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L e nom d’Inamori ne vous dit rien ? Pourtant, votre téléphone contient probablement des dizaines de composants signés Kyocera, la compagnie fondée par ce Japonais en 1954. Premier fabricant au monde de céramiques high-tech , Kyocera est aujourd’hui un empire : plus de 70 000 salariés à travers le monde, une croissance à deux chiffres jamais démentie, un fondateur vénéré comme Bouddha sur terre… ou presque. Attachée économique et commerciale pour l’Agence wal- lonne à l’exportation et aux investissements étrangers (Awex) au Japon, Claire Ghyselen connaît bien ce cas d’école : « Inamori est une personnalité impression- nante, qui suscite un véritable culte chez les employés », explique-t-elle. Après avoir assisté à plusieurs reprises à la “grand-messe” qui rassemble chaque année quelque 5000 entreprises qui travaillent selon la méthode d’Ina- mori et sont organisées en un réseau d’apprentissage par les pairs, elle concède au big boss une aura “mystique” déconcertante. À 86 ans, Inamori est en réalité l’un des derniers grands patrons nippons, de ceux qui œuvrèrent au miracle éco- nomique japonais dans les années d’après-guerre. On lui doit non seulement Kyocera, mais aussi KDDI, une entre- prise de télécoms fondée en 1984 et devenue aujourd’hui le deuxième opérateur du Japon. En 2010, Kazuo Inamori s’illustre une nouvelle fois en devenant le “sauveur” de la compagnie nationale aérienne Japan Airlines acculée à la faillite, qu’il parvient in extremis à redresser à la demande du gouvernement. Mais tout cela ne serait rien si Kazuo Inamori n’avait imposé un nouveau mode de gestion de l’entreprise entièrement décentralisé, fondé sur l’auto- nomie des employés, aux antipodes de l’organisation pyramidale classique. Une philosophie qu’il a exposée dans de nombreux ouvrages et qui lui vaut aujourd’hui l’admiration inconditionnelle de nombreux patrons de PME en Asie. La devise de Kyocera ? “Respectez le divin, aimez les gens”. Pas moins. Avec quelque 10 mil- liards d’euros de chiffre d’affaires, l’entreprise promet en somme la réconciliation entre croissance et bienveillance, capitalisme et spiritualité, esprit d’entreprise et sagesse contemplative. VISION HOLISTIQUE Fils d’un petit imprimeur de Kagoshima, Kazuo Inamori est ingénieur chimiste de formation. À 27 ans, il quitte le laboratoire où il est employé pour fonder Kyoto Ceramic, qui deviendra la Kyocera Corporation. « Son parcours présente plusieurs particularités. D’abord, il ne vient pas d’une grande école. Ensuite, ce n’est pas un gestionnaire mais un scientifique. Enfin, il n’a jamais eu de finance- ment par les banques mais a commencé avec le soutien de quelques mécènes, avec comme préoccupation prin- cipale de les rembourser et de pouvoir être totalement indépendant, fait remarquer Claire Ghyselen. Lorsque ses employés ont commencé à revendiquer plus de sécurité d’emploi, Inamori a répondu qu’il ne pouvait rien leur pro- mettre, mais qu’il ferait son possible pour que l’activité perdure. Cette réflexion est à la base du modèle qu’il a mis en place. » La course à la stabilité, du reste, ne s’est pas faite sans douleur. « Kyocera a été une entreprise très dure, avec une grande pression pour la perfection et une grande rotation du personnel. Comme dans d’autres entreprises du pays, on a vu des cas de morts par excès de travail, raconte Claire Ghyselen. Mais contrairement à d’autres, Kyocera a réagi et pris des mesures pour que cela ne se produise plus. » La “méthode” inamorienne repose essentiellement sur deux dispositifs. Le premier est un système comp- table extrêmement structuré, qui permet à la société de connaître ses avoirs et ses liquidités au jour le jour. « C’est un système de gestion des flux physiques en temps réel. Chacun peut gérer son équipe comme une véritable petite entreprise, grâce à une unité de mesure unique pour tous, “la création de valeurs par heure”, qui permet de connaître exactement la situation de l’activité et de décider des mesures à prendre pour la suite des opérations », détaille Claire Ghyselen. En corollaire, Kyocera pratique une totale transparence des comptes. Le deuxième dispositif est un système d’organisa- tion interne en petites cellules autonomes, les “amibes”. « Les amibes ont leur propre fonctionnement et leur propre vision : si le business grandit, elles peuvent se scin- der. Tout ce système est extrêmement évolutif, au point que Kyocera ne sait pas combien d’amibes se trouvent exactement dans l’organigramme », expose Björn-Olav Dozo de la faculté de Philosophie et Lettres, à l’initiative avec Claire Ghyselen d’un nouveau MOOC en gestion basé sur le modèle Kyocera. « Comme, au départ, il ne savait rien de la gestion, Kazuo Inamori a cherché une base sur laquelle prendre des décisions. Cette base a été celle de l’humanisme et de la bienveillance. Il s’est dit qu’ à partir du moment où il prenait une décision juste, il ne pouvait pas se tromper. Par exemple, il n’est par question de léser un sous-traitant pour avoir plus de marge : chacun doit pouvoir trouver son compte », illustre Claire Ghyselen. De même, Kyocera se distingue aujourd’hui par ses diverses activités philanthropiques, que ce soit dans le domaine de l’environnement, du social ou de l’art. mai-août 2018 / 270 ULiège www.uliege.be/LQJ 52 omni sciences

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