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Le Quinzième Jour : On a coutume de dire que Bruxelles et Liège ne font pas bon ménage et que le courant entre ces deux villes ne passe pas toujours bien. N’êtes- vous pas une exception en la matière ? Véronique De Keyser : En quelque sorte, oui. Je suis née à Bruxelles et y ai fait mes études à l’ULB. Mais, alors que j’ai commencé ma carrière universitaire dans l’institution bruxelloise, elle s’est rapidement poursuivie et développée à l’université de Liège. Je suis tombée amoureuse de la Cité ardente et, tout particulièrement, des usines Cockerill. LQJ : Comment s’explique cet engouement subit ? V.D.K. : Je crois qu’il faut en chercher la cause principale dans ma passion pour... les mathéma- tiques. J’ai d’ailleurs fait des humanités “latin- math” dans le secondaire, ce qui m’interdira d’ac- céder en médecine à l’université, réservée alors aux seuls diplômés de “latin-grec”. Du coup, je me tourne vers les études de psychologie à l’ULB. Les deux premières années, je m’y ennuie mortel- lement, mais la troisième année s’ouvre sur des cours prenant en compte le domaine du travail et des entreprises. Choc assuré ! Je décroche mon diplôme en 1968 et présente ma thèse de docto- rat en psychologie du travail en 1974 : elle portait sur l’évolution technologique dans la sidérurgie et plus précisément, suite à l’introduction des ordi- nateurs, sur la prévention des erreurs humaines dans les installations automatisées comme la cou- lée continue de Chertal. LQJ : Mais l’Europe semblait déjà vous inté- resser à l’époque. V.D.K. : Oui, car j’ai été très vite sensibilisée par l’idée d’une Europe industrielle créée avec les tra- vailleurs. D’où, dès la fin des années 60, mes tra- vaux de recherche relatifs à la Communauté euro- péenne du charbon et de l’acier (CECA), menés au sein du Centre d’études et de recherches industrielles de Bruxelles. Une autre raison, plus personnelle celle-là, a motivé mon intérêt pour l’Europe : j’ai perdu mon père résistant en 1945 alors que je n’avais que quelques mois. Le souci de préserver la paix sur notre continent ne m’a jamais quitté, tout comme la volonté de prévenir les risques et traumas sur les lieux de travail. Ce sera l’épicentre de mon parcours universitaire. LQJ : Lequel, commencé à l’ULB, se poursui- vra à l’ULiège. V.D.K. : J’y débarque, en tant que chargée de cours, en 1984 et y devient professeur ordinaire quatre ans plus tard, avant d’être, de 1990 à 1998, doyenne de la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation. C’est au sein de cette Alma mater liégeoise que j’ai pu mener mes recherches appliquées dont le thème prin- cipal a été la sécurité et la fiabilité humaine dans des environnements à risque, comme l’anes- thésie, l’aéronautique, la sidérurgie et l’industrie nucléaire. De 1991 à 1998, j’y ai dirigé un centre d’excellence, le PAI (Pôle d’attraction interuni- versitaire), qui m’a permis de me spécialiser dans la modélisation cognitive basée sur l’intel- ligence artificielle, plus spécifiquement la modé- lisation du raisonnement temporel et la prise de décision dans les situations dynamiques, recherche fondamentale que j’ai poursuivie au niveau mondial. Cela m’a ainsi amené à entrete- nir d’importantes collaborations non seulement avec les États-Unis et la Russie, mais aussi avec l’Afrique et l’Amérique du Sud. LQJ : Cette démarche a-t-elle aussi eu son impact dans la région liégeoise ? V.D.K. : Bien sûr. Quand les travailleurs de Cockerill ont été amenés à devenir des opéra- teurs de salles de contrôle, par exemple, suite à une technicisation grandissante de leurs tâches, il était indispensable d’affiner leur expertise et de les préparer à mettre en place un proces- sus d’anticipation des incidents. Je n’ai jamais perdu de vue cet aspect prégnant du travail des ouvriers, non plus que les conflits qui surgissent immanquablement entre eux et les machines. LQJ : D’où votre engagement politique au Parti socialiste ? Et votre élection au Parlement européen ? V.D.K. : Tout au long de ma carrière scientifique, j’ai toujours maintenu cet engagement social. Mais si je suis devenue députée européenne le 12 septembre 2001 – le lendemain des atten- tats de New York –, c’est par le plus grand des hasards. Au cours d’une de ses conférences à laquelle j’assistais, Philippe Busquin, à l’époque Commissaire européen chargé de la recherche scientifique, avait fait une distinction entre sciences dures et sciences molles. Je lui fis mai-août 2018 / 270 ULiège www.uliege.be/LQJ 7 l’opinion

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