LQJ-270

Le Quinzième Jour : Il y a dans votre écriture un impor- tant travail de la forme, de la sonorité, de la rythmique. Pourriez-vous parler de votre rapport aux mots ? Fatou Diome : J’écris depuis que j’ai 13 ans. Pour moi, contrairement à ce que certains pourraient penser, ce n’est pas un travail, mais une manière de vivre, un besoin. J’écris sur des sujets qui m’interrogent, me bouleversent et me touchent. Et pour ce faire, j’essaye d’être la plus sincère possible. Avant même de l’être avec les autres, je le suis avec moi. Je ne me fais pas de cadeaux et, parfois, je peux m’écorcher, me faire mal à moi-même. Quand j’écris, je récite tout le temps – je connais d’ailleurs tous mes livres par cœur – parce que j’ai besoin d’entendre les phrases, il faut qu’elles sonnent juste. Je suis très sen- sible à la musicalité de la langue française. Si le sens de mon texte est correct, mais que la tonalité des mots ne me plaît pas, je les change. Pour moi, c’est un travail artistique à part entière : ce n’est pas seulement le fait de raconter une histoire qui m’importe, c’est aussi – et surtout – la manière. Trouver les mots justes, un souffle, une sonorité, un rythme à ce que j’écris. Le raconter avec poésie, mais aussi avec un certain humour. Je ne suis pas là pour donner des leçons mais du plaisir. Moi qui suis une dévoreuse de livres, c’est aussi ce que je recherche dans mes lectures. LQJ : Vous parlez avec finesse de sujets très durs, parfois de manière très engagée. Vous percevez-vous comme une combattante ? F.D. : Certaines choses me révoltent, je ne peux pas y être indifférente. D’ailleurs, parfois, elles s’emparent de moi tellement fort que je n’en dors plus. Alors, je les écris. On va ensuite me demander de participer à une émission pour en parler. Je ne suis pas du tout quelqu’un de médiatique, donc, si je décide d’assumer le fait d’aller devant la camé- ra, c’est que j’ai quelque chose à dire. Et quand je parle de ce que j’ai sur le cœur, c’est vrai, cela peut faire du bruit, mais quand on y pense, ce n’est pas tant mes propos qui sont graves mais les situations qui les suscitent. Il faut par- fois oser poser le doigt dessus. LQJ : À chaque fois, vos propos provoquent une onde de choc. Cela ne finit-il pas par dépasser votre fonc- tion première d’écrivaine ? F.D. : Lorsque l’on dit ou écrit certaines choses, on ne sait jamais – à moins d’être très prétentieuse – ce qui va se passer. Personnellement, lorsque j’écris, je suis toute seule, je ne sais pas si mes lecteurs vont ou non me prê- ter une oreille. C’est comme si je lançais une bouteille à la mer. Ensuite, le lecteur la trouve et décide de lui donner de l’importance ou non. S’il décide que cela en vaut la peine, s’il donne un sens au livre, alors le débat peut se construire. LQJ : Avez-vous déjà eu envie de vous lancer en poli- tique ? F.D. : Non, c’est moins créatif. De plus, il faudrait que je m’adapte à un parti et à son discours. Vous imaginez bien qu’avec ma liberté de ton, si je dois répéter les choses comme un perroquet, je ne pourrais pas. Un artiste est bien plus libre que cela. LQJ : Vous n’avez pas peur que l’on vous fasse porter un étendard malgré vous ? F.D. : Chaque parti essaye de me récupérer sur base du livre qui l’intéresse. Mais, je ne porte rien du tout et on n’arrivera pas à me faire porter quoi que ce soit. Car je suis romancière, écrivaine, ce qui me permet d’être interpellée par des questions très diverses, d’aborder une multitude de sujets et de questions. Je n’appartiens donc pas à une seule idée mais à chacune d’entre elles. De plus, je n’écris ni pour plaire ni pour déplaire. J’écris parce que je ne peux pas faire autrement, c’est une nécessité. Léa Crespi © Flammarion mai-août 2018 / 270 ULiège www.uliege.be/LQJ 48 l’invitée

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