutterstock

Dormir, c’est bien, donc la sieste, c’est bien. Ce raccourci n’est pourtant pas avéré. Pour certain·es, le besoin de sieste devrait au contraire appeler à la vigilance. En effet, l’étude menée sous l’égide de Christina Schmidt, qui explore le lien entre le cycle de veille-sommeil et le vieillissement cognitif, montre que la sieste n’est pas forcément bonne pour tout le monde.

Afin de mettre sur pied son projet de recherche, Christina Schmidt (chercheuse FRS-FNRS au sein du GIGA-CRC in Vivo Imaging, centre de recherches du Cyclotron, et de l’unité de recherche PsyNCog) a pu bénéficier de la très prestigieuse bourse ERC Starting Grants délivrée par le Conseil européen de la recherche pour un montant de 1,5 million d’euros. C’est dire l’importance de cette étude impliquant une centaine de personnes, âgées entre 65 et 85 ans. L’enjeu est effectivement de taille au sein d’une société vieillissante comme la nôtre. Or, la mauvaise qualité du sommeil et le déclin cognitif sont communément associés à la vieillesse.

L’étude a commencé en 2018 et a duré un an. Elle visait, ainsi que nous l’explique Christina Schmidt, à explorer l’hypothèse suivante : “Dormir est bon pour la santé mais dormir au bon moment c’est peut-être encore mieux”. Sur ce plan, la sieste pose question, parce qu’elle peut refléter une perturbation de l’organisation circadienne du cycle de veille-sommeil, ce qui entraînerait une diminution des performances cognitives, et notamment des pertes de mémoire.

Pourtant, la croyance commune est plutôt en faveur de la sieste. La science aussi, dans une certaine mesure, puisque de nombreuses études tendent à souligner ses multiples bienfaits. Elle permettrait ainsi de renforcer la vigilance, d’améliorer les performances cognitives et la mémoire. Elle contribuerait à la protection du système immunitaire, tout en diminuant le stress et la sensibilité à la douleur. Certaines recommandations existent toutefois, comme le fait de privilégier les micro-siestes de dix à quinze minutes.

PRÉJUGÉS ET FONDEMENTS CULTURELS

Sur le plan culturel, la sieste relève même de l’institution dans certains coins du globe. Cela peut être lié au climat : c’est le cas chez nos voisin·es méditerranéen·nes qui, confronté·es à des températures élevées, coupent leur journée en deux tout en prolongeant leurs activités plus tard le soir. En Asie, la sieste est solidement ancrée dans les moeurs. Négliger ce temps de repos peut même être perçu comme un manque de respect vis-à-vis de la collectivité, de l’employeur, des collègues car c’est prendre le risque d’être moins performant et de ne pas répondre aux attentes de l’autre. En Chine, la sieste est un droit inscrit dans la constitution. C’est dire ! En Occident, même si cela paraît moins vrai de nos jours, le fait de dormir dans la journée peut au contraire être associé à une perte de temps, à la paresse, à un manque de dynamisme. L’image du jeune loup de la finance, officiant jour et nuit sans relâche et sans repos, a encore de beaux jours devant elle.

« C’est intéressant de voir que les résultats épidémiologiques sont un peu contradictoires entre les études réalisées dans les pays asiatiques (Singapour, Japon, Chine) et les études américaines qui, elles, vont de façon assez homogène vers le fait que le repos non intentionnel peut être un indicateur de neurodégénérescence », constate Christiane Schmidt. Par repos non intentionnel, on entend des phases d’assoupissement non planifiées. Ce qui diffère de la sieste. « Dans ces études, il n’était d’ailleurs pas demandé aux volontaires de dormir mais leur activité était mesurée par un actimètre. La personne peut très bien affirmer ne pas faire de sieste, alors que l’actimètre va permettre de déterminer qu’il y a quand même des périodes de repos prolongées », poursuit-elle.

Les études asiatiques sont, elles, plus pondérées. Elles concluent que cela dépend de la durée. « Des siestes de petite durée peuvent être très bénéfiques mais si ça devient trop long, c’est associé à un déclin plus important. » Au Japon par exemple, la sieste concerne notamment les travailleurs et travailleuses encore en activité qui donnent beaucoup de leur temps à leur entreprise et qui réduisent leur nuit à cause des contraintes professionnelles. « Je ne dis pas que le sommeil monophasique est la seule option mais si on a un sommeil monophasique et que l’habitude sieste commence à s’installer dans un contexte socio-culturel bien particulier, c’est là peut-être un indicateur de santé. Dans une autre étude menée sur les adolescents à Singapour, ils ont montré que le “split sleep“ c’est-à-dire le fait de placer deux périodes de sommeil sur 24 heures plutôt qu’une, peut être bénéfique mais que c’est encore mieux d’avoir une longue période de sommeil la nuit. » Autrement dit, si je n’ai pas l’occasion de remplir mes besoins en sommeil pendant la nuit, alors j’ai intérêt à faire une sieste.

