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immédiatement savoir mon désaccord à ce propos, disant qu’un tel distinguo n’avait pas de sens. Résultat ? Il me demanda de me mettre sur la liste du PS pour les élections européennes... ce que j’acceptai d’autant plus volontiers que j’y figurais à une place non éligible (quatrième sup- pléante). Mais une nouvelle réglementation interdisant aux bourgmestres de communes de plus de 50 000 habitants de devenir député européen et la mort dans un accident de voiture de mon prédécesseur sur la liste, le député Jacques Santin, qui siégeait à Strasbourg, ont fait en sorte que je m’y retrouve, en définitive. Et cette aventure euro- péenne durera pendant 13 ans, jusqu’au 30 juin 2014 ! LQJ : Cette expérience vous a-t-elle comblée ? V.D.K. : Dans une très large mesure, oui. Comme je vous l’ai dit, la cause européenne ne m’était pas étrangère, le souvenir de mon père aidant et la hantise de la guerre continuant de m’habiter. J’avais mis les choses en place à l’Université : toute une équipe de chercheurs fonction- nait. Je pouvais maintenant m’investir dans des actions de paix ; je me suis rendue d’ailleurs, de nombreuses fois, au Moyen-Orient, adoptant notamment une position ferme contre l’intervention militaire en Irak en 2003. Le monde arabe, avec la Palestine en premier lieu, a été durant mes trois mandats européens au centre de mes préoccupa- tions. J’ai pu admirer, sur le terrain, le courage de celles et ceux qui y mènent un combat pied à pied, sans relâche, pour le respect des droits humains les plus élémentaires. Cette vie intéressante mais épuisante a pris fin en 2014, suite à la décision du PS de ne pas me représenter sur la liste européenne. Je l’ai bien évidemment regretté, tout en acceptant de soutenir, en dernière suppléance, la liste régionale menée par Jean-Claude Marcourt. Par convic- tion, mais sans plus : la construction européenne restait ma priorité. LQJ : Vous voilà interdite d’“international”... V.D.K. : J’ai décidé alors de poursuivre mon chemine- ment en approfondissant un aspect humanitaire que le touche-à-tout politique ne m’avait pas permis de creu- ser. En 1988, j’avais accompagné en Guinée Conakry le Pr Jean de Leval de l’ULiège, un urologue spécialisé dans la réparation des fistules ano-vaginales, comme le Dr Denis Mukwege. J’avais donné là-bas des cours sur la prévention des erreurs humaines. J’y avais vu de merveilleux étudiants, obligés d’étudier à la lumière des réverbères ! Et je m’étais dit : je retournerai dans cette Afrique qui m’avait tant fasci- née. L’occasion se présente en 2014. Je rencontre Guibert Cadière, chirurgien et professeur à l’ULB qui me dit tout de go : « Je pars en Afrique dans 15 jours, viens avec moi. Je vais y opérer avec des trocarts. » Pour moi qui avais travaillé sur les transferts de technologie dans les pays en déve- loppement, c’était une aubaine. Je ne m’attendais pas à la suite. C’est dans le Sud-Kivu que j’atterris alors. Nouveau choc ! J’assiste à des opérations de bébés qui ont été violés, la plupart âgés de quelques mois à peine. Épreuve supplé- mentaire : ces victimes, une fois sorties du centre hospitalier, sont renvoyées dans les villages où elles ont subi les meur- trières exactions des rebelles. Dès lors, je n’ai plus quitté le Sud-Kivu. Mes connaissances sur le stress, j’ai tenté de les mettre en pratique dans le but d’assurer la reconstruction psychologique de ces petites filles mutilées, mais elles m’ont autant appris que j’ai pu leur apporter. LQJ : Un nouveau défi pour vous, donc ? V.D.K. : Tout à fait. C’est une nouvelle porte qui s’est ouverte pour moi, et elle n’est pas prête de se refermer. En l’occurrence, ce sont deux médecins qui, coup sur coup, m’ont mis le pied à l’étrier de l’Afrique. Je retourne du reste incessamment au Sud-Kivu. Quelle satisfaction d’y soutenir le travail du Dr Mukwege, le justement renommé “homme qui répare les femmes” ! L’ASBL “Les enfants de Panzi”, que j’ai contribué à fonder et dans laquelle l’université de Liège est partie prenante, a mis en place des actions concrètes auprès des victimes des violences sexuelles (femmes et enfants, même très jeunes) : inutile de dire qu’elles ont besoin d’un important suivi, tant sur le plan social que psychologique, ne fût-ce que pour éviter d’être rejetées par leurs proches et les habitants de leur village d’origine. LQJ : Avez-vousbénéficiéd’appuisdanscet engagement ? V.D.K. : Énormément. Je tiens ici à remercier les femmes politiques belges, tous partis politiques confondus, qui m’ont aidée – et de quelle merveilleuse façon ! – dans cette entreprise sur le sol africain si souvent meurtri par des actes d’une barbarie sans nom. Du 28 janvier au 4 février 2015, je m’étais rendue une première fois à l’hôpital de Panzi dans le but d’analyser la prise en charge psycho- logique souhaitée par son fondateur, le Dr Mukwege. Et l’année suivante, une partie de l’équipe de l’ULiège (CHU et faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’éduca- tion), porteuse du programme d’accompagnement psycho- social de l’hôpital, a fait le même déplacement avec l’asso- ciation “Les enfants de Panzi”. Depuis, mes cofondatrices (Cathleen de Kerchove, Isabelle Durant, Marie-Dominique Simonet) et moi-même avons assuré une dizaine de mis- sions sur place, et nous avons pu former et embaucher une équipe psychosociale congolaise, basée à l’hôpital de Panzi, laquelle se déplace dans les villages pour organiser des activités et des jeux thérapeutiques avec les petites victimes. Plus que jamais, je compte m’investir dans ce type d’actions. mai-août 2018 / 270 ULiège www.uliege.be/LQJ 8 l’opinion

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