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LQJ : Vous avez eu une brillante carrière universi- taire et vous voilà engagée dans une nouvelle voie. Comment s’explique chez vous, si vous me permettez l’expression, cette “propension à la bougeotte” ? V.D.K. : Ce n’est pas de la bougeotte mais l’amour du mouvement. De la vie. J’ai toujours eu peur d’être enfermée dans le “cloître universitaire”. Raison pour laquelle j’ai voulu aussi construire ailleurs. Et l’Afrique a fait partie de cette envie : elle le reste, intensément, et cela me rend vraiment heureuse. J’y retourne d’ailleurs trois ou quatre fois par an. LQJ : La politique, vous lui avez dit adieu : cela n’a pas été trop dur ? V.D.K. : Non, car cela m’a permis d’ouvrir un nouveau chapitre de ma vie, d’explorer d’autres champs. Si j’ai démissionné du Conseil communal de Liège, c’est parce que je n’y apportais plus de valeur ajoutée ; j’ai estimé que quelqu’un d’autre pouvait y prendre ma place et j’ai une conscience aiguë du temps qui passe, et du temps, j’en ai trop peu. Mais je ne peux nier que le scandale de Publifin m’a cruellement blessée et déçue. LQJ : “La conscience du temps qui passe” dites-vous. Pourriez-vous préciser votre sentiment à ce propos? V.D.K. : Bien volontiers. J’ai subi de très graves maladies et je me dis : comment faire avec le temps qu’on a pour faire quelque chose de bien ? Je sais qu’en Afrique, les tâches sont énormes et, au risque d’insister, je veux y consacrer le meilleur de mon temps. Cela ne veut pas dire, évidemment, que je renonce à mes combats de toujours : les droits humains, la laïcité, les femmes, l’Europe. LQJ : L’Europe ? Depuis la fin de votre mandat euro- péen, que votre parti n’a pas souhaité voir renouvelé, je croyais qu’elle était sortie de votre champ de vision ou d’intérêt. V.D.K. : Pas du tout ! Je viens d’ailleurs de sortir un ouvrage la concernant : Une démocratie approximative. L’Europe face à ses démons*. Né de la volonté de ses pères fondateurs de ménager un espace de paix au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le projet européen a aujourd’hui du plomb dans l’aile : il s’est construit contre le fascisme mais se voit entamé, sinon attaqué par de funestes dérives s’apparentant de plus en plus à l’extrême droite. Au sein de l’Union resurgissent des thématiques qui paraissent d’un autre temps : nationalisme et rejet des réfugiés ou migrants en général. Ce sont là des mécanismes qui font froid dans le dos. Il est dès lors urgent de retisser chez les Européens un sens de la citoyenneté politique. Les peuples se sont sentis abandonnés par une édification qui faisait finalement peu de cas d’eux : dépourvus de protection, ils sont tombés dans un désamour dont les conséquences sont de plus en plus présentes actuellement. LQJ : Tout serait-il donc fichu ? V.D.K. : Non, si l’on veut bien se souvenir qu’on ne tombe pas amoureux d’un grand marché. Si l’Europe se réduit à cela, elle n’aura pas l’adhésion de ses populations. Heureusement, des signes paraissent prometteurs : des mouvements de jeunes s’emploient à maîtriser les change- ments en cours, de quoi guider une action politique débar- rassée des seuls impératifs d’une économie débridée, sans parapets sociaux protecteurs. * Une démocratie approximative. L’Europe face à ses démons, coll. “Libertés j’écris ton nom”, Centre d’action laïque, Bruxelles, février 2018. mai-août 2018 / 270 ULiège www.uliege.be/LQJ 9 l’opinion

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