CHEZ LES SENIORS

Néanmoins, le projet de recherche mené au sein du Cyclotron permet d’envisager la sieste sous un autre angle. « On s’est posé la question de savoir si, dans un contexte particulier et surtout dans le cadre du vieillissement, la sieste ne pouvait pas être le reflet d’une altération du sommeil. En effet, notre horloge circadienne est conçue de telle manière qu’elle promeut l’activité durant la journée et le sommeil pendant la nuit. Alors que la facilité de s’endormir en journée pourrait être une altération de ce système de régulation circadienne du sommeil. Ceci est à mettre dans le contexte du vieillissement qui fragilise l’horloge : il la rend plus silencieuse, ce qui fait que la différence entre jour et nuit est probablement un peu plus fragile quand on vieillit. » Dans ce contexte, si la sieste commence à devenir un besoin chronique et de longue durée, ne serait-ce pas le reflet de cette altération ? « C’est la première hypothèse que nous avons testée. Et, par ce biais, on s’est demandé si cela pouvait affecter la trajectoire cognitive et cérébrale du vieillissement. » Le déclin lié au vieillissement pourrait alors être lié à l’augmentation de la fréquence de la sieste.

L’étude livre aujourd’hui ses premiers résultats, mais il s’agit encore d’une étape intermédiaire puisque le suivi des volontaires est toujours en cours. Afin de participer, ceux-ci devaient répondre aux critères suivants : être retraité·e, faire la sieste, être en très bonne santé et avoir envie de participer. S’agissant du deuxième critère, il a fallu revoir les exigences à la baisse : « Au début, on a essayé de trouver des volontaires faisant au moins une heure de sieste, mais nous avons eu du mal et je crois que c’est parce qu’une telle durée de sieste est moins socialement accepté en Belgique. » Cela n’aura finalement pas gêné le bon déroulement de l’étude puisqu’en tenant compte de la phase préparatoire à la sieste, « nous nous sommes aperçus que le temps de repos était au final supérieur à 45 minutes ». Par ailleurs, on compte un peu plus d’hommes que de femmes parmi les volontaires mais pas de conclusion hâtive : « cela ne veut pas dire que les hommes font plus la sieste que les femmes ! »

Une fois les volontaires rassemblé·es, trois groupes ont été formés : un groupe qui relatait ne pas faire la sieste de manière régulière et deux autres groupes qui faisaient la sieste au moins trois fois par semaine, au moins pendant 45 minutes et ceci depuis un an au minimum. « On a donc vraiment essayé de trouver des siesteurs chroniques. »

Pendant un an, les siesteurs ont été systématiquement comparés aux non-siesteurs après avoir pris toute une série de mesures visant à évaluer la mémoire, l’attention, les fonctions exécutives. L’imagerie à résonnance magnétique (IRM) a en outre été utilisée afin de mesurer l’intégrité de la structure et de la fonction du cerveau. « On a mesuré l’horloge circadienne. » Aussitôt dit, aussitôt fait ? Pas vraiment, parce qu’il faut tout d’abord démasquer cette fameuse horloge. Dans la vie de tous les jours, elle est en effet masquée par l’influence de la lumière, de l’activité, de la température. Pour avoir accès à l’horloge endogène et spécifique à la personne, il faut neutraliser tous ces facteurs environnementaux.

PLUS DE SIESTES, MOINS DE MÉMOIRE

« Les volontaires venaient donc au laboratoire passer une nuit, puis ils devaient ensuite tenir 40 heures dans une pièce où l’on contrôlait la lumière, la nourriture et le taux d’activité. Des échantillons de salive étaient prélevés durant ce laps de temps, ce qui nous a permis d’extraire l’hormone de la mélatonine. » Souvent appelée l’hormone du sommeil, la mélatonine facilite notre endormissement en fin de journée, à la tombée du jour. À ce moment, la production de mélatonine s’accroît. En médecine, la mélatonine de synthèse est utilisée pour pallier les troubles du sommeil, même si elle n’est pas exempte d’effets secondaires. La mélatonine est aussi connue pour sa participation à la synchronisation de notre horloge biologique avec le rythme circadien de 24 heures.

« Dans notre étude, on constate que l’expression de la mélatonine la nuit est un peu plus faible chez les siesteurs que chez les non-siesteurs. C’est une indication qui montre que l’horloge est plus silencieuse chez les siesteurs. C’est cohérent avec notre hypothèse initiale qui dit que la sieste est peut-être la cause ou la conséquence d’une horloge affaiblie. » Une fois les mesures prises, les volontaires ont été répartis en deux groupes. « Le premier n’avait pas vraiment d’instructions particulières. On les voyait une fois par mois pour faire le point et éventuellement prendre connaissance de certains changements (prise de médicament, activité sportive renforcée, etc.). L’autre groupe faisait exactement la même chose sauf que l’on essayait de réduire le temps de sieste, voire de la supprimer. Entreprise très compliquée ! »

L’hypothèse était que, si la sieste était le reflet ou la conséquence d’une altération de l’horloge, agir sur le comportement pouvait stabiliser par la suite l’horloge et par conséquent le fonctionnement cognitif du cerveau. « Le taux de réussite a été très variable et je dirais que cela dépend fortement de la raison pour laquelle on fait la sieste. Si on la fait parce que c’est un plaisir, alors il n’était pas dans notre intention de supprimer un plaisir. Mais si la sieste compensait une mauvaise qualité de sommeil pendant la nuit, alors nous pouvions agir. En effet, si on fait une très longue sieste durant la journée, on épuise déjà en quelque sorte notre réservoir de sommeil de nuit, ce qui induit une nuit plus fragmentée et donc moins reposante. » Les insomniaques le savent bien. Peu importe l’âge, dans le traitement de l’insomnie, il est préconisé de ne pas dormir en journée car cela crée ensuite un cercle vicieux. Mais entre le dire et le faire…

« En ce qui nous concerne, nous sommes satisfaits : les volontaires diminuent la durée et la fréquence de leurs siestes. La plupart étaient satisfaits de notre intervention, car ils se sont rendus compte que la sieste pouvait être remplacée par une autre activité, faire le plein de lumière dehors par exemple. Reste à voir si la nouvelle habitude sera pérenne. Nous ne le savons pas encore. En revanche, il y a aussi tout un sous-échantillon qui, après un mois, a refusé de continuer, expliquant que notre intervention interférait trop avec leur qualité de vie. Ils ont estimé que celle-ci était diminuée. Ces personnes ont donc choisi de continuer à faire la sieste. Selon nous, supprimer la sieste va permettre de restabiliser l’horloge, mais le sujet est maître de ses propres ressentis et, si cela ne lui convient pas, il vaut mieux qu’il ne se force pas. Très franchement, la majorité de ce groupe a choisi de continuer. D’autres ont expliqué préférer le concept de micro-sieste. Au lieu de dormir une heure, passer à une demi-heure. De façon générale, ce groupe-là a réussi à diminuer le temps et la fréquence de sieste tout au long de notre étude. »

Les résultats préliminaires confirment en tout cas l’hypothèse de départ et une série d’indicateurs montre que les siesteurs ont une horloge plus silencieuse. Ainsi, la différenciation entre le jour et la nuit est moindre comparée aux nonsiesteurs. « Dans notre étude, la fréquence de sieste est associée à un score de mémoire. » Il y a tout d’abord la mémoire épisodique qui consiste à se rappeler une liste de courses ou encore l’identité de quelqu’un rencontré récemment. C’est le type de mémoire qui souffre le plus du vieillissement. « Et là il y a un lien entre fréquence des siestes et perte de mémoire. Plus je fais la sieste, moins mon score de mémoire épisodique est bon. Ces résultats convergent avec ceux d’autres études. Lorsque l’on considère des tâches où la charge en mémoire est relativement faible, on ne voit pas de différence entre siesteurs et non-siesteurs. Par contre, une fois qu’on les pousse à la limite de leurs performances, lorsqu’il faut faire appel à la mémoire (retenir des lettres dans notre étude), une différence commence à se marquer entre les deux catégories. »

Les résultats de l’intervention sur les volontaires seront analysés et publiés dans le courant de l’année 2024.

Appel aux volontaires

Si vous souhaitez contribuer à l’étude sur le lien entre sommeil et vieillissement ou entre sommeil et maladie d’Alzheimer, vous pouvez prendre contact avec l’équipe via le courriel agitude@uliege.be

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